(Zhangjiakou) Quand Laurence St-Germain s’est avancée dans le portillon, Mikaela Shiffrin était encore assise dans la neige, en bordure d’une clôture de sécurité.

Sonnée psychologiquement, la tête entre les deux mains, la reine du ski alpin tentait de comprendre ce qui venait de survenir. Pour son deuxième départ consécutif aux Jeux olympiques de Pékin, l’Américaine de 26 ans était encore sortie de piste après cinq portes en première manche, cette fois dans sa spécialité, le slalom, sur un parcours tracé par son entraîneur.

« Beau, mais pas rapide »

Comment cela pouvait-il de nouveau arriver à la skieuse la plus constante de l’histoire, gagnante de 47 slaloms en Coupe du monde, record absolu dans une même discipline ?

« Ça me fait remettre en question les 15 dernières années, tout ce que je pensais savoir au sujet du ski, du slalom et la mentalité de course », déballera-t-elle plus tard au micro de NBC.

PHOTO ROBERT F. BUKATY, ASSOCIATED PRESS

Mikaela Shiffrin est encore sortie de piste après cinq portes en première manche, cette fois dans sa spécialité, le slalom.

La médaillée d’or de Sotchi en 2014 avait le sentiment d’avoir « laissé tomber tout le monde ».

« Ma carrière entière m’a appris à faire confiance à mon ski quand c’est du bon ski. C’est la seule chose à laquelle je peux me fier les jours de course. Et quand la pression est grande – bien sûr, la pression est grande –, mais je ne sentais pas que c’était le plus gros problème aujourd’hui. »

Dans sa bulle en haut de la piste de Yanqing, St-Germain ne savait pas le drame qui venait de se jouer pour Shiffrin, qui la précédait de deux numéros de dossard.

L’athlète de Saint-Ferréol-les-Neiges n’avait que son plan de course en tête : attaquer, attaquer, attaquer, seule façon à ses yeux d’atteindre son objectif, soit de monter sur le podium à ses deuxièmes JO.

« Envoye en bas ! », lui a crié Alex, le physiothérapeute et plus grand cheerleader de l’équipe.

St-Germain a adopté la bonne attitude, mais une erreur franche aux trois quarts de la manche – elle s’est retrouvée sur le ski intérieur – a failli la faire sortir du tracé. Le temps qu’elle remette les skis dans la bonne direction, elle avait perdu une grosse seconde.

L’addition a été salée à l’arrivée : retard de 2,34 secondes sur la meneuse, l’Allemande Lena Duerr, ce qui l’a ultimement reléguée au 22échelon. En d’autres termes, ses chances de podium s’étaient évaporées. Elle s’est tapée sur les cuisses et la tête dans l’aire d’arrivée.

Malgré tout, St-Germain n’avait pas envie de s’autoflageller un peu plus tard en visioconférence avec les journalistes québécois présents à Pékin.

Oui, je voulais une médaille, mais je savais que pour y arriver, il fallait que j’attaque à 110 %. C’est vraiment ça que j’ai fait. J’en suis vraiment contente.

Laurence St-Germain

Elle a conservé la même attitude en deuxième manche. Sans être parfaite, cette descente lui a permis de s’installer provisoirement en tête, jusqu’à ce que la Norvégienne Thea Louise Stjernesund la déloge.

Joyeuse, la Québécoise a pu saluer ses cousins Antoine et Martin, sa tante Marie et ses parents. « Mon petit cousin Antoine a fait sa première course de ski juste avant les Jeux », a-t-elle souligné en entrevue.

Finalement 17e

Auteure du 10e temps de la seconde manche, St-Germain a finalement conclu l’épreuve à la 17e place, cédant 2,59 secondes à la médaillée d’or, la Slovaque Petra Vlhová. Elle avait terminé 15e il y a quatre ans en Corée du Sud.

« Sur papier, je ne suis pas vraiment fière du résultat. À PyeongChang, j’étais contente d’être 15e. Là, j’ai moins bien fait quand je visais beaucoup plus haut. Mais mon but pour arriver à la médaille que je voulais, c’était de me donner à 110 %, arriver confiante et attaquer dès la première porte. C’est ça que j’ai fait. Je n’ai vraiment pas de regrets. »

Si la piste, la bien nommée Rivière de glace, s’est avérée moins pentue qu’elle ne le craignait, la neige artificielle de Yanqing a été complexe à apprivoiser. L’équilibre dans l’aiguisage a été difficile à trouver sur cette surface parfois accrocheuse, parfois dure comme de la roche.

St-Germain ne se souvient pas d’avoir skié sur de la neige de ce genre.

« À PyeongChang, c’était une neige un peu semblable, mais moins compacte, moins réactive. Ça m’a pris un peu moins de temps à m’habituer à la neige en Corée. Ici, on est arrivés quand même serrés [dans le temps] avec la course. J’ai seulement eu trois jours d’entraînement en tracé. Peut-être qu’on aurait pu arriver un peu plus tôt pour plus se donner une chance de s’habituer. Je ne sais pas si ça aurait vraiment fait une différence sur mon résultat. »

L’équipe canadienne, qui avait connu de beaux flashs récemment en Coupe du monde, n’a pas eu de succès entre les piquets en Chine. À ses quatrièmes Jeux, la Torontoise Erin Mielzynski a fini 16e, tout juste devant St-Germain. Les recrues Ali Nullmeyer (21e) et Amelia Smart (27e) ont terminé un peu plus loin.

Grande rivale de Shiffrin, Vhlova a enfin décroché une première médaille olympique après une déception en géant (14e). Huitième de la manche initiale, la Slovaque de 26 ans a réalisé le meilleur chrono au deuxième essai.

Sa victoire a été confirmée quand Duerr a dégringolé au quatrième rang. L’Autrichienne Katharina Liensberger et la Suissesse Wendy Holdener, particulièrement émotive en consolant l’Allemande, ont respectivement remporté l’argent et le bronze.

Après avoir assisté à une compétition de luge en soirée et peut-être à l’épreuve de snowboard cross de son ami Éliot Grondin, St-Germain doit quitter Pékin à regret dès jeudi.

L’étudiante en génie biomédical à Polytechnique ne rapporte pas de médaille dans ses bagages, mais de la confiance en vue des deux derniers slaloms de Coupe du monde le mois prochain.

« Il n’y a pas une course où j’ai attaqué comme aujourd’hui, sauf peut-être ma deuxième run à Schladming [NDLR : deuxième temps derrière Shiffrin le 11 janvier]. Je suis vraiment contente d’avoir eu cette attitude-là dans les deux manches, même si j’ai commis des erreurs. J’ai quand même beaucoup appris aujourd’hui. »

Après le combiné masculin jeudi, Marie-Michèle Gagnon doit entrer en action au super-G vendredi. Shiffrin aura-t-elle pu surmonter sa déception ?