(Zhangjiakou) Le stade du parc à neige de Genting, déjà presque complètement vide, a comme arrêté de respirer. Justine Dufour-Lapointe, championne olympique de 2014, médaillée d’argent en 2018, était seule au milieu de la piste, désespérément en quête de son bâton.

Elle a attendu de longues secondes avant qu’un préposé ne vienne le lui remettre. Le temps pour elle de réaliser ce qui se passait. Sa première descente en finale à peine entamée, ses troisièmes Jeux étaient finis, dimanche soir.

Une chute crève-cœur et assez violente, dès la première bosse suivant l’atterrissage de son premier saut, a coupé court à ses ambitions. Son casque a protégé sa tête, mais c’était le cœur qui était touché.

« J’ai le cœur en miettes », dira-t-elle d’ailleurs en s’arrêtant devant les journalistes de la presse écrite.

Regardez la chute de Justine Dufour-Lapointe

Même si son sort était scellé, la benjamine de la célèbre fratrie a tenu à terminer sa descente, réalisant son saut périlleux avec prise de skis – un truck driver dans le jargon – avant de franchir la ligne d’arrivée. Le temps d’enlever ses lunettes, les larmes ont commencé à couler. « Merci, je vous aime », a-t-elle murmuré à la caméra, souriante malgré tout.

Sa sœur Chloé, qui venait de réussir une belle première descente, l’attendait à la sortie. Elles se sont tombées dans les bras, l’une consolant l’autre. L’accolade a duré de longues minutes. La concurrente suivante, l’Australienne Britteny Cox, s’est jointe au duo. Chloé a dit à sa sœur qu’elle pouvait être fière d’y être allée à fond, de ne pas s’être retenue.

D’un pas décidé, Justine s’est ensuite rendue près de l’aire des entraîneurs, là où l’attendait sa grande sœur Maxime. Mentore de l’équipe canadienne à Pékin, l’aînée ne pouvait manquer cette finale des bosses féminines, disputée dans les montagnes de Zhangjiakou. Les pleurs ont repris de plus belle.

La sage Maxime a dit à sa petite sœur qu’elle tirerait un jour les leçons de cette défaite. En attendant, elle devait garder la tête haute, aller affronter les médias et surtout « parler avec son cœur ».

Malgré les larmes, Justine l’a fait avec beaucoup de dignité. « Quand je suis tombée, je ne me suis pas posé la question, a-t-elle entamé. Je me suis dit : il faut que je me relève et que je finisse. Je n’avais pas le choix de continuer et de relever la tête. »

Maintenant, je réalise que ça a demandé du courage. J’ai tellement travaillé fort dans les dernières années pour vous offrir une meilleure Justine qu’aux derniers Jeux. Encore plus forte, encore plus audacieuse. Malheureusement, ça n’a pas marché pour moi ce soir.

Justine Dufour-Lapointe

Malgré la douleur, la Montréalaise de 27 ans en avait long à raconter. Elle a envoyé ce message aux « jeunes filles à la maison qui [l]’ont vue continuer dans la piste et arriver en bas avec le sourire » : « Je n’ai jamais abandonné mon rêve olympique. Parce que la vie, ce n’est pas toujours beau, ce n’est pas toujours facile. Il faut se relever. J’espère que c’est de ça qu’on va se souvenir ce soir. »

Elle s’expliquait mal son erreur. Une bête faute de carre qui l’a fait tomber sur le côté droit. « J’imagine qu’un jour, tout ça va avoir un sens. Mais c’est sûr que ça fait mal. Ça me fait de la peine de décevoir tout le monde à la maison parce que je le sais que j’ai tout le soutien du monde entier. J’ai skié avec eux, avec ma famille, avec tous les gens qui m’aiment. »

Les grands absents étaient ses parents, privés pour la première fois en quatre JO de l’occasion d’assister à l’évènement sur place. Ils ont suivi la compétition sur leur voilier amarré dans les Bahamas.

« Ça me fait de la peine ce soir, j’ai le cœur en miettes, mais je n’ai pas de regrets, je n’ai aucun regret… », a conclu Justine, la voix étouffée.

Chloé devait continuer

Qualifiée pour la finale 2, Chloé, elle, devait poursuivre sa compétition. Dans ces circonstances dramatiques, la quadruple olympienne s’est admirablement acquittée de sa tâche, réalisant sa meilleure performance depuis longtemps. Elle a conclu au neuvième rang.

Après des Jeux difficiles en 2018 (17e), assombris par le cancer de sa mère dans l’année précédente, la cadette de 30 ans se félicitait d’avoir retrouvé l’esprit de la jeune femme souriante qui s’était révélée aux JO de Vancouver (5e).

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Chloé Dufour-Lapointe

La chose dont je suis le plus fière, c’est que j’ai retrouvé la Chloé qui skiait en 2010. Je me suis retrouvée et c’était mon premier but quand j’ai terminé à PyeongChang. Je suis vraiment fière de moi, peu importe le résultat. J’ai juste éprouvé du plaisir. J’ai mis une boucle sur mes Jeux olympiques.

Chloé Dufour-Lapointe

Consoler sa sœur a été pour elle un geste instinctif et naturel, la seule façon pour elle de pouvoir remonter en haut effectuer sa descente.

« On a toujours appris à vivre avec les victoires de l’une et les défaites de l’autre. On est là l’une pour l’autre, peu importe ce qui arrive. En ayant vécu quatre Jeux olympiques aussi, j’espère que je vais pouvoir l’aider à passer à travers ces Jeux-là. Je sais à quel point ça peut faire mal. Au bout de tout ça, je veux juste qu’elle soit fière d’elle parce qu’elle a tout donné dans la piste. »

Maxime a retrouvé ses sœurs après la ronde d’entrevues. « J’ai de la peine pour Justine et la peine qu’elle a, a-t-elle souligné. Mais quand je l’ai vue arriver en bas du parcours et que je l’ai vue sourire, c’était la chose la plus importante pour moi. C’est une chute, c’est plate, le timing est cruel, mais ça ne définit pas ma sœur. »

Si ces JO étaient les derniers de Chloé, Justine n’a pas voulu s’avancer, préférant se donner une pause pour réfléchir à son avenir.

L’entraîneur Michel Hamelin souhaite la voir continuer, mais n’en semblait pas convaincu.

« C’est sûr que j’aimerais ça, mais je crois qu’elle a déjà pris des décisions, a-t-il indiqué à La Presse. Je vais la laisser penser à ses affaires. On va lui laisser du temps jusqu’à la fin de la saison. On verra ce qu’elle va nous dire bientôt. »

Déçu de cette chute, qui n’était pas arrivée une seule fois à l’entraînement, Hamelin a vanté l’engagement de cette athlète « exigeante qui sait ce qu’elle veut ».

« Je l’ai mise au défi et elle me mettait au défi en tant que coach. On s’est élevés comme ça. Je suis un meilleur coach parce que je l’ai coachée pendant huit ans. On a eu une malchance, mais on était plus prêts ici que nous l’étions en Corée. Le plateau des femmes est plus relevé. La tâche était plus grande. Mais elle était prête. »

La retraite potentielle des sœurs Dufour-Lapointe laissera évidemment un vide. Sofiane Gagnon semble désignée pour prendre la relève. Première de la qualification 2, la skieuse de Whistler a ensuite atteint la finale 2 réservée aux 12 meilleures. Une chute à la mi-parcours l’a cependant empêchée d’améliorer son sort.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Sofiane Gagnon

« Je me sens vraiment privilégiée de mener la route pour la prochaine génération de Canadiennes, a indiqué l’athlète de 22 ans. Je suis très excitée pour le futur du ski de bosses au Canada. »

Regardez la chute de Sofiane Gagnon

Pendant que l’Australienne Jakara Anthony s’imposait en finale, sous les acclamations des représentants des médias de son pays, Mikaël Kingsbury recevait sa médaille d’argent à la plaza de Zhangjiakou. Il devait ensuite rejoindre son équipe pour une petite célébration avant le retour au Canada, le 8 février.

Surprises

Si la victoire d’Anthony, qui a dominé l’épreuve olympique de bout en bout, n’avait rien d’étonnant, l’identité de ses accompagnatrices sur le podium l’était un peu plus. La très rapide Américaine Jaelin Kauf a gagné l’argent tandis que la Russe Anastasiia Smirnova, une recrue olympique, a bondi sur le bronze. Respectivement première et deuxième sur le circuit de la Coupe du monde, la Française Perrine Laffont (4e), tenante du titre, et la jeune Japonaise Anri Kawamura sont reparties les mains vides.