C’est la première fois depuis 2006 que le nom d’Alex Harvey est absent de la liste des fondeurs sélectionnés pour représenter le Canada aux Jeux olympiques. Aujourd’hui, il trouve plaisir et satisfaction à voir briller les athlètes du Centre national d’entraînement Pierre-Harvey. Il est fier que la relève puisse prendre le flambeau et perpétuer cette longue tradition d’excellence.

(Saint-Ferréol-les-Neiges) On monte au deuxième étage du chalet principal du centre de ski de fond du mont Sainte-Anne, à Saint-Ferréol-les-Neiges. Alex Harvey est déjà là. Debout, dans son grand manteau rouge, couleur de l’équipe qu’il a représentée toute sa carrière, à discuter avec des employés. Après tout, le mont Sainte-Anne est pratiquement sa deuxième maison depuis tant d’années.

Souriant, il s’assoit dans l’un des fauteuils du chalet, devant une grande fenêtre qui donne sur un panorama à couper le souffle. En trame de fond, la montagne, les arbres, un ciel bleu clair et des fondeurs. L’hiver québécois dans toute sa splendeur.

Harvey ne regrette rien. Après avoir pris sa retraite à l’hiver 2019, après une fin de semaine d’anthologie sur les plaines d’Abraham, le plus grand champion de l’histoire du ski de fond canadien est toujours en paix et serein avec sa décision. À 33 ans, il se concentre sur ses projets familiaux, même si ses skis sont toujours à portée de main.

Tôt le matin, à l’heure du lunch ou en début de soirée avec une lampe frontale, Harvey sillonne encore les pistes du mont Sainte-Anne, qui sont pratiquement dans sa cour arrière. C’est l’une des raisons pour lesquelles il n’a jamais voulu quitter ce coin de pays.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Alex Harvey

Son attachement au Centre national d’entraînement Pierre-Harvey (CNEPH) est aussi un facteur. Il est encore impliqué auprès des skieurs et de l’équipe et il est primordial pour lui d’être en contact régulier avec le Centre. Par passion et pour redonner autant qu’il a reçu.

« J’ai grossi les rangs du Centre à 16 ans, et cette année-là, mon meilleur résultat aux Mondiaux juniors, ç’a été une 39e place. J’ai connu une progression vraiment fulgurante, donc je pense que c’est important de redonner », a expliqué le double champion du monde.

« Antoine Cyr est un ami, on s’écrit assez régulièrement. Parfois, je l’appelle pour savoir comme va sa préparation. Donc je pense que c’est important de partager les connaissances que j’ai pu acquérir, parce que j’ai beaucoup reçu pendant ma carrière. »

Quatre athlètes olympiques

Le CNEPH n’a jamais envoyé autant d’athlètes aux Jeux olympiques. D’ici quelques jours, à Pékin, ils seront quatre à prendre le départ : Cyr, Olivier Léveillé, Cendrine Browne et Laura Leclair.

Même si ce fait d’armes est extraordinaire pour le Centre national, Harvey n’a pas été surpris qu’autant d’athlètes se qualifient pour les Jeux. La clé du succès, à son avis, est de ne pas avoir abandonné le combat.

Après son départ, les subventions ont diminué. L’équipe de Louis Bouchard, qui a été l’entraîneur de Harvey pendant près d’une quinzaine d’années, a été capable de conserver l’infrastructure nécessaire pour développer adéquatement les athlètes de demain, qui font aujourd’hui partie de l’élite de leur discipline et qui peuvent s’épanouir à travers le sport.

En plus d’avoir été un modèle et une inspiration, celui qui a terminé troisième au classement de la Coupe du monde en 2014 et en 2017 a aussi été un architecte de premier ordre dans le développement des skieurs du Centre national. C’est lui, avec son entraîneur, qui a développé, pensé, imaginé et configuré la piste de ski à roulettes qui fait la renommée du CNEPH à travers le Canada. Un atout majeur pour les athlètes qui y ont accès.

Il en parle encore aujourd’hui avec passion et fierté.

À l’époque, la piste de ski à roulettes avait été conçue pour qu’Harvey puisse s’entraîner dans un environnement similaire à celui du circuit de la Coupe du monde et des Jeux olympiques, même en été. Avant, on utilisait les routes ordinaires et les pistes cyclables, mais le niveau de difficulté n’était pas assez élevé, puisqu’il y avait trop de plats. La construction et la mise en place se sont faites en plusieurs étapes, s’étalant presque sur six ans.

« À l’entraînement, on veut aller chercher du dénivelé, avec des pentes, mais il n’y en avait pas, parce que par nature, on essaie d’aplanir les routes le plus possible. Donc pour certains entraînements, ça va, mais pour les entraînements intenses, à intervalles, la piste actuelle est parfaite. Avant, c’était des endroits moins propices pour aller faire de l’effort maximal. C’est pour ça qu’on a essayé de reproduire des parcours sur lesquels on course l’hiver sur la scène internationale », explique-t-il en faisant des mouvements avec ses bras et ses mains pour bien illustrer le portrait de la situation.

PHOTO NICHOLAS RICHARD, LA PRESSE

Le Centre national d’entraînement Pierre-Harvey

Il est certain que cette configuration l’a aidé à avoir de bons résultats et ultimement, à marquer l’histoire du ski de fond au Canada.

L’hiver, ça n’a rien d’étonnant. Les pistes du mont Sainte-Anne offrent des conditions inégalées au Québec et au Canada. Harvey n’a pas grandi en Norvège ni ne s’est développé sur les pistes de Davos. Sauf qu’il a eu le luxe d’avoir un parcours de qualité internationale à une dizaine de minutes de chez lui. Depuis toujours. Dorénavant, c’est la relève et les amateurs de ski de fond qui en profitent au quotidien.

Harvey parle du dénivelé, des descentes techniques et exigeantes, de la qualité de la piste et de l’environnement lorsqu’on lui demande pourquoi le CNEPH est le meilleur endroit pour s’entraîner.

Centraliser les efforts

Harvey n’aurait pas pu remporter des dizaines de médailles en Coupe du monde, cinq médailles en Championnat du monde et terminer deux fois en quatrième position aux Jeux olympiques sans l’apport du CNEPH, de son équipe et de ses employés. Il en est conscient et, surtout, reconnaissant. C’est revenu souvent au cours de la conversation.

L’idée de réunir au même endroit l’équipe d’entraîneurs, les préparateurs physiques, des physiothérapeutes, un médecin, un service de psychologie et un service de nutrition a été une bénédiction pour lui. Ça continue aussi d’en être une pour les athlètes qui iront aux Jeux de Pékin. L’infrastructure offerte par le CNEPH est à la base du succès de ses skieurs, selon Harvey.

Il souhaite d’ailleurs que le Centre puisse conserver cette fameuse infrastructure, sans quoi il sera impossible de développer autant de talents. Il doit continuer d’obtenir les fonds nécessaires pour avoir la capacité de bien entourer les athlètes.

L’humilité et la gentillesse qui ont caractérisé Harvey depuis le début de sa carrière sont encore des traits visibles de sa personnalité. Il a aidé à développer les fondeurs de demain, mais il refuse de s’attribuer tout le mérite. N’empêche, c’est lui qui a été l’idole de toute une génération de skieurs, notamment des quatre qui représenteront le CNEPH aux prochains Jeux olympiques.

Les médailles de Harvey illustrent son passé d’athlète. Comme il préfère regarder en avant, peu de choses le rendent plus fier que de voir de jeunes fondeurs découvrir le sport qu’il aime de manière inconditionnelle. C’est une sorte de récompense.

Ce matin, je skiais et en revenant vers l’auberge, il y avait des jeunes du club de ski, que je reconnais grâce à leur équipement. L’entraîneur en chef est un de mes bons amis et il m’a dit que c’était fou, le nombre d’inscriptions qu’on a. Ça a explosé ! C’est vraiment plaisant d’entendre ça.

Alex Harvey

Ces jeunes auront de fortes chances de recroiser Harvey sur ces mêmes pistes. Malgré un froid polaire et une bonne séance en matinée, il s’apprêtait à retourner skier après l’entretien.

« L’effet Alex Harvey » est toujours un phénomène présent à Saint-Ferréol. Ce n’est pas tous les jours que les jeunes ont la chance de voir un champion du monde à l’œuvre. L’enfant prodige de la municipalité trouve toujours flatteur que des gens l’arrêtent pour discuter ou le féliciter, même trois ans après sa retraite. C’est une réalité avec laquelle il s’est habitué, même chez lui. En faisant l’épicerie ou en mettant de l’essence.

C’est probablement son côté attachant et sympathique qui encourage même les plus timides à s’émerveiller de voir la légende, qui est au fond d’une simplicité désarmante. L’héritage d’Alex Harvey transcende le domaine du ski de fond, et même s’il a passé sa vie à aller le plus vite possible, il est prêt à prendre le temps de s’arrêter, pour les autres.

Au Centre national d’entraînement Pierre-Harvey ou dans le village qui l’a vu grandir.