Coiffée, maquillée, chic robe noire dévoilant sa musculature définie, Katerine Savard foulait la scène du Gala Québec Cinéma il y a une dizaine de jours. Elle était invitée dans le studio 42 de Radio-Canada pour présenter Nadia, Butterfly, long métrage dont elle tient le premier rôle, qui était nommé pour le prix du film de l’année.

Samedi, bonnet de bain sur la tête, lunettes aux yeux et maillot de polyester et carbone sur les épaules, elle montera sur le plot de départ du Centre sportif panaméricain de Toronto pour tenter de réaliser sa dernière ambition de nageuse : se qualifier pour ses troisièmes Jeux olympiques, ceux de Tokyo, qui s’amorcent le mois prochain.

« Le stress embarque un peu », a confié Savard au téléphone, quelques jours avant son départ pour les Essais, qui se tiendront sans spectateurs et avec un nombre limité de participants, jusqu’à mercredi.

« La plupart du temps, j’ai confiance, mais il y a quand même quelques jours où je suis fragile. Ça fait partie du chemin vers les Essais. En fait, j’ai hâte de voir où j’en suis réellement. »

Au-delà de la pandémie, qui a provoqué deux reports de ces sélections seulement dans les derniers mois, le contexte est bien différent par rapport à 2016. Savard avait raté sa qualification au 100 m papillon, son épreuve de prédilection, où elle était cinquième mondiale. Une certaine Penny Oleksiak, 15 ans à l’époque, lui avait entre autres barré le chemin.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Katerine Savard veut participer aux Jeux olympiques pour la troisième fois.

« Ça ne se compare même pas. En 2016, j’avais la pression d’être celle qui devait gagner, en théorie. La pression de m’entraîner à une seule épreuve. Je ne suis pas dans le même état d’esprit, c’est sûr. Il s’est passé tellement de choses dans les quatre, cinq dernières années. Je suis une personne différente, je pense. Mentalement, physiquement, j’ai changé beaucoup. »

Entre le sport et les arts, la native de Pont-Rouge a aussi terminé son baccalauréat en enseignement au primaire l’automne dernier. À 28 ans, elle est à la croisée des chemins. Comme Nadia, son personnage dans le film, elle anticipe déjà ses derniers moments dans un monde où elle a plongé il y a maintenant 20 ans.

« Si je ne me qualifie pas dans l’équipe olympique, c’est peut-être la dernière fois que j’irai dans la salle de musculation du centre Claude-Robillard, offrait-elle en exemple. Je suis déjà un peu nostalgique. J’essaie de ne pas trop y penser. […] J’aimerais le faire encore un petit deux mois, mettons ! »

Dévastée après sa déception au papillon en 2016, Savard avait rebondi au 200 m libre, une épreuve sur laquelle elle ne misait pas. L’été suivant, elle a gagné le bronze au relais à Rio.

« Ça s’est avéré une chance, mais c’est arrivé par accident. Le 200 libre n’était pas sur mon radar, mais pas pantoute. »

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Katerine Savard à l’entraînement au complexe sportif Claude-Robillard

Cinq ans plus tard, le scénario est inversé. Samedi, elle s’alignera au 100 m papillon, sans avoir l’ambition de se qualifier. Présélectionnée en vertu de sa médaille d’or aux derniers Championnats du monde, l’Ontarienne Margaret MacNeil prend déjà une place. Oleksiak, vice-championne olympique, n’est pas inscrite, préférant se concentrer sur le crawl aux Essais. Sa coéquipière Rebecca Smith part cependant favorite pour l’autre billet disponible.

« Ça va être serré »

Savard n’a pas nagé le temps A de qualification depuis les Essais de 2016. Elle vise donc le 200 m libre, en tâchant « de ne pas se mettre de pression ». Même si six nageuses peuvent potentiellement être choisies, la concurrence s’annonce féroce avec les médaillées olympiques Oleksiak, Taylor Ruck et Emily Overholt ainsi que le jeune phénomène Summer MacIntosh, âgée de… 14 ans. Sa coéquipière de CAMO Mary-Sophie Harvey partage la même ambition (voir autre onglet).

« Avec Mary-Sophie et moi, on est 10 dans la même seconde. Ça va probablement être serré. Pour faire le relais, je pense que ça va prendre 1 min 57 s, ce qui est mon meilleur temps. Je n’en suis pas si loin. Je pense que j’ai encore ma place. »

Savard tire sa confiance d’une simulation de compétition où elle a enregistré son meilleur chrono depuis 2017 (1 min 58 s 57).

Je peux clairement dire, sans l’ombre d’un doute, que je suis dans mon meilleur état d’esprit mental et physique depuis 2017.

Katerine Savard

Son autre visée olympique est le 200 m papillon, qu’elle a délaissé après 2014. Depuis la retraite d’Audrey Lacroix à la fin de 2016, cette course est très ouverte au Canada. Harvey est la dernière championne nationale (2019), ce qui lui avait permis de décrocher l’argent aux Jeux panaméricains de Lima.

« Je ne l’ai pas nagé depuis longtemps, mais je m’y entraîne fort, a assuré Savard. Aucune fille n’a le standard olympique [A]. Ça va dépendre de qui va l’emporter cette journée-là. »

Malgré tous les bouleversements engendrés par le report de 14 mois des Essais olympiques, les semaines loin des bassins, les entraînements dans les bains libres, Savard estime avoir bénéficié de cette période supplémentaire, ne serait-ce que sur le plan de sa condition physique.

« Ça peut jouer en ma faveur, mais ça peut jouer en faveur de beaucoup de personnes aussi. On regarde les plus jeunes, un an de plus, ça peut faire une énorme différence. Est-ce qu’il est trop tard ? On ne le sait pas. »

Savard poursuit la réflexion à voix haute. Elle rappelle 2018 et la longue pause qu’elle a prise loin de la natation.

« Il y a des bouts où je ne croyais pas être capable de retourner à mon niveau, pas du tout. En 2018, je ne pensais même pas être dans la piscine en ce moment. Quand j’ai recommencé, ça m’a pris du temps avant d’y croire. Ça fait environ un an et demi que j’y crois vraiment. »

Est-ce que ce sera suffisant pour une fin comme dans les films ?

L’œil du coach

Dans la dernière année et demie, [Katerine] a réussi des choses à l’entraînement qu’elle n’avait jamais faites. Elle est en pleine forme. Avec toutes ses expériences passées, les déceptions, les succès, son coffre à outils est pas mal plein. Il va falloir se servir de tous les outils pour être capable de se tailler une place dans l’équipe. Ce ne sera pas facile, il y a du bon monde à toutes les épreuves. Il n’y a pas un endroit plus facile qu’un autre. Le 200 libre, où elle a gagné une médaille olympique au relais, est sa meilleure chance. Il y a une fille à 1 min 56 s [Penny Oleksiak], toutes les autres sont à 1 min 57 s. Ça va être à celles qui vont le vouloir le plus. Dépendamment des temps, ils prendront de quatre à six filles pour le relais. Si c’est six, Katerine et Mary-Sophie [Harvey] ont de bonnes chances. Au 200 papillon, Katerine est la seule à avoir nagé sous le standard, mais pas récemment. Un nageur, c’est comme un chat. Tu le lances en l’air et il peut retomber sur ses quatre pattes. J’ai l’impression qu’elle est une des filles qui ont le plus de chances.

Claude St-Jean, entraîneur-chef du club CAMO