En refusant de participer aux Championnats panaméricains de Rio de Janeiro pour des raisons de santé et de sécurité, GymCan prive des athlètes d’une dernière chance de se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo. Les principaux concernés sont déchirés.

La gymnaste Rose Woo et le trampoliniste Jérémy Chartier tiennent encore leur sort olympique entre leurs mains.

Vendredi, Woo a participé à la première journée des qualifications virtuelles de l’équipe canadienne de gymnastique à son club Gym-Richelieu, à Saint-Hubert. Au terme de la deuxième journée, mercredi, elle devra se classer parmi les quatre premières pour se présenter à ses deuxièmes Jeux olympiques à Tokyo.

Selon son entraîneur Michel Charron, les trois premières places sont destinées à trois athlètes qui sortent du lot, dont Ellie Black, quatrième au concours multiple des derniers Championnats du monde de 2019, un résultat historique pour le Canada. Le quatrième poste devrait se disputer entre trois gymnastes, dont Woo qui était substitut aux Mondiaux.

« Rose est quatrième en ce moment, a indiqué M. Charron. Elle a de bonnes chances, mais ce n’est pas dans la poche. Il y a deux autres athlètes en lice qui soit reviennent de blessures, soit n’ont pas encore performé à leur maximum. »

Chartier, lui, cherchera à maintenir sa 16position au classement pour la qualification olympique, la dernière qui donne accès à Tokyo, à l’issue de la Coupe du monde, qui aura lieu en Italie au début du mois prochain.

Il y a environ quatre athlètes de pays différents qui pourraient se faufiler et prendre la [dernière] place.

Karina Kosko, entraîneuse de Jérémy Chartier

Bref, rien n’est gagné, ni pour l’une ni pour l’autre. Si cette dernière occasion de se qualifier ne fonctionne pas, tant Woo que Chartier auraient pu, en théorie, tenter leur chance aux Championnats panaméricains de Rio de Janeiro, compétition ultime de qualification pour Tokyo. En raison de leurs résultats passés et du calibre de leurs rivaux, leurs chances auraient été excellentes.

Protocole inadéquat

Or, la fédération canadienne de gymnastique a pris la douloureuse décision de ne pas envoyer de délégation à la compétition, préoccupée par la prévalence de la COVID-19 au Brésil et jugeant inadéquates les mesures de contrôle sanitaire présentées par le comité organisateur local.

« Ils ne pouvaient aucunement garantir le concept de bulle qu’on connaît très bien ici au Canada, a expliqué Amanda Tambakopoulos, gestionnaire de programme de gymnastique artistique féminine. Ce n’était que des recommandations. On recommandait de ne pas quitter l’hôtel, mais il n’était pas consacré seulement à la compétition. Il n’y a pas d’obligation de porter le masque partout au pays, ce n’est que recommandé. On ne sait pas également si les spectateurs seraient autorisés et s’ils étaient obligés de porter le masque. »

Il y avait tellement de trous pour ce qui est du protocole.

Amanda Tambakopoulos, gestionnaire de programme de gymnastique artistique féminine

L’accès aux soins de santé était une autre préoccupation de GymCan. « C’est bien médiatisé, les hôpitaux sont pleins à craquer au Brésil. Ils avaient une entente avec un hôpital privé, mais sans donner plus de détails sur la disponibilité des médecins et des salles. On est un sport à risques en gymnastique artistique et en trampoline. Les blessures sont fréquentes. On ne s’inquiétait pas seulement de la COVID-19, mais aussi de la capacité de nous recevoir si un athlète se blessait. »

La quarantaine obligatoire de deux semaines au retour au Canada est un facteur qui a également penché dans la balance. « Ça n’affecte pas la majorité des autres pays, a relevé la gestionnaire. En ce moment, on peut voir que la majorité de nos confrères voyagent librement partout et font des compétitions. On est un peu ici dans une bulle canadienne. »

À quelques semaines du départ pour Tokyo, GymCan jugeait que cette période loin des engins empêcherait une performance optimale aux Jeux. « Les athlètes de gymnastique prennent rarement plus d’une journée de congé. Avec un départ le 13 juillet pour Tokyo, ça ne donne presque pas de temps de préparation. Donc, se rendre là pour faire quoi au juste ? »

Bref, le jeu n’en valait pas la chandelle, selon la fédération. « La santé et la sécurité valent plus que des médailles ou des places olympiques », a résumé Mme Tambakopoulos.

Le cœur et la tête

La fédération a offert à ses membres touchés par la décision de GymCan de ne pas participer aux Championnats panaméricains de Rio de Janeiro de faire appel de sa décision devant un arbitre indépendant. Une vingtaine d’entre eux se sont prévalus de cette option. L’arbitre a tranché en faveur de GymCan la semaine dernière. Il doit faire connaître ses motifs d’ici peu.

« Ça n’a pas été un choc, a indiqué le trampoliniste Jérémy Chartier, vendredi. Même si tous les athlètes voulaient vraiment y aller, il reste que le Brésil est un des pays où ça va le moins bien avec la COVID-19. Une partie de moi est triste, une autre est relativement soulagée. Je me serais senti un peu obligé d’y aller, mais je n’aurais absolument pas été à l’aise avec les mesures sanitaires là-bas. »

N’empêche, l’ancien double champion mondial par groupes d’âge est conscient qu’il aurait eu d’excellentes chances de se qualifier pour les JO en se rendant au Brésil, si nécessaire. Il espérait que la situation s’améliore d’ici le mois de juin.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Jérémy Chartier

Mon cœur me disait d’y aller, ma tête me disait que c’était quand même dangereux. Je préférais tenter ma chance de faire appel. Rendu là, je n’aurais plus pensé au danger ou j’aurais fait vraiment attention.

Jérémy Chartier

Son entraîneuse l’avait déjà prévenu : il était « hors de question » pour elle d’aller au Brésil dans ces conditions. Karina Kosko a un enfant immunosupprimé à la maison. « Les Jeux olympiques, c’est gros, mais à un moment donné, la vie est plus importante », a-t-elle souligné.

Michel Charron, lui, était disposé à suivre sa protégée à Rio. « Ce sont quand même des athlètes majeures, Rose est vaccinée, moi aussi, a souligné le coach de 70 ans. On était prêts à courir le risque calculé. On n’est pas stupides, on a des médecins qui travaillent avec nous. La situation pouvait également évoluer. »

Rose Woo avait largement le potentiel d’ajouter une cinquième place pour le Canada à Tokyo. « Suis-je d’accord avec la décision ? Oui et non, a exprimé la gymnaste de 21 ans. Je comprends tout à fait GymCan, que je soutiens à 100 %. Si j’avais été à la place de la fédération, j’aurais pris exactement la même décision parce que c’est mieux de prioriser l’humain avant l’athlète. En même temps, ça fait c… en tant qu’athlète parce que tu travailles toute ta vie pour ça. »

« Décisions plus saines »

Woo se console à l’idée qu’elle a encore une occasion de se qualifier. Elle « compatit » avec ses collègues qui n’auront pas la même chance, comme en gymnastique rythmique et masculine.

Les jeunes William Émard et Félix Dolci, du club Laval Excellence, n’auront donc pas la possibilité de se faire valoir, contrairement à leurs vis-à-vis américains.

« Tout le monde est dans le même bateau, a lancé leur entraîneur, Adrian Balan. On voulait que notre fédération embarque dans le même bateau pour aller à la guerre d’égal à égal avec les autres pays. On ne s’en allait pas là en croisière pour défendre une place olympique. »

On respecte la décision, mais ça ne veut pas dire que je l’approuve ou que je l’accepte avec facilité. On aurait bien voulu que notre fédération mette en place un protocole pour qu’on puisse y aller.

Adrian Balan, entraîneur

René Cournoyer, de Repentigny, sera donc le seul représentant canadien en gymnastique à Tokyo.

Audrey Rousseau, de LaSalle, et Laurie Dénommée, de Saint-Eustache, avaient été sélectionnées pour participer aux Championnats panaméricains. La Montréalaise Sophie Marois était substitut, mais on s’attendait à ce qu’une collègue canadienne déclare forfait.

Après le dévoilement de la décision de l’arbitre, Amanda Tambakopoulos, de GymCan, a rencontré les athlètes touchés à l’Institut national du sport du Québec. Elle leur a suggéré de faire valoir leur point de vue aux fédérations continentale (PAGU) et internationale (FIG), qui ont accepté le déplacement de la compétition au Brésil après le désistement des États-Unis.

« On les encourage à faire entendre leur voix pour que [ces instances] prennent des décisions un peu plus saines par rapport aux sanctions qui sont accordées et aux lieux de compétition. On en a appris beaucoup avec la pandémie. Le sport sécuritaire couvre beaucoup d’aspects, pas seulement les relations personnelles, mais aussi l’environnement qu’on donne aux athlètes. »

Pour les mêmes raisons citées plus haut, GymCan a annulé sa participation aux Championnats panaméricains juniors à Guadalajara (gymnastique artistique) et à Guatemala (gymnastique rythmique).