« J’étais extrêmement affaiblie, physiquement et mentalement, en petite boule dans mon auto, enveloppée dans une doudou. Je gelais, j’étais glacée de l’intérieur… »

Quelques heures après être tombée dans les eaux froides du lac Burnaby, Laurence Vincent Lapointe n’avait pas le goût d’aller disputer une course décisive pour représenter le Canada aux Jeux olympiques de Tokyo, vendredi dernier, en Colombie-Britannique.

Encore une fois, le parcours tortueux de la canoéiste de Trois-Rivières prenait un détour inattendu.

Gagnante de la première course la veille, sa première en près de deux ans, Vincent Lapointe s’était fait souffler la victoire par l’Ontarienne Katie Vincent dans les derniers mètres de la deuxième épreuve. Son ultime coup de reins pour lancer son embarcation vers l’avant l’avait fait chavirer.

Le souffle coupé, elle avait sorti les mains de l’eau pour les empêcher de geler le temps qu’on lui porte secours. Cette deuxième place mettait la table pour un dernier duel déterminant en C1 200 mètres. Elle était la septuple tenante du titre mondial de cette épreuve avant son contrôle antidopage positif en 2019, dont elle a été exonérée six mois plus tard.

Remise d’aplomb par son entraîneur, son préparateur mental et ses proches, Vincent Lapointe est remontée à bord. Encore une fois, Katie Vincent est revenue de l’arrière pour arracher la victoire… par 32 millièmes. L’ultime poussée de la Québécoise a produit le même résultat : une plongée dans le lac.

Malgré cette défaite, rien n’était perdu pour Vincent Lapointe, qui pouvait espérer décrocher son billet pour Tokyo en C2 avec sa partenaire Katie Vincent, celle-là même qui venait de la défaire. Du coup, elle obtiendrait également un départ en C1 à Tokyo.

« Situation exceptionnelle »

Chauffées par les jeunes Sophia Jensen et Julia Lilley Osende, les ex-championnes mondiales ont prévalu par une demi-seconde au premier rendez-vous.

Une autre victoire le lendemain, et l’affaire était réglée. Mais Vincent Lapointe toussait et était fiévreuse à son arrivée au lac. Après une prise de température, alerte COVID-19. Placée en isolement, elle s’est soumise à un test de dépistage qui s’est révélé négatif mardi. Dans les circonstances, la deuxième course a été reportée. Personne ne sait quand – et si – elle aura lieu.

Trois jours plus tard, Vincent Lapointe ne sait donc toujours pas si elle ira à Tokyo. Encore une fois, son sort n’est plus entièrement entre ses mains.

Je suis un peu impatiente à l’idée d’avoir des nouvelles. Pour l’instant, tout ce que je peux faire, c’est de continuer à m’entraîner pour une éventuelle course.

Laurence Vincent Lapointe

Canoë Kayak Canada (CKC) attend des informations de la fédération internationale de canoë (ICF) et du Comité international olympique (CIO). Ils doivent déterminer comment seront distribués les 14 quotas olympiques supplémentaires qui devaient être partagés à l’origine aux championnats américains. Planifiés le mois prochain au Brésil, ceux-ci ont été annulés à cause de la crise de la COVID-19.

Seront-ils repris ailleurs ? En Europe avant la Coupe du monde en Hongrie prévue à la mi-mai ? Au Canada, qui est disposé à les organiser ? Tout le monde l’ignore.

En parallèle, la fédération canadienne poursuit des démarches auprès de l’ICF pour recevoir une place supplémentaire en canoë féminin à Tokyo. Elle fait valoir la « situation exceptionnelle » attribuable à la suspension provisoire de son athlète vedette en 2019, qui n’a donc pu s’aligner aux Mondiaux où les premières places olympiques étaient déterminées, et à la pandémie qui a suivi.

CKC s’attend à obtenir des clarifications à l’issue d’une réunion du conseil d’administration de l’ICF vendredi.

« Dans le passé, le CIO a donné des quotas dans des circonstances exceptionnelles, a rappelé le directeur général de la fédération canadienne, Casey Wade. Une absence de faute après une violation antidopage, la COVID-19 qui bloque toute possibilité de se qualifier et une championne mondiale à 13 reprises, ce serait la définition même d’un cas exceptionnel.

« On travaille avec l’ICF pour assurer une place additionnelle pour des circonstances exceptionnelles. Je ne peux pas trop en parler, mais on doit être patient et discret. On a bon espoir d’obtenir cette place. »

Bilan positif

Vincent Lapointe doit donc attendre. Très nerveuse avant son premier départ à Burnaby, l’athlète de 28 ans trace un bilan positif de ses prestations.

« Oui, je suis arrivée deuxième, mais j’ai eu de très bonnes courses selon moi. […] Avec ma préparation, ce que j’ai pu faire avec la COVID et le fait qu’on est restés au Canada, je pense que je me suis bien débrouillée. J’ai fini très, très proche de ma partenaire. Pour moi, ce n’est pas une grosse défaite. »

Consciente que ses rivales ont fait face aux mêmes conditions, Vincent Lapointe a rappelé son habitude de démarrer ses saisons lentement. Les sélections nationales ont été disputées un mois plus tôt, ce qui a ajouté au défi.

« Je ne suis pas particulièrement déçue de ce qui est arrivé parce que je n’ai pas mal couru. Je ne peux pas dire : “J’ai raté mon départ, j’ai raté ma finale.” J’ai couru à la hauteur de ce que je pouvais faire à ce temps-ci [de l’année]. »

Étant donnés ses temps rapides en eau froide, elle s’attend à pouvoir faire beaucoup mieux l’été prochain, surtout sur le plan de l’endurance.

Tant que j’ai ma chance, qu’on me donne la possibilité d’être sélectionnée, je serai prête et je vais donner une performance à la hauteur de mes capacités.

Laurence Vincent Lapointe

Son absence de la compétition pendant pratiquement deux ans a pesé. Comme sa suspension de six mois, durant laquelle elle était complètement coupée de l’équipe nationale.

« Ça peut paraître surprenant, mais je ne pensais pas que ça m’affecterait encore à ce jour. Mais à l’approche de mes 29 ans, je constate que ces six mois ont laissé des traces. »

« Beaucoup de travail mental » lui permettra de « survivre à ce cycle olympique de quatre ans… qui en comptera cinq ».

Malgré l’incertitude qui se poursuit, elle se projette sur la ligne de départ des Jeux de Tokyo, où le canoë de vitesse féminin est programmé pour la première fois. « J’essaie de garder l’espoir dans mon cœur… »