D’un côté, il y a les 15 principaux commanditaires olympiques, de nombreux noms connus comme Airbnb, Coca-Cola, Visa, Toyota, Samsung et General Electric. Ensemble, ils versent au moins 1 milliard US au Comité international olympique (CIO) et, au cours du prochain cycle de quatre ans, la somme pourrait atteindre 2 milliards.

Ils sont réunis par les Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Pékin, qui s’ouvriront dans un peu moins d’un an. Les commanditaires veulent profiter de la vitrine olympique, mais ces Jeux risquent de nuire à leur image de marque en raison des violations des droits de la personne signalées contre les musulmans ouïghours, les Tibétains et d’autres minorités en Chine.

De l’autre côté se trouve un petit noyau d’avocats et de militants internationaux. Ils les ont qualifiés de « Jeux du génocide » et font pression sur les commanditaires, le CIO et les fédérations sportives mondiales pour qu’ils enquêtent.

Des milliers d’athlètes olympiques sont pris au milieu. Pour la plupart, c’est une occasion unique de devenir célèbre et d’obtenir une médaille. Mais ils sont isolés. Ceux qui s’expriment peuvent être sanctionnés par les organismes olympiques, abandonnés par des commanditaires et menacés par l’État chinois.

« Ce n’est pas juste que ces énormes institutions qui peuvent s’exprimer laissent aux athlètes individuels le soin de le faire, a révélé à l’Associated Press Blair McDougall, directeur de la campagne britannique Stop Uyghur Genocide [Stop à la répression des Ouïghours]. Les comités nationaux pourraient en parler, les commanditaires, le CIO. »

Au lieu de cela, c’est le silence radio.

« Une fois de plus, les athlètes sont utilisés comme des pions », a expliqué Rob Koehler, directeur général de Global Athlete, un groupe de défense des athlètes olympiques.

Campagne de sensibilisation

Les groupes de défense des droits de la personne ont initialement ciblé Airbnb et son président Brian Chesky. Le Congrès mondial ouïghour et d’autres défenseurs des Ouïghours et des Tibétains ont précédemment appelé à déplacer les Jeux, ou à un certain type de boycottage.

« Airbnb se décrit comme une entreprise qui prétend avoir une philosophie, a dit McDougall. Jusqu’à présent, ils nous ont ignorés. »

Pour attirer l’attention, les militants ont conçu une fausse publicité liant Airbnb aux camps d’internement et au président chinois Xi Jinping.

Bien que les commanditaires représentent environ 18 % des revenus du CIO, 73 % proviennent de la vente de droits de diffusion. Le réseau américain NBC représente environ la moitié des revenus de diffusion.

Ce seront les deuxièmes Jeux olympiques à Pékin en 14 ans, après les Jeux d’été de 2008 qui étaient censés améliorer les droits de la personne en Chine. Ces Jeux olympiques ont atterri en Chine après le retrait de plusieurs candidatures européennes en raison des coûts et de l’opposition du public. Le CIO avait deux choix : Pékin ou Almaty, au Kazakhstan. Pékin a gagné lors d’un vote serré 44-40.

« Notre demande directe aux commanditaires est simple, a ajouté McDougall. Rencontrez les Ouïghours et les gens qui ont survécu au réseau des camps afin que vous ne soyez pas complice de l’utilisation des Jeux pour faire taire le problème ; en étant utilisé comme un outil de propagande pour détourner l’attention de ce qui se passe. »

L’Associated Press a contacté les trois commanditaires basés au Japon. La réponse de Toyota était typique en ce qui concerne l’internement des Ouïghours dans le nord-ouest de la Chine. Panasonic n’a pas immédiatement répondu et Bridgestone a envoyé une lettre type du CIO.

« Quant à la situation récente au Xinjiang, nous ne sommes pas en mesure de la commenter », a déclaré Toyota dans un communiqué.

McDougall a contacté la Fédération mondiale de curling, qui a initialement répondu en le bloquant sur les réseaux sociaux. Il a mentionné qu’ils avaient depuis levé le blocage « mais qu’ils sont restés silencieux. »

« Ils subiront des pressions pour ne pas être ceux qui briseront la loi du silence », a soutenu McDougall.

Charte olympique

L’avocat des droits de la personne basé à Londres Michael Polak a déposé une plainte auprès de la commission d’éthique du CIO au sujet des « violations de la Charte olympique » par Pékin. Au lieu de répondre, la commission l’a renvoyé à une déclaration du président du CIO, Thomas Bach.

Le principe 6 de la charte sous « Olympisme » interdit la discrimination « de toute nature, telle que race, couleur, sexe, orientation sexuelle, langue, religion, opinion politique ou autre, origine nationale ou sociale, propriété, naissance ou autre statut. »

Polak prévoit de faire un suivi auprès de Ban Ki-moon, ancien secrétaire général des Nations Unies et président de la commission d’éthique du CIO. La commission elle-même n’est pas indépendante du CIO, mais Polak pense qu’elle devrait l’être.

Le CIO a souvent répété sa position : il organise simplement des évènements sportifs et « n’a ni le mandat ni la capacité de changer les lois ou le système politique d’un pays souverain ».

Le porte-parole du CIO, Mark Adams, a refusé une demande de l’Associated Press visant à rendre Juan Antonio Samaranch fils disponible pour un entretien avec un journaliste et un avocat des droits de la personne. Samaranch dirige les préparatifs du CIO pour Pékin. Lors d’une récente entrevue accordée à l’agence de presse officielle chinoise Xinhua, il a qualifié les progrès des Jeux de « vraiment remarquables ». Bach a qualifié les préparatifs de « presque un miracle ». Ni l’un ni l’autre n’a commenté en public les camps ou les abus ni utilisé le mot « Ouïghours ».

Samaranch est le fils de l’ancien président du CIO, Juan Antonio Samaranch. Il participe également à la gestion de la Fondation Samaranch en Chine. La fondation affirme que son objectif est de promouvoir « l’Olympisme ». Un programme répertorié sur son site Web est dédié à « une conduite sûre et des sports sains » dans le Xinjiang, la région où se trouvent les camps d’internement.

Polak a indiqué qu’il était impossible pour le CIO de garantir que les éléments utilisés dans les Jeux – souvenirs, technologie pour chronométrer les courses ou vêtements – ne soient pas produits par le « travail forcé » ouïghour.

Position canadienne

La Chambre des communes à Ottawa a unanimement adopté cette semaine lors d’un référendum non contraignant – 266-0 – une motion reconnaissant l’existence d’un génocide contre plus d’un million d’Ouïghours et a appelé le CIO à déplacer les Jeux olympiques de Pékin. Le parlement néerlandais a adopté jeudi une motion similaire affirmant que le traitement équivalait à un génocide.

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré qu’il pensait qu’un génocide était commis contre les Ouïghours.

Polak a souligné que la convention des Nations Unies sur le génocide énonce une grande partie des comportements qui ont lieu en Chine.

« Sur le plan international, il n’y a pas de contestation sur le fait que des crimes contre l’humanité sont en cours, a déclaré Polak. Que cela équivaut à un génocide, il y a quelques arguments. Bien que la plupart des gens semblent maintenant admettre que cela atteint le stade du génocide. On parle d’empêcher des naissances et de séparer les enfants de leur famille. »

Polak a précisé que les Jeux pourraient par inadvertance profiter aux Ouïghours. « La couverture télévisée mettra en évidence les violations des droits, et les athlètes pourraient exprimer des critiques. Les athlètes font pression pour ce droit avec des changements à la règle 50 du CIO. »

La journaliste Yuri Kageyama, à Tokyo, a contribué à cet article.