Comment une ancienne patineuse artistique de Saint-Damien de Buckland est-elle devenue la première médaillée canadienne en cyclisme aux Jeux olympiques de Tokyo ? L’étonnant parcours de la cycliste sur piste Lauriane Genest.

(Tokyo) Lauriane Genest tournait encore autour de la piste, l’air en état de choc. Elle a timidement levé le poing gauche. Comme si elle ne comprenait pas ce qu’elle venait d’accomplir.

Une médaille de bronze au keirin, un premier podium individuel pour le Canada en cyclisme sur piste depuis l’or de Lori-Ann Muenzer, à Athènes, en 2004.

« D’une certaine façon, c’est une surprise, mais aux Jeux olympiques, tout le monde a une chance », a répondu Genest à une question de La Presse en conférence de presse.

Même en tombant dans les bras de son entraîneur Franck Durivaux, après la finale, elle ne prenait pas encore la mesure de son exploit.

« D’entrée de jeu, en descendant du vélo, elle me dit : “Ben là, franchement, je ne le réalise pas” », a témoigné le coach d’origine française, jeudi soir, quelques minutes après la finale du keirin féminin.

PHOTO CHRISTIAN HARTMANN, REUTERS

La médaille de bronze au keirin de Lauriane Genest est la première médaille individuelle pour le Canada en cyclisme sur piste depuis l’or de Lori-Ann Muenzer, à Athènes, en 2004.

Genest a craqué au micro de Michaël Roy, de Radio-Canada, seul journaliste canadien sur place au vélodrome d’Izu, situé à deux heures et demie de train au sud-ouest de Tokyo. Elle voulait parler à sa famille restée à Saint-Damien-de-Buckland, dans Bellechasse.

Comment une ancienne patineuse artistique de 23 ans a-t-elle pu devenir la première médaillée canadienne en cyclisme aux Jeux de Tokyo ?

Yannik Morin, son premier entraîneur, en a une très bonne idée.

Après 10 ans à faire des axels sur la glace, Genest s’est acheté un vélo de route pour faire une sortie avec son père. Le goût de faire de la compétition lui était resté. Comme bien des jeunes cyclistes sur route, elle est passée par le vélodrome extérieur de Bromont pour s’initier et marquer des points au classement. La vitesse l’a grisée.

Au printemps suivant, elle a participé à un camp de détection de talents organisé par Morin, un ancien culturiste devenu pilote olympique de bobsleigh et ensuite cycliste sur piste de niveau international. La recrue de 17 ans avait manifestement de la puissance à revendre. Ce n’est cependant pas ce qui a marqué le préparateur physique.

« J’ai vu qu’elle n’avait à peu près pas été exposée à la salle de musculation », a raconté Morin depuis Bromont, où il est le nouveau directeur sportif du futur vélodrome intérieur. « Elle n’avait pas d’aisance avec les charges et les poids. Je me suis dit : “Si elle est capable de générer autant de watts sur le vélo en étant aussi inexpérimentée dans la salle de musculation, son potentiel est encore plus grand.” »

Après un premier été sur la piste, Genest s’est donc mise à la musculation à temps plein, chez elle, à Saint-Damien. Morin savait qu’il n’aurait jamais une autre occasion de modeler la musculature de la jeune athlète sur une aussi longue période. « Le plan ultime était de lui donner du capital musculaire pour toute sa carrière, de bâtir un bon solage. »

À l’automne 2017, sans grande expérience, Genest a remporté le 500 mètres aux Championnats canadiens à Milton. Prise en charge par Durivaux, qui arrivait au Canada après une décennie de coaching en équipe de France, elle n’est jamais retournée au Québec.

En 2018, Genest a reçu une invitation inattendue pour prendre part aux Jeux du Commonwealth de Gold Coast, en Australie. À sa première compétition internationale, elle a réalisé le deuxième temps des qualifications à la vitesse individuelle, établissant même un record à son passage. Elle a finalement terminé au pied du podium.

« Ça a été un élément déclencheur parce qu’elle ne voulait pas revivre ça », s’est souvenu Durivaux. Il a souligné le travail « en amont » de Morin et Pascal Choquette, entraîneur-chef de l’équipe du Québec.

À ses deux premiers Championnats du monde, en 2019 et 2020, Genest a fini 16e puis 13e au keirin, une spécialité où les coureuses sont lancées à 45 km/h par un « lièvre » qui roule à vélo électrique. Au sprint individuel, elle a décroché le 11e rang à son premier essai.

Lauriane a monté progressivement. C’était un peu laborieux au début parce qu’elle avait des qualités monstrueuses, mais n’avait pas l’expérience du haut niveau en termes tactiques.

Franck Durivaux, entraîneur de Lauriane Genest

La pandémie et le confinement ont été l’occasion de poursuivre le travail. La présence de Kelsey Mitchell, cinquième de la finale du keirin à Tokyo, a été un catalyseur majeur.

Issue du programme de détection de talent le « Camp des recrues RBC », l’Albertaine de 27 ans est montée trois fois sur le podium en Coupe du monde, en plus d’établir un record mondial au 200 m lancé.

« Kelsey a fait un énorme bien à Lauriane, a affirmé Durivaux. Elle l’a fait mûrir. Elle lui a fait un peu voir de quoi elle était capable en allant la chercher dans ses retranchements. Ce n’est pas seulement physique. Quand on a une Kelsey Mitchell à l’entraînement, il faut la suivre. Lauriane s’est mise à voir en Kelsey quelqu’un qui lui servait au quotidien. »

Colocataires à Milton, les deux cyclistes ont fait leur musculation ensemble dans une salle aménagée à la maison. Pour les pousser sur la piste, Durivaux s’est fait concevoir un vélo avec un moteur électrique sur la roue avant. « Sinon, c’est trop dur de les suivre ! » De jeunes cyclistes masculins ont également été mis en contribution.

« Lauriane a mûri comme jamais dans les six derniers mois. Ça a été flagrant. J’ai pris un énorme plaisir à travailler avec elle, ces deux dernières années. Ça n’a pas toujours été facile. C’est normal. On apprend aussi à se connaître l’un l’autre, à travailler avec le groupe. Mais on a vécu des moments géniaux et je voyais les choses évoluer dans le bon sens. »

Avant le début des compétitions à Tokyo, les Canadiennes n’avaient pas couru depuis plus d’un an et demi. Durivaux a découvert une Genest « très mature » qui a su exploiter sa pointe de vitesse au bon moment.

« Elle a été très patiente dans les roues quand il fallait. Elle a été très combative quand il a fallu se bagarrer pour les places en finale et en demi-finales. […] Elle a joué à la fois avec toutes ses qualités physiques et tactiques. »

Une surprise, cette médaille de bronze ? Pas vraiment, selon ses entraîneurs. Le keirin peut parfois se transformer « en loterie », explique Durivaux.

« Elle était de plus en plus constante avant la pandémie, a renchéri Morin. Selon le fil naturel des choses, c’est pas mal là qu’elle devrait être. C’est juste qu’elle n’avait pas eu de compétitions pour le montrer. »

Genest a parlé de sa médaille comme de la réalisation d’une vie. Il reste que son plus beau moment de la journée a été d’apprendre qu’elle passait en finale avec Mitchell. Elle aurait tellement souhaité monter sur le podium avec son amie. « Elle le mérite autant que moi », a-t-elle dit à Roy, en larmes.

Les deux coéquipières participaient à la vitesse individuelle à partir de vendredi après-midi. Qui sait jusqu’où elles se rendront ?