(Tokyo) Quand le gong a sonné, Antoine Valois-Fortier s’est accroupi quelques secondes sur le tatami.

Même s’il venait de perdre, il voulait absorber le moment. Vingt ans de carrière, douze au plus haut niveau, des médailles à la pelle, trois aux Mondiaux et une magnifique aux Jeux olympiques de Londres.

L’un des plus beaux palmarès du judo canadien. Presque égal à celui de son ami, son mentor, son jumeau cosmique, Nicolas Gill. Celui-ci l’attendait à la sortie. Il lui a donné une petite tape derrière la nuque.

À part quelques dizaines d’athlètes et de membres du personnel, les 11 000 sièges du Nippo Budokan, sorte de lieu spirituel du judo au Japon, là où le sport a été intégré aux JO en 1964, étaient vides.

Voilà comment s’est terminée la « belle aventure » d’Antoine Valois-Fortier aux Jeux olympiques de Tokyo, mardi après-midi. Deux combats : une victoire de haute lutte contre un Grec tenace au premier tour ; une défaite devant un athlète de nationalité russe dans la ronde des 16.

Non, ce n’est pas la conclusion souhaitée par le natif de Beauport pour sa troisième olympiade. Elle s’est étirée sur cinq années, entrecoupées de blessures, d’une sérieuse opération au dos pour soigner une hernie discale, de la pandémie.

Contrairement à 2016, Valois-Fortier était serein en se présentant devant les journalistes québécois, qu’il s’est excusé de ne pas avoir reconnus à cause du masque. Émotif, certes, mais serein.

« Je ne suis pas certain de la suite des choses pour moi, a dit le judoka de 31 ans au sujet de son court moment de réflexion quelques minutes plus tôt. Ce sont peut-être mes derniers Jeux. C’était juste un peu de déception par rapport à finir cette belle aventure-là. Même si je n’ai pas encore pris de décision, j’en ai plus de fait qu’il m’en reste à faire. »

Fidèle à son habitude, il ne s’est pas défilé. Alan Khubetsov, son adversaire de la ronde des 16, a été plus malin.

Vaincu à deux reprises par son vis-à-vis canadien, contre une victoire, le judoka du Comité olympique russe l’a empêché de saisir son col avec sa main droite. Déstabilisé, Valoir-Fortier s’est fait surprendre dès la 24seconde. Khubetsov a exécuté un « grand fauchage intérieur » et marqué un waza-ari, coussin d’un point qu’il a bien protégé jusqu’à la fin.

« Ça m’a pris une minute pour m’adapter. C’est la minute de trop. Il a vite pris l’avance. Par la suite, je me suis bien ajusté, mais il était trop tard. »

Valois-Fortier a tenté une action qui aurait pu réussir à mi-chemin, mais l’arbitre n’a pas accordé de point. Le Québécois a salué Khubetsov, huitième favori, soit un rang de mieux que lui.

« ll faut lui donner : sur le plan de la stratégie, il est arrivé très préparé. Moi, j’avais une stratégie qui avait fait ses preuves, que je savais fonctionner. Il s’est vraiment bien adapté à ça. Ça m’a pris comme 30, 45 secondes à comprendre son plan de match principal. Il était déjà trop tard. »

Absent des Mondiaux de Budapest du mois dernier pour soigner une blessure aux cartilages de l’abdomen, Valois-Fortier ne regrettait pas sa décision.

« J’avais la tête à la bonne place. Je suis en excellente santé, ma forme physique, mon niveau d’énergie étaient très bons. J’ai bien fait le poids. J’étais serein face à l’évènement. Tout était là. C’est peut-être sur le plan stratégique aujourd’hui que je n’ai pas été sharp, sharp. À ce niveau-là, ça se joue à pas grand-chose. »

Il ne voyait pas de points communs avec 2016, où il s’était effondré en pleurs devant les médias après sa défaite au premier tour du repêchage.

« En 2016, je me mettais beaucoup de pression sur les épaules. Aujourd’hui, dans la salle d’échauffement, j’étais plus relaxe, j’étais heureux, j’ai profité du moment. Ça n’a pas été comme je voulais. C’est sûr que je suis déçu. Je suis plus serein avec le parcours versus Rio, où le stress et le mode panique avaient embarqué de bonne heure. »

La déception était le principal sentiment qui l’animait. « Ç’a été cinq années quand même tough entre les deux oreilles. Un peu déçu que la route se termine comme ça. Les opérations, la pandémie, je suis passé par tous les hauts et les bas. Ça se termine un peu plus sur une contre-performance. C’est ce qui fait la beauté des Jeux. C’est ce qui fait la cruauté des Jeux. »

« Le grand responsable »

L’heure n’était pas aux bilans. Paris 2024 ? On y songera plus tard. « Il est beaucoup trop tôt pour penser à ça. Je vais aller manger de la cochonnerie. Je vais me prendre une bière et juste relaxer. Je suis fatigué un peu. Pour le moment, j’ai la tête vide. Je vais prendre du temps off, voir si ça me manque. »

Il a parlé de l’excellence de ses coéquipiers. De la médaille de bronze de Jessica Klimkait, « l’athlète la plus travaillante » qu’il connaisse. De la cinquième place d’Arthur Margelidon. Du parcours parallèle de Catherine Beauchemin-Pinard qui s’annonçait déjà prometteur, mardi.

Il a refusé de s’en attribuer le moindre mérite, assurant que ses collègues étaient si déterminés que les succès leur revenaient entièrement. « Honnêtement, ces individus-là, c’est la crème de la crème. Je pense qu’ils sont là même si je ne suis pas là. »

Nicolas Gill a remis les choses en perspective. D’abord au sujet de la préparation de son protégé, cantonné pendant de longs mois au Canada sans pouvoir combattre.

« On savait que c’était une année atypique. Antoine n’avait pas une préparation parfaite, c’était clair. Tout ça mis ensemble, le défi était de grande taille. Malheureusement, ça ne s’est pas déroulé comme on l’espérait. »

Ensuite, au sujet de l’impact de Valois-Fortier sur le judo canadien. « Il est indirectement le grand responsable des succès qu’on a cette semaine, a tranché Gill. C’est un secret de Polichinelle : s’il ne gagne pas de médaille à Londres, je ne suis pas ici à vous parler. Il y a peut-être un ou deux judokas qualifiés pour les Jeux olympiques [plutôt que six]. C’est son legs. Pas sûr que tout le monde le réalise, mais c’est la vérité. »

Le centre national de l’INS Québec, les programmes de développement, le financement vital d’À nous le podium : tous attribuables aux succès de Valois-Fortier pendant près d’une décennie.

« Sinon, on était sortis de la carte. C’est comme ça que le système sportif canadien fonctionne. Une fédération comme Judo Canada est totalement dépendante du financement du gouvernement fédéral. Si la porte se ferme derrière toi, tu es correct si elle se referme derrière… »

Quant à l’avenir, Gill souhaite simplement une bonne réflexion à celui dont il est « devenu plus un ami qu’un entraîneur ».

« S’il veut que ce soit son dernier [combat], ce le sera. Sinon, c’est important qu’il finisse en ses termes et qu’il soit à l’aise avec ses décisions. Qu’il décide d’arrêter ou de continuer, on va continuer à l’aider et à le soutenir. »

À moins d’une surprise, Valois-Fortier, bachelier en kinésiologie et diplômé de deuxième cycle en management du sport, restera impliqué dans le judo.

Le hasard a voulu que son point de presse se termine au moment où Beauchemin-Pinard est passée dans la zone mixte après sa victoire en quart de finale. Ils se sont sautés dans les bras.

Valois-Fortier lui a dit : « La journée commence, l’échauffement est fini. » Exactement les mêmes mots que Gill en 2012.