(Tokyo) Quand elle a entendu « waza-ari », Catherine Beauchemin-Pinard s’est dit : « Oh, mon Dieu, j’ai marqué pour vrai ! »

Ce point réussi en prolongation contre la Vénézuélienne Anriquelis Barrios signifiait une chose : elle devenait médaillée olympique.

Elle s’est relevée, a levé les bras, et s’est mise à sourire en même temps que pleurer. Elle a pensé à son père qu’elle aurait tellement souhaité avoir à ses côtés. Victime d’un AVC en 2019, ce dernier lui avait demandé de rapporter une médaille de Tokyo, au grand dam de la mère de la judoka, qui trouvait qu’il lui mettait un peu trop de pression.

Mais l’athlète de 27 ans n’était plus la même que celle des Jeux de Rio en 2016. Elle est plus sérieuse et surtout plus à l’aise dans son corps après un changement de catégorie de poids.

Chez les moins de 63 kg, Beauchemin-Pinard s’est donc rendue jusqu’à un combat pour la médaille de bronze. Face à Barrios, une vieille connaissance, elle n’a jamais lâché le morceau, s’appliquant à saisir la manche droite de sa rivale pour contrôler la séquence de prise du judogi.

Après trois minutes de prolongation, la fatigue a commencé à se faire sentir, mais la native de Saint-Hubert a senti son adversaire faiblir. Elle a forcé, forcé, avant de la contrer et de la projeter sur le tatami pour marquer le point gagnant.

Elle procurait ainsi un deuxième podium au Canada après le bronze de la veille de sa coéquipière Jessica Klimkait. Ces deux médailles représentent un record pour le judo canadien à une même présentation des JO.

PHOTO JACK GUEZ, AGENCE FRANCE PRESSE

Dans la catégorie des moins de 63 kg, la judoka de Saint-Hubert a défait la Vénézuélienne Anriquelis Barrios pour procurer un deuxième podium au Canada après le bronze de la veille de sa coéquipière Jessica Klimkait.

« Ah wow ! Je savais que j’étais capable d’aller chercher une médaille aujourd’hui », a assuré Beauchemin-Pinard, quatrième favorite au début de la journée. « C’était de savoir comment. C’était un combat à la fois et on allait voir où ça allait me mener. J’ai vraiment été contente de tous mes combats. C’est clair que j’ai commencé la journée un peu stressée. »

La « pression est descendue » après sa victoire au premier tour contre la Danoise Laerke Olsen. Dans la ronde des 16, elle a disposé de l’Autrichienne Magdalena Krssakova avec un percutant ippon après 38 secondes. En quart de finale, elle a pris la mesure de la Brésilienne Ketleyn Quadros grâce à une immobilisation.

Elle a subi son seul revers contre la Française Clarisse Agbégnénou, quadruple tenante du titre mondial et future médaillée d’or à Tokyo. Elle n’a pas perdu sa concentration pour autant.

Les encouragements d’Antoine

Avant le combat pour la médaille de bronze, une voix se démarquait dans l’enceinte à peu près vide, celle d’Antoine Valois-Fortier. Après sa cruelle défaite au deuxième tour, il hurlait ses encouragements à sa coéquipière. Un bénévole lui a demandé de s’en tenir aux applaudissements pour respecter le protocole COVID. « J’ai gentiment dit au gars que ce n’était pas possible pour quelques minutes… »

Dès la victoire confirmée, le médaillé de bronze de Londres a bondi de son siège pour saluer l’exploit de sa protégée, descendant les marches quatre à quatre pour pouvoir la féliciter en personne. La joie pure de Beauchemin-Pinard n’était pas sans rappeler la sienne en 2012.

« C’est une médaille sublime ! » a écrit Valois-Fortier à La Presse.

Catherine le mérite tellement. C’est une athlète exceptionnelle, mais surtout une fille et une coéquipière extraordinaire. Je suis content pour elle. Ça me remonte le moral après ma déception.

Antoine Valois-Fortier

Beauchemin-Pinard avait vécu la sienne aux JO de Rio en 2016. Sortie à son premier combat, l’ancienne double médaillée aux Mondiaux juniors a eu cinq ans pour se transformer.

« Ç’a été long. Dans le temps, je pensais moins. J’entrais dans l’action. Je suis plus posée, mes actions sont plus posées, plus réfléchies. Mes préparations pour les compétitions sont plus structurées. Avant Rio, c’était plus party. Je suis plus mature de ce côté-là. »

En 2017, elle a également pris une grande décision : passer des 57 kg aux 63 kg, un tournant déterminant. « Si j’étais restée à 57 kg, je n’aurais plus aimé faire du judo. C’était rendu trop dur. De grosses diètes, des pertes de poids de 10 kg, des déshydratations de 5 kg. À la fin, ce n’était vraiment plus sain. »

Elle a fait appel à une psychologue spécialisée, une nutritionniste et un préparateur mental. Les résultats ont mis un peu de temps avant de se concrétiser.

« Plusieurs personnes doutaient de sa capacité à bien faire dans cette nouvelle catégorie, a confié son entraîneur, Sasha Mehmedovic. C’est pourquoi cette médaille est si spéciale. J’ai toujours cru en elle. On a travaillé vraiment fort ces cinq dernières années. Tout ce que je peux dire, c’est qu’elle mérite cette médaille. Elle est spéciale pour elle, mais pour tout le monde à Judo Canada et moi aussi. »

L’anecdote est connue. Catherine Beauchemin-Pinard avait 9 ans quand elle a découvert le judo dans un manuel scolaire de français. Un texte parlait de Nicolas Gill qui avait eu « la piqûre pour le judo ». Elle a demandé à ses parents d’avoir elle aussi « la piqûre pour le judo ».

Près de 20 ans plus tard, à son tour de marquer l’histoire en devenant la première judoka québécoise médaillée olympique. Avec celle de Klimkait la veille, elle souhaite créer un effet d’entraînement au pays.

J’ai l’impression qu’on va motiver beaucoup plus de jeunes filles. Autant du côté anglais que québécois ! J’espère que ça va motiver du monde à venir faire du sport, venir faire du judo et que la relève va être là.

Catherine Beauchemin-Pinard

Beauchemin-Pinard ne sait pas ce que l’avenir lui réserve ni si elle sera là à Paris en 2024. Elle souhaite terminer sa dernière année au baccalauréat en comptabilité à l’UQAM avant d’entreprendre le processus pour devenir CPA. « Je commencerais par faire un an pour voir si j’ai encore la flamme. »

Pour l’heure, elle ne pensait qu’à une chose, retrouver ses proches et sa famille et remettre sa médaille à son père, qui soulignait son anniversaire le 25 juillet.

« Ils m’attendent pour le fêter. Je vais lui rapporter un beau petit cadeau. Sa condition s’est améliorée, mais ça stagne. Il a de la misère à parler. Il ne bouge pas beaucoup. Mais il est encore présent et comprend ce qui se passe. Ma mère est forte d’être à ses côtés et de s’occuper de lui. »

Sa fille aussi est très forte.