Née à Saint-Georges-de-Beauce, élevée à Regina après un passage à Halifax, Tammara Thibeault suit les traces de son père, un ancien joueur de la Ligue canadienne de football. La boxeuse de 24 ans, qui a accompagné sa famille à Shawinigan, tentera de procurer une première médaille olympique au Canada en un quart de siècle à Tokyo.

Tammara Thibeault n’a jamais oublié la première fois où elle a vu boxer son père.

Sa mère avait conduit de Regina à Swift Current pour les championnats provinciaux de la Saskatchewan. Patrick Thibeault, jeune retraité des Roughriders de la Saskatchewan, dans la Ligue canadienne de football, s’y battait en finale. Le bruit courait que son adversaire, plus expérimenté, était pour lui faire sa fête.

Thibeault lui avait passé un K.-O. percutant au premier round. « Le gars était tombé comme un arbre, c’était tellement hot ! », se remémore Tammara, qui avait 10 ans à l’époque. « C’était peut-être un peu sadique, mon affaire… Écoute, j’étais jeune. C’est devenu clair : je veux faire ça, c’est malade ! »

Un an plus tard, elle a enfilé les gants pour la première fois au club de boxe de Regina, qui organisait des soirées familiales le vendredi. Une gauchère, comme son père, a d’emblée remarqué George Goff, entraîneur bien connu dans le milieu de la boxe olympique au Canada.

« Il a poussé sur mes épaules pour s’assurer que ma position était solide. Il a dit : “Tu es forte comme ton père, tu vas être aussi bonne.” Tu dis ça à une enfant de 10 ans… Oublie ça. »

C’est là où j’ai fait : “Ça va être cool, je vais être comme mon père. Je vais faire de la boxe et je vais knocker du monde !”

Tammara Thibeault

Encore fallait-il lui trouver des rivales à sa taille. Même si « elle avait l’air d’une princesse plus que d’une boxeuse », aux dires de Patrick, Tammara Thibeault mesurait déjà 5 pi 8 po et pesait 130 lb.

Goff a finalement déniché une boxeuse des Territoires du Nord-Ouest à qui il a payé le voyage pour un tournoi à St. Catharines, en Ontario. Un officiel, ami de l’entraîneur, a dit à Thibeault qu’elle ressemblait à Mary Spencer, double championne mondiale et égérie de la boxe féminine canadienne à l’époque.

La graine était semée au moment où la boxe féminine était admise au programme des Jeux de Londres, en 2012 : « Je me suis dit : je vais aller aux Jeux olympiques et chercher une médaille d’or. »

Sur les traces de son père

PHOTO FRANÇOIS GERVAIS, LE NOUVELLISTE

Tammara Thibeault avec ses parents, Judeline Corriveau et Patrick Thibeault

Impossible de résumer le parcours singulier de Tammara Thibeault en trois lignes. Elle est née à Saint-Georges-de-Beauce, où ses parents se sont rencontrés. Sa mère, Judeline Corriveau, une Haïtienne, a été adoptée à 4 ans par un couple de l’endroit.

Originaire de Baie-Comeau, son père y a déménagé à 15 ans pour jouer au football. Un an plus tard, ils étaient ensemble. Ils ont eu leurs deux premiers enfants quand ils étaient au cégep, Malcolm et Tammara. Après un court passage à Victoriaville, encore pour le football, ils se sont mariés à Saint-Georges, juste après la naissance de leur troisième enfant, Kayla.

À la fin de cet été-là, la petite famille s’est installée à Halifax, où Patrick a commencé sa carrière universitaire pour les Huskies de Saint Mary’s, avec qui il a gagné la Coupe Vanier en 2001.

Les enfants n’étaient jamais loin, même durant les entraînements. « Blake Nill, l’un des meilleurs coachs que j’ai côtoyés, laissait aller ça, rapporte Patrick, un receveur. C’était génial. Ils couraient autour du terrain. Ils avaient 75 mononcles, ils étaient gâtés pourris. Les gars les prenaient dans leurs bras, leur offraient du chocolat, des chips. »

Tammara se souvient surtout de s’être amusée dans le vestiaire des Roughriders, l’équipe de son père dans la LCF. Après une autre année dans la Beauce, elle est déménagée à Regina à l’âge de 8 ans, peu après la naissance de son petit frère, Patrick-Démitrie Jr.

Patrick se servait de la boxe comme outil de préparation pour le football. Les soirées du vendredi étaient un moment privilégié pour les quatre enfants.

« De toute la gang, j’étais la moins athlétique, s’amuse Tammara, qui avait joué au basketball jusque-là. Mes frères et ma sœur étaient tous talentueux. Ils avaient le physique parfait. J’étais complètement à l’opposé, plus grassouillette. »

J’étais dans mes livres, mon propre monde. Je me faisais des histoires. J’aimais chanter, danser. La fibre athlétique, je ne l’avais vraiment pas.

Tammara Thibeault

Dès le début, elle s’est cependant distinguée par sa résilience, un trait de caractère hérité de sa mère. « Ce qui a fait la différence, c’est ma persévérance. J’ai de la misère à lâcher le morceau. »

Son père, devenu coach à temps perdu, le confirme. Quelques années après leur déménagement à Shawinigan, où ils ont rejoint le club de boxe local, sa fille l’a pratiquement harcelé pour qu’il l’entraîne. D’abord réticent – il craignait de mélanger la famille et le sport –, il s’est finalement laissé convaincre. Il a découvert une athlète dont la discipline frôlait le « zèle ».

« Si j’avais eu cette discipline au même âge, je te jure, je n’aurais pas joué dans la LCF, mais dans la NFL. Elle est incroyable. »

« Elle assommait tout le monde »

Défaite par Ariane Fortin lors des qualifications pour les Jeux de Rio, à la fin de 2015, Tammara Thibeault est partie quelques mois à Halifax, à l’insistance de ses parents. Elle a étudié à l’Université Dalhousie.

« Il fallait que je sorte un peu de ma coquille, explique-t-elle. J’étais toujours à l’école et dans la boxe. Je suis une personne vraiment assidue, à mon affaire. Ils m’ont dit : “Relaxe, tu as juste 19 ans, va vivre des choses !” »

Le duo père-fille a travaillé ensemble pendant deux ans. Patrick a importé ses notions de football, favorisant la préparation physique, la périodisation et l’analyse vidéo. Au printemps 2017, Tammara a remporté un premier championnat national. « Elle assommait tout le monde », résume avec fierté celui qui préside le club de boxe de Shawinigan.

Quelques mois plus tard, elle a enlevé le titre continental chez les 75 kg au Honduras, une victoire déterminante.

« C’était le début d’une aventure. L’énergie de l’équipe était incroyable. Ça m’a ouvert les yeux sur les possibilités qu’il pourrait y avoir devant moi. »

La boxeuse de 1,83 m a ensuite pris la direction de Montréal pour s’entraîner au centre de Boxe Canada à l’Institut national du sport du Québec. Peu avant son départ, sa sœur lui a offert un chien, un husky labrador qu’elle a nommé… Rocky. « C’est cliché, mais c’est ce qui lui allait le mieux ! »

Pendant trois ans, Tammara Thibeault a poursuivi sa progression sous la supervision de l’entraîneur João Carlos Barros, un Brésilien passé par la réputée école cubaine.

Après une médaille de bronze aux Jeux du Commonwealth de 2018, elle a enlevé l’argent l’année suivante aux Jeux panaméricains. Elle avait d’abord reçu le bronze à Lima, mais la disqualification pour dopage de son adversaire colombienne en demi-finale l’a fait grimper d’une marche.

Deux mois plus tard, la Canadienne a gagné le bronze aux Championnats du monde, en Russie. « C’est vraiment ma plus grande réussite. Au-delà de la médaille, je suis extrêmement fière de la façon dont j’ai géré le processus. Ç’avait été une année difficile, avec beaucoup de tournois, la préparation pour les Jeux olympiques et des Jeux panaméricains qui ne se sont pas passés comme je l’aurais voulu. »

Pendant la pandémie, Tammara Thibeault est retournée dans sa famille à Shawinigan. Pendant que ses jeunes voisins jouaient avec leur panier de basket dans la rue, elle sortait son sac d’entraînement devant le terrain. « Les gens savaient un peu qui j’étais, mais là, ils ont vu que j’étais sérieuse ! »

Cette pause forcée lui a permis d’accélérer ses études au baccalauréat en urbanisme à l’Université Concordia et de renouer avec sa mère, qui lui a légué sa persévérance, et son père, son grand mentor.

« Mon histoire commence par celle de mes parents. Ce sont mes héros. Ils m’ont montré à avoir une bonne éthique de travail et à rester optimiste. Ma famille, c’est ma force. »

Même si ses parents ne pourront l’accompagner à Tokyo, elle sait qu’ils seront dans son coin.