L’escalade est l’un des cinq nouveaux sports intégrés au programme des Jeux olympiques de Tokyo. Le Canadien Sean McColl s’annonce comme un candidat au podium l’été prochain.

Sean McColl était à Montréal au début du confinement, à la mi-mars. De retour d’un stage d’entraînement de l’équipe canadienne à Ottawa, le grimpeur de Vancouver a visité les centres d’escalade Bloc Shop, dans Ahuntsic-Cartierville, et Allez Up, dans Point-Sainte-Charles, pour poursuivre sa préparation avant de s’envoler vers l’Europe.

« Les gyms à Montréal sont supérieurs pour l’entraînement que ceux de Vancouver, ce qui est un peu ironique », notait-il au téléphone plus tôt cette semaine.

Comme tout le monde, McColl a dû changer ses plans avec la pandémie du nouveau coronavirus. Cloîtré pendant des mois dans son appartement de Vancouver, il a fait comme il a pu. Pour entretenir son principal outil, ses doigts, il a conçu une « station de suspension ».

« Ce ne sont que des prises que tu utilises pour renforcer tes doigts. Tu te laisses pendre sur ces petites prises dans ta garde-robe à la maison. Ça te permet de garder la force dans tes doigts. C’est la principale chose qu’on fait en escalade : se suspendre. Avec ça, j’ai pu maintenir 75 % de mon entraînement et de mon conditionnement physique. Le dernier 25 %, ça se passe dans un espace ouvert où tu peux grimper sur les murs. »

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Sean McColl est parmi les meilleurs grimpeurs de la planète.

Si près, si loin

McColl avait rencontré La Presse à Toronto en décembre dernier. Quelques mois plus tôt, il s’était qualifié pour les Jeux olympiques de Tokyo dans le cadre des Championnats du monde de Hachioji, au Japon. Il se pinçait encore.

« C’était fou, presque bizarre. J’ai toujours rêvé d’aller aux Jeux olympiques, mais je n’en avais pas la chance parce que mon sport n’y était pas représenté. »

Tout a changé avant l’ouverture des derniers JO de Rio, le 3 août 2016. Dans le cadre de sa 129e session, le Comité international olympique (CIO) a annoncé l’inclusion de cette nouvelle discipline en 2020, en même temps que le baseball/softball, le karaté, le skateboard et le surf.

« En 2016, ça faisait 18 ans que j’étais grimpeur. Quand ils ont mis l’escalade aux Olympiques, je me suis immédiatement dit : OK, je vais essayer d’y aller. Si je prends ces trois ans et que je les rate, jamais je ne le regretterai. »

Dans un compromis servant à limiter le nombre de participants à 20 par sexe, la fédération internationale a choisi de regrouper les trois disciplines traditionnelles de l’escalade dans une épreuve combinée, un peu à l’image du triathlon. Les médailles couronneront donc les meilleurs à la vitesse, au bloc et à la difficulté.

Trois disciplines

- La vitesse : Deux concurrents grimpent le plus rapidement possible une paroi standardisée de 15 mètres et inclinée de 5 degrés, selon une formule d’élimination directe. Ce véritable sprint ne dure généralement que de 5 à 7 secondes pour les hommes et de 7 à 8 secondes pour les femmes. La victoire se joue aux centièmes de seconde. « C’est l’entraînement le plus scientifique qui soit, car il est très proche de celui de l’athlétisme, soulignait McColl en entrevue avec olympic.org. Les entraîneurs ont recours aux ralentis. La façon dont on démarre en vitesse est très similaire à un départ de 100 m. »

- Le bloc : Discipline la plus récente, le bloc propose quatre parcours complexes et techniques d’environ 4,5 m. Un temps d’observation est imparti à l’ensemble des concurrents avant le début de l’épreuve individuelle et l’isoloir. Le classement est établi en fonction du nombre de sommets et de zones intermédiaires atteints en quatre minutes. Le nombre de tentatives est également pris en considération. « C’est athlétique, il faut sauter, cela demande de la coordination, explique McColl. Cela ressemble un petit peu au parkour, il faut utiliser son élan. C’est presque comme si on était des gymnastes, mais au lieu de créer son propre enchaînement, on nous en impose un qu’on doit réaliser parfaitement. »

- La difficulté : Disputée sur une paroi d’au moins 15 m, la difficulté est ce qui se rapproche le plus de l’escalade traditionnelle extérieure. Les grimpeurs disposent d’une période d’observation de six minutes avant de s’exécuter un par un, sans pouvoir regarder la tentative des autres participants. L’objectif est d’atteindre la plus haute prise possible. Une chute provoque l’élimination. Les concurrents sont attachés à un filin de sécurité. « La difficulté est notre discipline aérobique », résume McColl.

Le classement final est établi en multipliant le rang obtenu à chacune des trois épreuves. Le grimpeur avec le score le plus bas remporte la médaille d’or.

> Voyez le format du combiné expliqué (en anglais) 

Dans la communauté des grimpeurs, le choix de ce format combiné n’a pas fait l’unanimité. La vitesse est considérée comme un sport à part. Pour le polyvalent McColl, cette formule paraît idéale. De 2009 à 2016, il a remporté à quatre reprises le titre mondial du combiné.

« Ce qui sera spectaculaire, c’est la différence entre les disciplines. On va commencer avec la vitesse, où on va voir l’explosivité des grimpeurs. Quelques grimpeurs sont spécialistes de la vitesse, mais faibles dans les deux autres disciplines. Mais si on est moyen dans la vitesse et qu’on est assez fort dans les deux autres, on peut être sur le podium. »

Blessures

Ralenti par des blessures en 2017 et 2018, le grimpeur originaire de North Vancouver a retrouvé la santé l’an dernier. Sa qualification n’a toutefois pas été facile. Aux Mondiaux, il a conclu au 10e rang. La présence de quatre Japonais devant lui, alors que le quota maximal par pays pour les JO est de deux, lui a permis de se glisser de justesse parmi les heureux élus.

McColl n’a réussi que le 37e temps à la vitesse, qui constitue son talon d’Achille. « Aujourd’hui, je suis plus fort en difficulté, note l’athlète de 32 ans. J’ai gagné des médailles de Coupe du monde en bloc, mais le style a un peu évolué ces cinq, six dernières années. Je pense que c’est un peu plus facile si tu es plus grand. »

À 1,69 m, McColl figurera parmi les plus petits grimpeurs à Tokyo. Il souligne néanmoins que les Japonais Tomoa Narasaki, champion mondial en titre du combiné, et Kai Harada, cinquième, sont de taille semblable. Ces derniers sont de véritables vedettes dans leur pays, où les sports d’escalade sont très populaires.

« Beaucoup de Japonais me connaissent, note McColl, mais ils aiment vraiment, vraiment leurs athlètes ! Personnellement, j’adore aller au Japon. J’aime leur culture, leur nourriture. Ils sont aussi très respectueux et organisés, des qualités que j’apprécie. »

Il a commencé à pratiquer l’escalade en salle avec ses parents à l’âge de 10 ans. De 12 à 18 ans, il a remporté tous les titres nationaux de son groupe d’âge.

Après un diplôme universitaire en informatique au début de la vingtaine, il est parti en France pour poursuivre sa passion… et rejoindre sa copine de l’époque, membre de l’équipe nationale française. Ce séjour lui permet aujourd’hui de livrer des entrevues dans un bon français, mâtiné d’expressions de l’Hexagone comme « compète » et « la diff’ ».

« J’ai toujours pensé que c’était impossible de faire une carrière en escalade. Au fil du temps, j’ai eu de meilleurs commanditaires et j’ai découvert que ça se pouvait. »

Aujourd’hui, McColl vit en partie en Autriche, en France et en Allemagne pour l’entraînement.

Popularité croissante

À titre de représentant des athlètes au sein du conseil exécutif de la fédération internationale, il s’attend à ce que le sport gagne en popularité grâce aux Jeux olympiques. À Paris, en 2024, la vitesse devrait être une épreuve à part entière, tandis que le combiné sera composé du bloc et de la difficulté, si un vote favorable se confirme en décembre prochain.

« Ça a un peu plus de sens », note McColl, qui se voit poursuivre au moins jusqu’en 2024. « Je veux faire le bloc et la difficulté. Pour 2028, l’objectif est d’avoir les trois disciplines séparées avec leurs propres médailles. Et peut-être un combiné des trois. J’aurai 40 ans et peut-être deux, trois gosses. Ce serait aussi un rêve de peut-être faire mes troisièmes JO. En difficulté, on peut s’entraîner quand on est plus vieux, parce que ça ne demande pas autant de force physique. »

Le gagnant de cinq Coupes du monde doit d’abord penser à Tokyo, où les compétitions devaient se dérouler à l’extérieur dans le parc de sports urbains d’Aomi, avant le report de l’événement.

« En escalade, je me bats toujours contre moi-même. Je veux grimper au maximum pour moi. Si je fais un record personnel en vitesse et que je grimpe bien au bloc et en difficulté, je devrais être en finale [réservée aux huit meilleurs] et peut-être aller sur le podium. Mais si ce n’est pas dans les cartes, j’aurai adoré toute l’expérience. »

Avec la distanciation physique, McColl se doutait que la reprise de l’entraînement ne serait pas simple. Avec un ami, il a donc entrepris la construction d’un centre personnel à Vancouver, installé entre deux commerces, à l’abri de la pluie. Les deux murs, dont un en surplomb, lui permettent d'exercer ses aptitudes en bloc. Il pourra s’adonner à la vitesse et à la difficulté dans un nouvel espace qui doit ouvrir sous peu à Richmond.

Il n’est pas pressé de reprendre la compétition, jugeant hâtive la volonté de la fédération internationale de relancer le circuit de compétitions en août.

« Le plus important est de contrôler la pandémie. Si ça veut dire que je ne compétitionne pas avant 2021, ça me va. » Après 18 ans à attendre, il a déjà aiguisé sa patience.

Quelques faits

Guerrier ninja

Les amateurs d’American Ninja Warrior connaissent déjà Sean McColl. De 2014 à 2018, le Canadien a participé à quatre séries d’émissions de la populaire compétition américaine à titre de membre de l’équipe européenne. « Ils croyaient que j’étais français ! », dit en souriant McColl, qui avait fait une forte impression. « Peut-être qu’après les Jeux olympiques, en 2021, ils me laisseront créer une équipe canadienne. »

Pour voir McColl en action (en anglais)

Une tragédie

Luce Douady, l’un des plus beaux espoirs de l’escalade, s’est tuée en glissant dans une falaise de 150 mètres, le 14 juin. La Française avait 16 ans. McColl l’avait rencontrée un an plus tôt alors que l’adolescente participait à sa première Coupe du monde à Vail, au Colorado. La championne mondiale junior avait terminé cinquième au bloc. « Elle s’entraînait à mon ancien club en France, le Chambéry Escalade. J’étais également de cette finale. Je suis donc allé la voir pour essayer de la guider un peu. Je sentais une connexion avec elle. Elle était une grimpeuse incroyable. Avec sa progression, elle aurait gagné au niveau de la Coupe du monde, qui sait dans combien d’années. »

Une Canadienne qualifiée

McColl ne sera pas le seul représentant canadien en escalade aux JO de Tokyo en 2021 : sa bonne amie Alannah Yip a assuré sa place en remportant les Championnats continentaux panaméricains, compétition de la dernière chance à Los Angeles au début de mars. McColl était là pour la soutenir : « Elle est comme ma petite sœur. Elle vient aussi de North Vancouver et on s’entraîne parfois ensemble. J’ai été à ses côtés pour chaque étape de la qualification et j’ai ressenti une fierté immense quand elle a réussi. »