Gilles Gilbert n'a jamais été fort sur les statistiques. Ce soir du 11 février 1971, le gardien des North Stars du Minnesota est entré au Forum sans savoir ce que toute la ville savait: que Jean Béliveau n'était qu'à trois filets d'atteindre le saint Graal des 500 buts.

Le grand attaquant du Canadien a passé une première rondelle derrière Gilles Gilbert, puis une deuxième. «Quand il a marqué son troisième but, j'ai pensé que le plafond du Forum allait tomber. Je ne comprenais pas pourquoi. Je me disais: «Ben coudonc, c'est pas la première fois qu'il marque un tour du chapeau?! "»

Après la rencontre, le gardien de 21 ans est allé rejoindre ses parents dans un couloir. C'est là que Jean Béliveau est venu le voir. Déjà, le capitaine du Canadien était une légende. Il avait 39 ans. C'était sa dernière saison. Il allait marquer sept buts de plus avant d'accrocher ses patins. Il aurait pu passer son chemin. Mais il est allé droit vers le jeune gardien et a prononcé des mots devenus célèbres. Le grand Jean Béliveau s'est excusé.

«Tu sais, Gilles, je m'excuse si c'est arrivé à toi. Ce soir, c'était ma soirée. Mais ç'aurait pu être contre [Terry] Sawchuk ou [Glenn] Hall. Continue, tu as une grande carrière devant toi.»

C'est ainsi que Gilles Gilbert se souvient des mots de Béliveau. C'est ainsi qu'il est entré à jamais dans l'histoire. «Malheureusement, je dirais. Ce n'est pas un honneur, ni un déshonneur. Disons que j'ai été la victime du 500e but de Béliveau.»

De la bonté

Trois ans plus tard, Gilles Gilbert était rendu avec les Bruins. Il a été sélectionné pour le match des étoiles disputé cette année-là à Chicago. Béliveau était là. Le jeune retraité l'a pris à part et lui a dit: «Je t'avais dit que tu aurais une belle carrière.»

«Il avait une bonté, ce Jean-là, c'est pas croyable. Quand on signait des autographes avec lui, il restait jusqu'au dernier et il jasait avec tout le monde, raconte Gilbert. Il nous laisse en héritage, à tous les joueurs de hockey, son amour du public. Il savait qui payait son salaire: les amateurs.»

«Aujourd'hui, quand les joueurs signent des autographes, ç'a pas de bon sens, on dirait des docteurs qui signent des prescriptions», déplore l'ancien gardien.

Les deux hommes sont restés amis, même si, ce soir du 11 février 1971, ils étaient chacun sur des versants opposés de l'Histoire. Gilles Gilbert sait que, parce qu'il en a été la victime la plus notoire, son nom sera à jamais lié à celui de Béliveau. Il n'en prend pas ombrage. «Faut croire que mon nom va être dans la bible du hockey, ben coudonc!», lance-t-il.

Mercredi matin, la femme de Gilles Gilbert a tourné le journal à l'envers. «Tu n'aimeras pas ce que tu vas voir», lui a-t-elle lancé en guise d'avertissement. «J'ai vu la photo de Jean. Ça m'a pogné au coeur. Les larmes sont venues, veut, veut pas.»

Voilà l'aura de Jean Béliveau, cet homme qui a terrorisé les gardiens adverses pendant des années sur la glace, mais qui les fait pleurer de chagrin le jour de sa mort. «On en a perdu un grand, résume Gilles Gilbert. Ça me fait de la peine.»

LES JOURNÉES À VENIR

Dimanche et lundi, de 10 h à 18 h

Chapelle ardente (Centre Bell, entrée principale)

Mercredi, 14 h

Funérailles (cathédrale Marie-Reine-du-Monde, boulevard René-Lévesque, angle Mansfield)