C'est dans sa maison de Longueuil, auprès de sa femme, que Jean Béliveau est mort des suites d'une pneumonie, mardi vers 22h30. La légende du Canadien, vainqueur de 10 Coupes Stanley, était «serein» à l'orée de la mort, selon son ami Brian Mulroney.

«Je suis allé le voir dans sa chambre à coucher, chez lui, il y a quelques semaines, a raconté l'ancien premier ministre Mulroney en entrevue, hier. Il n'était pas bien. Mais il était très lucide, gentil, souriant. On a parlé de sa carrière, de ses enfants, de ses petits-enfants et de sa vie.»

«Je l'ai senti serein. On a parlé du fait qu'il avait toutes les raisons de l'être tellement sa vie était impressionnante là où ça compte: il a eu une carrière professionnelle probablement inégalée, avait une réputation sans tache, des réalisations énormes pour la communauté, dit M. Mulroney. Il était admiré partout. Je lui ai dit.»

Les éloges sont venus hier comme venaient pour lui les points et les buts: par centaines. La mort de cette icône n'a laissé personne indifférent. En début de soirée, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a annoncé que M. Béliveau aura droit à des funérailles nationales mercredi prochain à 14h. Elles auront lieu à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, au centre-ville de Montréal.

«M. Béliveau était respecté, admiré, mais surtout aimé par les Québécois et les Québécoises», a déclaré M. Couillard dans un communiqué.

La dépouille de ce membre du Temple de la renommée du hockey sera par ailleurs exposée en chapelle ardente au Centre Bell dimanche et lundi. L'amphithéâtre sera ouvert au grand public entre 10h et 18h.

Hier, des admirateurs de Jean Béliveau ont convergé vers la statue qui jouxte l'aréna qui porte son nom, à Longueuil. Un foulard du Canadien a été passé autour du cou de bronze et des mots d'affection ont été déposés à ses pieds.

Une statue à son effigie existe également à Montréal, devant le Centre Bell. Mais elle avait été retirée de la place du Centenaire depuis le début des travaux de construction de la Tour des Canadiens. L'équipe a décidé hier midi de ressortir la statue, qui était remisée. Elle a été installée devant l'entrée principale, avenue des Canadiens-de-Montréal.

Un homme de famille

La famille Béliveau a été consultée hier tant par l'équipe que par le gouvernement du Québec. Elle a accepté «de partager son deuil avec la population». «Conformément aux volontés de la famille, toutes les activités seront à l'image du disparu: simples et accessibles au public», a indiqué le Canadien dans un communiqué.

La famille a toutefois demandé aux médias de respecter son intimité. Elle n'a d'ailleurs pas commenté la mort du patriarche.

Jean Béliveau était reconnu comme un homme de famille. C'est d'ailleurs pour rester auprès d'elle qu'il a refusé, par deux fois, une carrière politique - il s'est vu offrir un poste de sénateur puis de gouverneur général du Canada.

Le gendre de M. Béliveau est mort en 1986, laissant sa fille Hélène mère monoparentale. Jean Béliveau avait alors décidé qu'il s'occuperait coûte que coûte de ses deux petites-filles, Mylène et Magalie.

En mars 1993, Brian Mulroney lui a offert un poste de sénateur indépendant. «Il a refusé. Il m'a dit que c'était tout un honneur, que ce serait formidable. Mais il m'a dit: «J'ai une responsabilité particulière maintenant auprès de ma famille: ma fille et mes deux petites-filles», se souvient l'ancien premier ministre du Canada. Il était auprès de sa femme, de sa fille et de ses petits-enfants d'une fidélité extraordinaire.»

«J'ai eu le plaisir de connaître bien des gens dans ma vie, a ajouté M. Mulroney. J'ai 75 ans maintenant et j'ai servi longtemps comme premier ministre. J'ai fait toutes sortes de choses dans ma vie. Mais je peux vous dire que je n'ai jamais rencontré un homme plus impressionnant.»

Maurice et M. Béliveau

Jean Béliveau était l'un des derniers géants de la génération dorée du Canadien, qui a remporté cinq Coupes Stanley d'affilée entre 1955 et 1960. L'exploit n'a jamais été égalé.

L'autre géant, Maurice Richard, est mort il y a plus de 14 ans, le 27 mai 2000. Les deux hommes ont joué ensemble sept saisons complètes. «Ils étaient deux monuments, mais ils sont bien différents en même temps, explique l'auteur des Yeux de Maurice Richard: une histoire culturelle, Benoît Melançon. Maurice Richard était imprévisible. Avec l'émeute de 1955, dans le récit historique des Canadiens français, un martyr est né. Il n'y a pas cette dimension avec M. Béliveau. Il a une tangente plus rectiligne, sans surprise. Il fait ce qu'on attend de lui et il le fait très bien.»

M. Melançon note aussi que Jean Béliveau était grand, «que tout lui semblait facile sur la glace». «M. Richard, lui, était petit et il avait une grande détermination. Il devait se battre pour faire sa place, explique-t-il. C'était plus facile pour les gens de s'identifier au petit qu'au grand.»

La proximité apparente n'était pas non plus la même. Le professeur de littérature à l'Université de Montréal note que l'un se faisait appeler «Maurice», alors que l'autre avait droit à «monsieur Béliveau». «On tutoyait Richard, on vouvoyait Béliveau», dit-il.

Mais qu'on l'appelle Jean ou monsieur Béliveau, reste que l'homme a marqué son sport. «Je ne sais pas si le hockey verra un autre joueur comme lui», a dit hier une autre légende, Wayne Gretzky, dans une vidéo diffusée par la LNH.

«Jean Béliveau nous laisse un sport à jamais élevé par son caractère, sa dignité et sa classe», a quant à lui commenté le commissaire de la Ligue nationale de hockey (LNH), Gary Bettman.

Un peuple perd une idole. Des joueurs perdent un modèle. D'autres perdent un ami et un coéquipier. «Il s'est beaucoup occupé de ses enfants. C'était un type très près de sa famille, se souvient le Trifluvien Jean-Guy Talbot, qui a joué 14 saisons auprès de Jean Béliveau. Et c'était la même chose quand il était capitaine avec nous autres. Mardi soir, c'est notre capitaine qui est parti.»

- Avec la collaboration de Joël-Denis Bellavance