Les Staal, les Sutter, les Tkachuk, les Gretzky : le hockey raffole des histoires de famille.

Au prochain repêchage de la LNH, dans trois semaines, on pourra ajouter celle des Gauthier à la liste.

Si tout se passe comme souhaité, Ethan Gauthier, du Phœnix de Sherbrooke, entendra son nom dès le premier tour. Le dernier classement de la Centrale de recrutement de la LNH le plaçait au 16e rang chez les patineurs nord-américains. Cela fait de lui le principal espoir issu de la LHJMQ cette saison.

Ethan est le fils de Denis, robuste défenseur qui a disputé plus de 550 matchs dans la LNH de 1997 à 2009 et qui est aujourd’hui analyste à RDS. Mais c’est aussi le frère de Kaylen, son capitaine à Sherbrooke, qui a joué un rôle névralgique dans sa progression.

En fait, toute l’histoire de sa famille est liée au sport. « Ça part de mes grands-parents, de mes parents, de mes oncles, énumère Denis au bout du fil. On a un côté athlétique, intense, discipliné. On dirait que c’est dans notre ADN. »

Ça ne se limite pas aux garçons : citant un professeur d’éducation physique qui a croisé ses trois enfants, le paternel avance que c’est sa fille la plus jeune qui, à 16 ans, est « la meilleure athlète de la famille » !

Avant tout, la fierté

Denis Gauthier a rencontré sa femme Stéphanie quelques semaines à peine avant que lui-même soit repêché au premier tour, en juillet 1995, par les Flames de Calgary. Les deux parents savent donc mieux que quiconque ce qui attend Ethan au cours des prochaines semaines, des prochains mois, des prochaines années. La maman se dit d’ailleurs « fière et fébrile » à l’approche de cette étape, mais pas « nerveuse ».

La fierté s’entend aussi dans la voix du papa qui, bien qu’ayant suivi pas à pas ses garçons dans le hockey, a tenté de s’effacer le plus possible, pour ne pas leur imposer la pression de celui qui a tout vécu avant eux, encore moins celle de connaître la carrière qu’il a connue.

Sa présence, néanmoins, « a tout changé », confirment Ethan et Kaylen, rencontrés à Sherbrooke à la fin du mois d’avril. « On est chanceux de l’avoir proche de nous, poursuit Ethan. Quand ça va moins bien, que ce soit du côté du hockey ou hors de la glace, quand on a des questions, il est là. Il nous aide, nous soutient, il veut le meilleur pour nous. On n’a jamais senti aucune pression de sa part. »

PHOTO MAXIME PICARD, ARCHIVES LA TRIBUNE

Ethan Gauthier et son père Denis, ancien défenseur de la LNH

En cette année de repêchage, névralgique dans la carrière d’un hockeyeur, « son père l’a aidé à relativiser les choses », renchérit Stéphane Julien, entraîneur-chef du Phœnix.

« Il lui a toujours dit : amuse-toi, joue au hockey et il arrivera ce qu’il arrivera », poursuit le pilote.

« Bien sûr que j’ai des conseils à donner, mais je n’ai jamais voulu imposer d’attentes à mes enfants, ajoute Denis Gauthier. J’ai toujours voulu qu’ils se sentent libres de commettre des erreurs, de connaître de mauvaises journées. Parfois, ils ne voulaient pas entendre ce que j’avais à dire. Je respectais leur volonté. »

Déclic

Cela n’empêche pas que des discussions franches ont eu lieu. L’une, en particulier, est évoquée autant par les fils que par leur père.

Parenthèse ici : à moins de suivre assidûment le hockey junior québécois, le nom de Kaylen Gauthier n’évoque rien de particulier pour le partisan moyen. Et c’est bien normal.

Lui-même ne s’en cache pas : il considère comme un « exploit » d’avoir même atteint la LHJMQ, encore davantage d’y avoir disputé quatre saisons complètes. À 21 ans, il se dit « extrêmement fier » de son parcours, qui lui a d’ailleurs valu une bourse à l’UQTR. Il rejoindra les Patriotes dans le circuit universitaire la saison prochaine.

De toujours, le naturel de la famille, c’est Ethan. « Le talent, il l’a toujours eu, note Kaylen. Il a toujours été le meilleur de son groupe âge. Mais rendu à un certain niveau, tu ne peux plus te fier juste à ça. »

Il a beau parler de l’« ADN » des Gauthier, Denis évoque néanmoins un « déclic » chez son plus jeune garçon. Ce moment où, avec sa femme, il a mis cartes sur table avec Ethan. Le jeune homme évoluait alors au niveau bantam.

« On a discuté du niveau de potentiel que je voyais en lui, du genre de joueur qu’il pouvait devenir, par rapport à ce qu’il démontrait sur la glace. Ça a provoqué un déclic », raconte l’ex-défenseur de 46 ans.

Conscient qu’un père n’est pas toujours le meilleur messager pour convaincre un adolescent, il a demandé l’aide de Kaylen. L’été suivant, Ethan s’est donc joint à un groupe d’entraînement de joueurs plus vieux, avec lesquels il pouvait compétitionner sur le plan athlétique, mais qui l’ont un peu « remis à sa place ». Qui l’ont, en somme, poussé à trouver le dosage d’une confiance en lui « dont il ne manquait pas et dont il ne manque toujours pas ! », dit en riant le paternel.

Son aîné, croit-il, mérite beaucoup de crédit dans la « transformation d’Ethan ». Et aujourd’hui, ceux qui se chamaillaient sans cesse autrefois sont devenus « pratiquement inséparables ».

Maturité

L’intervention, manifestement, a porté ses fruits. Après une longue et difficile année dans les rangs midget AAA, passée à uniquement s’entraîner puisque la pandémie de COVID-19 a provoqué l’annulation de la saison 2020-2021, Ethan Gauthier est devenu le tout premier choix au repêchage de la LHJMQ, détenu par le Phœnix.

L’été dernier, il a livré une performance dominante avec l’équipe canadienne U18 au tournoi Hlinka-Gretzky – 6 buts en 5 matchs. À Sherbrooke, à sa deuxième saison chez les juniors, on lui a confié « un plus grand rôle au sein de la formation », au sein de l’un des clubs les plus puissants de la LHJMQ de surcroît. « Je pense avoir gagné en maturité », dit-il lui-même.

À 17 ans, il a obtenu une promotion sur le premier trio, avec Joshua Roy et Justin Gill, deux des meilleurs attaquants du circuit en 2022-2023. On vante aujourd’hui son souci du détail, son travail acharné.

PHOTO JOCELYN RIENDEAU, ARCHIVES LA TRIBUNE

Joshua Roy, Ethan Gauthier et Justin Gill, du Phœnix de Sherbrooke

« Dès le début de l’année, on voyait qu’il était dans le bon état d’esprit ; il voulait apprendre, être meilleur, souligne Joshua Roy. Il n’a pas le plus gros gabarit, mais il est tellement physique… Il amène beaucoup de momentum à notre équipe, et tout le monde l’aime dans le vestiaire. Je ne suis vraiment pas surpris de ce qui lui arrive. »

À 5 pi 11 po et 175 livres, Gauthier entre probablement dans la catégorie des « petits joueurs ». « Mais qui joue plus gros que sa grosseur », précise-t-il.

Et s’il était vu comme un « naturel » plus jeune, c’est davantage son intensité et son positionnement devant le filet qui sont aujourd’hui perçus comme ses principaux atouts. Ce n’est pas un pur-sang comme ceux qui seront repêchés au premier tour avant lui, explique Stéphane Julien.

Or, « c’est un des meilleurs joueurs devant le filet ».

« Il marque la majorité de ses buts à l’intérieur des points de mise en jeu, poursuit l’entraîneur-chef et directeur général du Phœnix. Ce n’est pas anodin, ce n’est pas de la chance. Son sens du hockey en zone offensive en possession de la rondelle est très élevé. » Julien ose prononcer le nom « Tkachuk » en guise de comparaison – on se doute qu’il parle de Matthew. « Un style nord-américain, un bon joueur sur 200 pieds, physique, qui fonce au filet », résume-t-il.

« Il dérange », abonde Kaylen Gauthier.

Son compagnon de trio Justin Gill, de deux ans son aîné, vante pour sa part sa « solidité » sur patins en dépit de son gabarit. « Si tu essaies de le plaquer, il va te surprendre et c’est peut-être toi qui vas te retrouver les quatre fers en l’air », prévient-il.

Après une campagne de 69 points en 66 matchs, suivie par une récolte de 11 points en 11 rencontres en séries éliminatoires, différentes prédictions placent Ethan Gauthier vers la fin du premier tour. Son positionnement au classement des espoirs n’a pas été une distraction pour lui de la saison, insiste Stéphane Julien. Son 16rang chez les patineurs nord-américains est un bel honneur, affirme le principal concerné, « mais ce n’est pas vraiment représentatif de ce qui va arriver au repêchage ».

Peu importe le dénouement, Gauthier sait qu’il aura beaucoup de monde derrière lui. À commencer par ses parents, qui revivront les papillons du premier tour, 28 ans plus tard. Et par son aîné, enthousiaste à l’idée de « regarder et encourager [son] petit frère ».

Comment ne pas aimer les histoires de famille, au fond ?