C’était une fin de soirée comme on en voit souvent dans une équipe de fond de classement. La sirène finale se fait entendre, les joueurs convergent vers leur gardien et se félicitent, se réconfortent dans la défaite.

Dans l’amas de chandails rouges, Alex Belzile s’est dirigé vers Sean Farrell et lui a glissé quelques mots à l’oreille.

« Je lui ai juste dit “good job” », a raconté Belzile, après la défaite de 5-2 du CH aux mains des Panthers de la Floride. « C’est dur de garder la tête haute quand tu perds comme ça, mais j’étais content pour lui. Tu vois de plus en plus de flashs. La vision du jeu, c’est dur à apprendre, et il l’a, c’est sûr. »

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À première vue, tout les distingue. Belzile, un Québécois, jamais repêché, a roulé sa bosse dans les circuits mineurs avant de marquer son premier but dans la LNH à 31 ans. Farrell, un Américain de la région de Boston, arrive dans la grande ligue à 21 ans, vedette dans les rangs collégiaux, une participation aux Jeux olympiques derrière la cravate, et voilà qu’il marque son premier but dans la LNH – un cadeau du gardien, entendons-nous – dès son deuxième match.

Ils ont peu en commun, mais Belzile ne s’est pas arrêté à ça. « Il a été incroyable avec moi, dit Farrell. Je suis assis près de lui dans le vestiaire cette semaine, c’est lui qui m’a conduit de l’hôtel à l’aréna. Il s’est vraiment bien occupé de moi ces derniers jours. »

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Sean Farrell (57) célèbre son premier but en carrière dans la LNH.

Il faut comprendre le contexte dans lequel Farrell débarque dans la LNH. Il vient de passer les deux dernières années à Harvard. Cette saison, son trio avec Matt Coronato et Joe Miller est resté à peu près inchangé. Comme si ça ne suffisait pas, il avait même joué avec Coronato et Miller à Chicago, dans l’USHL, avant de les retrouver dans la brique rouge de Cambridge.

Il arrive d’une équipe gagnante et disputait un match éliminatoire la fin de semaine dernière. Voilà qu’il vient de participer à deux duels plus ou moins mémorables, deux défaites du CH, et qu’il est déjà rendu à six partenaires de trio différents en six périodes. Si Martin St-Louis voulait le sortir de sa zone de confort, c’est réussi.

« Juste être dans la ligue, tu sors de ta zone de confort », a rappelé l’entraîneur-chef du Canadien.

Dans ce contexte, un comité d’accueil est essentiel, et Belzile est bien heureux d’en faire partie.

« J’ai été chanceux, j’ai joué avec de bons vétérans quand j’étais jeune, rappelle le numéro 60. J’avais besoin de n’importe quoi, d’un lift, j’avais des questions… J’essaie de faire la même chose. C’est naturel pour moi. C’est important de mettre les jeunes en confiance, et plus vite tu l’es, plus ça paraît sur la glace. »

Farrell a beau être affable en entrevue, Belzile en parle comme d’un jeune homme « gêné » dans les randonnées en voiture.

C’est normal. Je me mets dans ses souliers : tu arrives du collège, début de la vingtaine, et un gars en haut de 30 ans te jase ! Ce n’est pas la même réalité, mais j’ai encore un cœur jeune. C’est un bon jeune, super gentil. Ça arrive vite pour lui. Je ne sais pas s’il avait pensé marquer son premier but sur un lancer aussi dévastateur !

Alex Belzile

Lui a-t-il souligné que lui, Belzile, avait attendu d’avoir 31 ans pour vivre ce que Farrell a vécu jeudi soir ? « Pas encore, mais je vais lui dire, par exemple ! », répond-il en riant.

On voit souvent le leadership d’une équipe à travers simplement les joueurs qui portent un « C » ou un « A » sur leur chandail. C’est moins le cas d’une équipe mature, comme l’édition 2021 du Canadien qui a atteint la finale avec une armée de vétérans, mais dans la présente édition, remplie de recrues, il est normal de croire que les meneurs d’hommes sont essentiellement Nick Suzuki et ses adjoints.

« Quand tu as autant de nouveaux joueurs, tu essaies de faire en sorte qu’ils se sentent bien accueillis, a rappelé Suzuki. On a un très bon groupe de joueurs ici et on essaie de bâtir une culture. »

L’histoire de Belzile et Farrell nous rappelle cependant que ces attentions peuvent venir de tout joueur, peu importe son statut.

C’est aussi le genre d’information utile quand on projette le Tricolore de 2023-2024, un exercice populaire en cette fin de saison. Les jeunes au potentiel intrigant, c’est une chose, mais la qualité de l’encadrement vaut aussi son pesant d’or. On l’a vu avec David Savard et les jeunes défenseurs cette saison. Reste à voir si Belzile aura la chance de faire partie de cet encadrement l’automne prochain.

En hausse : Jake Evans

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Jake Evans (71)

Les vétérans ont parfois du mal à puiser leur énergie dans les circonstances de cette fin de saison, mais pas lui.

En baisse : Nick Suzuki

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Nick Suzuki (14)

Aleksander Barkov lui aura donné des maux de tête toute l’année. Suzuki termine la série de quatre matchs contre les Panthers cette saison avec un différentiel de -8.

Le chiffre du match : 27

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Aaron Ekblad

Les Panthers ont inscrit 27 buts face au Tricolore cette saison. Ce gain de 5-2 a été leur plus courte victoire de la saison face à Montréal, ce qui en dit long sur l’allure des trois autres duels.

Dans le détail

Savard a bien essayé, mais…

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David Savard

En matinée, le statut de David Savard était au mieux incertain en vue du match au Centre Bell. Le défenseur chevronné a bien essayé, au point de prendre part à la période d’échauffement avant le match, mais il a fini par sortir de la patinoire, incapable de continuer. C’est donc Chris Wideman qui a pris sa place dans la formation montréalaise. Wideman a été le joueur le moins souvent employé par Martin St-Louis jeudi soir face aux Panthers, avec un modeste temps de jeu d’à peine 9 min 38 s. « C’est un peu de malchance, a résumé l’entraîneur montréalais jeudi en soirée. Il y a des joueurs blessés qui reviennent, et puis tu perds Josh [Anderson], tu perds [Kirby] Dach, et là, on perd [David] Savard […] On perd des gros morceaux. C’est la ligue. La ligue, elle s’en fout, la ligue continue, et c’est pas facile. »

L’affaire est ketchup pour Tkachuk

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Matthew Tkachuk (19)

Mine de rien, Matthew Tkachuk est en train de s’offrir une pas pire saison. Jeudi au Centre Bell, il a réussi un tour du chapeau, en plus d’ajouter une passe à sa fiche, pour porter son total de points à 101 pour la saison. Ça lui fait deux saisons de suite de plus de 100 points, lui qui avait obtenu 104 points la saison dernière avec les Flames de Calgary. Il devient du coup le quatrième joueur de l’histoire de cette ligue à récolter deux saisons de suite de 100 points avec deux clubs différents, après Wayne Gretzky, Jimmy Carson et Mike Rogers. « Pour être bien honnête, ce n’est pas une statistique qui veut dire grand-chose pour moi, à moins qu’on puisse participer aux séries, a répondu l’attaquant après le match. Je pense que n’importe quel joueur dans cette ligue aurait cette même réaction. Je suis sûr que j’aurai la chance de penser à tout ça plus tard, à un autre moment… »

Un départ pas du tout en lion…

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Alex Lyon

Avec ses parents qui étaient dans la place pour le match, Alex Lyon, le gardien des Panthers, avait le goût d’avoir fière allure. Mais son match a commencé avec un très mauvais but accordé à Sean Farrell, le genre de tir qu’un gardien aime bien avoir l’occasion de revoir. Mais Lyon a fini par s’en remettre. « Des fois, c’est le gardien qui permet au club de se replacer, mais cette fois, ce sont les gars qui m’ont donné une chance de me replacer, a expliqué le gardien. J’ai accordé un très mauvais but en partant, mais on peut sortir d’ici avec la victoire… et en plus, mes parents étaient là ! »

Ils ont dit

On était à plat. En fin de saison, la ligue est dure mentalement. Les Panthers jouent avec l’énergie du désespoir et il faut déployer autant d’énergie. Il faut un peu fabriquer cette énergie, car le niveau d’émotion n’est pas le même pour les deux équipes. Il faudra trouver cette énergie pour finir la saison.

Martin St-Louis

C’est un peu de la malchance. Tu recommences à avoir des joueurs, et tu perds Josh [Anderson], tu perds [Kirby] Dach, et là, on perd [David] Savard. Mais la ligue s’en fout, la ligue continue. Ce n’est pas facile. Mais ce sont des répétitions qu’on ne peut pas acheter. Nos jeunes prennent de l’expérience.

Martin St-Louis

Tu es juste content pour le jeune, ça te rappelle ton propre premier but. J’espère juste qu’il va en profiter. Il va rentrer à la maison avec un grand sourire. Tu es dans la LNH, tu joues au Centre Bell et tu marques ton premier but, ce qui vient toujours avec une belle ovation.

Brendan Gallagher, au sujet du premier but de Sean Farrell

La chose qui est impressionnante avec Matthew [Tkachuk], c’est qu’il ne triche jamais, il n’attend jamais derrière le jeu. Il est toujours impliqué dans le jeu. Il aurait pu réussir un but ou deux de plus… il a de bonnes mains autour du filet.

Paul Maurice, entraîneur-chef des Panthers