On parle souvent au hockey des bons vétérans, de ces joueurs établis, bienveillants, qui donnent un coup de pouce à des plus jeunes qui étaient dans leur situation 15 ans plus tôt. On en retrouve dans les vestiaires, mais aussi sur les passerelles de presse. Le vénérable Pat Hickey, du Montreal Gazette, est l’un d’eux.

Lors des séries de 2010 du Canadien, le confrère du site The Athletic Arpon Basu tentait de faire sa place en tant que pigiste. Le mandat : écrire des blogues sur le site web de la CBC. Le problème : la paie était modeste et les déplacements, à ses frais.

« Pendant les deux premières rondes, Pat m’embarquait avec lui en auto pour aller à Washington et à Pittsburgh, nous raconte Basu. Il m’hébergeait dans sa chambre d’hôtel. Il trouvait des bars qui avaient des spéciaux 2 pour 1 au Happy Hour pour que mes repas passent sur son allocation de dépenses. Il a tout fait pour que je puisse couvrir ces séries-là. Et ce sont ces voyages qui m’ont permis d’être embauché par NHL.com, puis par The Athletic. »

Tout ce qui m’est arrivé, c’est grâce à la gentillesse de Pat. Il n’avait pas à le faire, il a entendu dire que j’avais besoin d’aide. C’est un gars d’une gentillesse hors du commun.

Arpon Basu, journaliste du site The Athletic

C’est maintenant l’heure de la retraite. Hickey, 78 ans, couvrira samedi soir le dernier match d’une longue carrière de près de 60 ans. En voulez-vous, du vécu ?

Il a écrit sur le 500e but de Jean Béliveau en 1971, mais aussi sur sa mort en 2014. Il a couvert le tennis – son sport de prédilection – des décennies avant la génération dorée d’aujourd’hui. Au détour d’affectations aux Jeux olympiques ou à la Coupe Davis, il s’est retrouvé à écrire sur des attentats à la bombe.

« Mon auto a été vandalisée à Philadelphie. Je me suis fait voler en plein jour, devant un hôtel cinq étoiles, à Johannesburg, pendant un tournoi de tennis, raconte-t-il, presque amusé. J’ai été au Paraguay, à Rio. J’ai couvert le tennis sur quatre continents. Des gens me demandaient pourquoi je ne prenais pas ma retraite. Je disais que j’avais trop de plaisir à travailler. J’étais payé pour regarder du sport ! »

Né à New York, Hickey s’est exilé au Canada en 1962, afin d’étudier à l’Université Saint Mary’s. Pourquoi donc quitter la Grosse Pomme pour… Halifax ? « Je voulais jouer au basketball, et je n’aurais pas été assez bon pour jouer aux États-Unis ! », admet-il.

De là, il a entrepris une véritable tournée nationale. Du Montreal Star en 1965 à la Gazette en 1967 puis à Toronto, à Vancouver, avec un détour de trois ans à la CBC, « avec Ronald Corey comme patron », précise-t-il.

Parce que c’est ça, une histoire racontée par Hickey. Il se souvient toujours des noms des personnes qu’il croise sur son chemin (celui de Corey était peut-être plus facile à retenir, convenons-en).

PHOTO FOURNIE PAR STU COWAN

Pat Hickey, en 1977, alors qu’il travaillait au Toronto Sun

Cette tournée nationale a pris fin quelque part en 1987, quand la Gazette l’a fait venir de Toronto dans le but de le rapatrier. « Un gars, Mel Morris, m’a invité à dîner à midi, et à 21 h, on mangeait encore. On a pris quelques verres », détaille-t-il.

Principalement affecté au hockey, il a touché à tout, à tous les échelons. « Il était le rêve de tout chef de pupitre, parce qu’il pouvait couvrir n’importe quoi et ne se plaignait jamais, explique le confrère Stu Cowan, ancien chef de pupitre des sports, aujourd’hui chroniqueur.

« Une fois, il faisait l’entraînement du Canadien le matin et le match en soirée. Mais en lisant le journal ce matin-là, il apprend qu’il y a une finale de football d’école secondaire à McGill. Il m’appelle chez moi. “Avez-vous quelqu’un ?” Je dis non. Il faisait comme - 20 °C et il n’y avait pas de passerelle de presse. Je lui dis : “Ça va, on a un photographe sur place.” Il s’est tout de même déplacé.

Ce que j’ai appris de lui, c’est l’importance de travailler fort.

Stu Cowan, chroniqueur du Montreal Gazette

Ces habitudes de travail faisaient l’affaire de Richard Legendre, au temps où il était directeur des Internationaux de tennis du Canada. « Dans le temps, on n’avait pas de Félix Auger-Aliassime et de Leylah-Annie Fernandez pour faire parler de nous toute l’année. Pat, on savait qu’il serait toujours là, ce qui était beaucoup, à une époque où on cherchait de la couverture. »

Au fil du temps, Legendre a développé une belle complicité avec Hickey. « Il me disait toujours que j’étais son séparatiste préféré. Et je lui répondais : “Je dois être le seul que tu aimes !” »

Torrey Mitchell, la fierté de Greenfield Park, en est un autre qui a profité de l’ardeur au travail de Hickey.

« Il faisait toujours un effort pour venir me voir, me jaser et faire un article sur moi, chaque fois que le Canadien affrontait les Sharks, raconte l’ancien attaquant, qui a aussi joué avec le CH de 2015 à 2017. Il n’avait pas à le faire, mais parce que j’étais de la communauté anglophone, il devait sentir qu’il devait le faire. »

Cette grandeur d’âme ne l’empêchait pas de répliquer quand il sentait qu’on essayait de le remplir. Il fallait le voir en mars 2012, assis dans la première rangée de la salle de presse, en train de se coltailler avec l’entraîneur-chef de l’époque, Randy Cunneyworth, qui donnait de (trop) généreuses minutes à Rene Bourque. « Il recule quand il y a des mêlées. Il est censé être un dur ! Il continue à jouer 20 minutes par match. Louis Leblanc en joue 12 et il a plus de mises en échec ! », lançait-il au pauvre coach, incapable de se défendre.

Legendre le décrit comme un « straight shooter ». « J’ai toujours essayé de l’être, j’ai toujours essayé d’être honnête, de traiter les joueurs avec respect et espéré qu’ils me traitent avec respect », répond Hickey.

Au fil des années, je me suis souvent chicané avec des relationnistes. Mais je n’ai jamais essayé d’être méchant, même si j’ai mon tempérament irlandais, et je suis heureux que les gens me voient comme ça.

Pat Hickey

L’industrie des médias vit des moments difficiles et les temps sont particulièrement durs à la Gazette. À la mi-saison, les confrères affectés au Canadien ont appris qu’ils ne suivraient plus l’équipe à l’étranger cette saison. C’était le prélude d’une nouvelle bien pire tombée fin janvier, soit la suppression de 25 % des postes de la salle de rédaction.

« J’aurais voulu rester, mais on a eu un appel Zoom avec 25, 30 personnes et il y avait des gens qui pleuraient, raconte Hickey. Il y a six mois, la plus jeune sur la liste d’ancienneté s’est finalement sentie assez à son aise pour acheter une maison, et là, elle se retrouvait sans emploi. Je me suis dit que de céder ma place était la chose à faire. »

Sa dernière chronique est prévue vendredi prochain, mais samedi, Hickey assistera à son dernier match du Canadien en tant que journaliste. Une dernière occasion pour ses collègues de le saluer, le remercier et, surtout, faire ce qu’il aime beaucoup : prendre un verre dans un pub autour du Centre Bell après le match. Ce n’est pas un hasard si tant de ses histoires s’amorcent dans un bar !

« C’est dur de ne pas l’aimer dès qu’on le rencontre, ajoute Stu Cowan. C’est un bourreau de travail [workaholic]. Il adore travailler et c’est pourquoi c’était difficile pour lui de prendre cette décision. Mais il a tellement grand cœur. »