(Boston) Assis dans la section 11 du TD Garden, Kent Hughes a une vue parfaite sur l’avantage numérique de Harvard, qu’il regarde en terminant l’entrevue avec l’auteur de ces lignes.

Le bruit de la foule nous interrompt. Le dangereux Matt Coronato marque pour donner l’avance 2-0 à Harvard contre Boston College. Ça adonne bien pour Hughes ; c’est Sean Farrell, l’unique espoir du Canadien dans ce duel, qui réussit la passe décisive.

« C’était une belle passe, il a ramené la rondelle, nous décrit-il. C’est un joueur tellement intelligent, c’est dur de parier contre lui. »

Parier contre lui, c’est ce que bien des équipes ont fait au repêchage de 2020 en le laissant glisser jusqu’au 124rang, où Marc Bergevin et le Tricolore l’ont repêché. Sa petite taille – aujourd’hui 5 pi 9 po et 175 lb – et son coup de patin pas nécessairement dominant lui ont nui.

S’agira-t-il d’un vol ? Il est encore trop tôt pour le savoir, mais on pourrait en avoir une meilleure idée dans quelques mois, s’il n’en tient qu’à Hughes.

« Sean, ce n’est pas une question physique. C’est son sens du jeu qui lui permet de connaître du succès, souligne Hughes. Il a joué aux Jeux olympiques, au Championnat du monde. Ça va dépendre de leur fin de saison, s’ils se rendent loin dans le championnat national. Mais c’est sûr qu’on voudra lui faire signer un contrat. »

Décision à venir

Le Crimson de l’Université Harvard occupe le 10rang du circuit collégial américain. Une bonne équipe, mais pas nécessairement parmi les favoris pour le titre national.

Les éliminatoires de la NCAA s’amorceront en mars, et le Frozen Four (les demi-finales et la finale) se joueront les 6 et 8 avril. La saison du Canadien, elle, finit le 13 avril. Si Harvard n’atteint pas la finale, Farrell pourrait donc disputer quelques matchs à Montréal en fin de saison, comme l’avait fait Jordan Harris l’an dernier. Cela ne signifie pas qu’il soit prêt pour la LNH à temps plein, mais le fait que le Canadien soit écarté de la course aux séries est propice aux expériences.

Ce faisant, le jeune homme de 21 ans écoulerait la première année de son contrat de recrue, qui sera de deux ans s’il le paraphe ce printemps (la durée des contrats de recrue est prévue dans la convention collective en fonction de l’âge du joueur).

Comme il l’avait fait quand on l’avait rencontré en novembre, Farrell évite les questions sur son avenir. « J’y vais un match à la fois. Le but de l’équipe est de se placer en position de gagner des championnats », répond-il.

Hughes rappelle quant à lui qu’il n’a pas officiellement le droit de négocier avec le joueur pour le moment, et qu’avec certaines universités, il peut être compliqué de terminer une session à distance. La saison dernière, un autre joueur de Harvard, Nick Abruzzese, avait toutefois signé un contrat avec les Maple Leafs de Toronto pour terminer la saison.

Farrell a aussi l’option de retourner à l’université pour une dernière année, mais Hughes ne s’attend pas à une telle décision. « On a discuté au camp de développement, mais je pense qu’il est prêt à passer à la prochaine étape », croit le DG.

Passeur talentueux

Ce que le Canadien obtiendrait, c’est un ailier doué pour repérer ses coéquipiers. En 23 matchs, Farrell compte 12 buts et 24 aides pour 36 points. Sa moyenne de 1,57 point par match est la 2e de la NCAA, derrière Adam Fantilli, un joueur de 18 ans attendu dans le top 3 du prochain repêchage.

Lundi, Harvard l’a emporté 4-3 en prolongation, pour passer en finale du Beanpot. Farrell a préparé deux buts, les deux de Coronato, chaque fois sur des jeux où il était bien placé pour tirer, mais toujours avec des adversaires dans sa ligne de tir. Les deux fois, il a pris des rondelles près de ses patins et opté pour la passe. Comme Martin St-Louis aime le dire, Farrell n’a pas fait « un » jeu ; il a fait le meilleur jeu.

« J’ai toujours été d’abord un passeur, surtout avec un gars comme Matt, décrit Farrell. Quand j’ai la chance de lui offrir un tir sur réception, c’est un automatisme. J’aimerais tirer, mais quand je le vois démarqué, je lui fais toujours la passe. »

À Montréal, on retrouve aussi un tireur de talent, un certain Cole Caufield. Ce dernier ne sera toutefois pas là en mars, puisqu’il se remettra de son opération à une épaule. Mais les deux attaquants de petite taille se connaissent pour avoir joué au sein du programme national de développement des États-Unis de 2017 à 2019.

Ils n’avaient toutefois pas joué dans le même trio. « Il était plus haut que moi dans la hiérarchie ! À son année de 72 buts, c’était automatique qu’il allait marquer à chaque match ! »

Ont-ils gardé contact depuis ? « Pas vraiment. Mais au hockey, même si ça fait quatre ans que tu n’as pas vu quelqu’un, ça ne change rien, c’est comme si c’était la veille. J’espère qu’on se croisera bientôt. »

Folle ambiance

Kent Hughes était sur place pour épier quatre espoirs du CH, mais aussi ses deux fils, Riley et Jack, porte-couleurs de Northeastern. Le Beanpot regroupe chaque année les quatre mêmes universités, les trois autres étant Harvard, Boston College et Boston University. « Quand mes gars choisissaient leur collège, ils disaient qu’ils tenaient à jouer au Beanpot. Et je leur disais : c’est deux lundis en février et c’est tout ! Mais il y a tellement d’histoire. » Ce tournoi est du sérieux par ici. Le premier duel s’amorçait à 17 h, le deuxième tout de suite après, vers 20 h 30. Clairsemés au début, les gradins du TD Garden se sont peu à peu remplis, et l’ambiance était digne des séries à la fin, grâce notamment aux fanfares et à la créativité des partisans. Les plus divertissants étaient assurément ceux de Northeastern, qui ont scandé « Ice is slippery » (la glace, c’est glissant) après qu’un joueur de Boston University eut chuté. La finale aura lieu lundi prochain, le 13. En 70 éditions, il s’agira de la toute première finale opposant Harvard et Northeastern. « Ça nous a pris 70 essais », a blagué le relationniste qui gérait les points de presse. Le CH y aura donc deux espoirs : Sean Farrell pour Harvard et Jayden Struble pour Northeastern.