L’histoire se souvient, logiquement, des plus grands athlètes. Ceux pour lesquels on érige des statues, on hisse des bannières, on renomme des rues.

Dans les sports d’équipe, toutefois, la carrière des plus grands ne serait rien sans l’apport des travailleurs de l’ombre. Ceux dont la carrière durera moins longtemps, qui marqueront moins souvent, qui gagneront moins d’argent.

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Être un acteur de soutien, pourtant, est un art. Il y a, dans la LNH, d’excellents joueurs de troisième ou de quatrième trio. Des défenseurs qui disputent plus de 1000 matchs en obtenant 15 points par année. S’ils ne se démarquent pas par la fine maîtrise des habiletés nécessaires à séparer les exceptionnels du peloton, ils savent se rendre indispensables.

À la hauteur du Canadien de 2022-2023, les joueurs « de profondeur » ont justement été indispensables, jeudi soir, contre les Red Wings de Detroit. Dans une défaite de 4-3 en prolongation, Michael Pezzetta et Rafaël Harvey-Pinard ont inscrit les buts de leur équipe. Alex Belzile s’en est fait le complice deux fois. Ce n’est pas tombé du ciel.

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Michael Pezzetta

La citation de la soirée, à leur sujet, revient sans conteste à Derek Lalonde, entraîneur-chef des Wings. Ce qu’il savait de ces trois joueurs avant la rencontre ? « Rien du tout. »

« Ça illustre bien qu’au hockey, si tu travailles et que tu compétitionnes, tu peux être un très bon joueur, a-t-il affirmé après le match. C’était le meilleur trio sur la glace pendant la majorité de la soirée. Malgré tout le talent dans les deux équipes, quand ce trio-là est le meilleur, ça montre tout ce que la détermination peut faire. »

Bon, ce n’est pas comme s’il n’y avait aucun talent sur cette unité. Le positionnement de Belzile et sa manière d’utiliser son bâton, sur le premier but du CH, n’étaient pas attribuables au hasard. Tout comme le deuxième but de Harvey-Pinard, marqué après s’être habilement placé dos à son couvreur pour conserver le contrôle de la rondelle, n’avait rien d’un but-rebut. Mais comme l’a exposé Lalonde, ce sont d’autres qualités qui les ont servis.

« Je ne suis pas sûr qu’ils ont eu une mauvaise présence », a résumé leur entraîneur Martin St-Louis, qui les a récompensés par une utilisation accrue. Déjà utilisé en désavantage numérique, Harvey-Pinard a été envoyé dans la mêlée en avantage numérique, en prolongation. Il a d’ailleurs failli compléter son tour du chapeau. Pezzetta, pour la deuxième fois en une semaine, a atteint un sommet personnel en passant 13 min 43 s sur la patinoire.

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Rafaël Harvey-Pinard

« Ce trio joue extrêmement bien depuis qu’il a été réuni, a noté Jake Allen. C’est la seule unité qui a disputé tout le match ensemble, a ajouté le gardien. C’est un bon indicateur de tout le momentum qu’ils ont créé. Ils ont été incroyables. »

Nord-sud

Comme chaque fois que le succès frappe à la porte du Tricolore cette saison, il faut le prendre avec retenue. « Un match ne fait pas une carrière », a sagement rappelé Harvey-Pinard.

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Jake Allen

Il y a néanmoins lieu de se demander d’où vient ce succès. Le cas de Michael Pezzetta est sans doute le plus intéressant. Non seulement le bouclé personnage a-t-il trois points à ses trois derniers matchs, mais il est visible comme il ne l’a pas été jusque-là cette saison.

Jetons un coup d’œil aux attaquants qui ont disputé le plus de minutes à cinq contre cinq à ses côtés cette saison : Jake Evans, Juraj Slafkovsky, Rem Pitlick, Joel Armia et Christian Dvorak. Un peu plus bas dans la liste, on voit qu’il a passé presque 24 minutes en compagnie de Jonathan Drouin et 18 min 40 s avec Evgenii Dadonov.

Qu’on en commun tous ces joueurs ? Aucun n’a le profil d’un « vrai » joueur de quatrième trio. L’effectif dont a hérité Martin St-Louis cette saison l’a forcé à changer de trio dit « d’énergie » pratiquement tous les soirs et d’y insérer des joueurs dont le profil est bien plus compatible avec un top 9.

À la mi-novembre, à un moment où Pezzetta ne jouait presque jamais, il avait confié avoir la volonté de raffiner son offre de service. De « faire des jeux », en somme.

Le numéro 55 n’est pas manchot, comprenons-nous bien. Mais ce n’est pas avec ses mains de soie qu’il a atteint la LNH.

« C’est plus facile pour lui avec des gars qui jouent nord-sud, a convenu St-Louis, mardi. Ils sont sur la même page, ils jouent le même style. »

Au cours des derniers jours, l’entraîneur-chef a dit aimer les « détails » dans le jeu de Belzile. Il a aussi parlé des « habitudes » de Harvey-Pinard, décrites comme celles d’un joueur de la LNH. Autant de mots qui sont payants dans le CV d’un joueur de quatrième trio.

Dans le processus de reconstruction auquel se livre l’organisation, il y aura lieu, lorsque le portrait se précisera, de se demander quelle identité on voudra donner aux différents trios d’attaquants et duos de défenseurs. À travers la ligue, nombreux ont été les exemples d’équipes gagnantes dont les attaquants de soutien n’étaient pas de fins denteliers. Chez le Lightning de Tampa Bay, notamment, Pierre-Édouard Bellemare et Pat Maroon sont devenus de véritables spécialistes.

C’est important pour une équipe d’avoir des gars qui veulent jouer avec intensité, que ce soit le premier ou le quatrième trio. Mais historiquement, les quatrièmes trios sont souvent des trios d’énergie.

Martin St-Louis, entraîneur-chef du Canadien

Au moment où le Canadien retrouvera la route du succès durable, peut-être que ses plombiers ne s’appelleront pas Michael Pezzetta, Alex Belzile et Rafaël Harvey-Pinard. Mais, pour l’heure, ils donnent une bonne idée de l’impact qu’ils peuvent avoir. Même si on ne retirera probablement jamais leur numéro.

En hausse : Michael Pezzetta

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Michael Pezzetta

Deux points et sommet d’utilisation de presque 14 minutes. Une belle récompense pour celui qui, malgré un talent limité, travaille chaque soir avec acharnement.

En baisse : Rem Pitlick

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Rem Pitlick

Ce n’est pas un secret que sa présence sur le premier trio est strictement attribuable aux circonstances. Un match très ordinaire lui a coûté sa place, au profit d’Evgenii Dadonov.

Le chiffre du match : 1063

C’est le nombre de jours qui s’étaient écoulés depuis le dernier match de Tyler Bertuzzi au Canada. Rappelons qu’en saison de son refus de se faire vacciner contre la COVID-19, l’attaquant a dû faire l’impasse sur tous les matchs des Wings au nord de la frontière en 2021-2022. Et aucune équipe américaine n’avait joué au Canada en 2020-2021.

Ils ont dit

Je n’ai pas aimé comment on a géré le match. On n’a pas donné beaucoup de chances, mais on en a donné des faciles. Le but le plus décevant était en fin de deuxième période. On a encore beaucoup d’immaturité dans notre jeu. Si on commence la troisième en avance, on est en très bonne position. Ville [Husso] a fait de gros arrêts pour nous permettre de nous rendre en prolongation. C’était une victoire du gardien.

Derek Lalonde, entraîneur-chef des Red Wings

Les gars veulent jouer des matchs importants en fin de saison et nous voici, avant la pause du match des étoiles, dans la course, et on affronte une des équipes que l’on pourchasse à New York demain.

Derek Lalonde

Je me sentais bien mieux à mesure que le match avançait. Je pense qu’hier, mon but d’ici à la pause était de me sentir mieux. Ça se fera une période à la fois. J’étais rouillé au début, j’avais de la difficulté à contrôler la rondelle, mais c’était prévisible. En général, c’était un bon retour.

Jake Allen

Je pense que le [gardien] a fait un bel arrêt. J’aurais dû lancer un peu plus haut, mais ça va vite. J’aurais aimé ça, marquer ce but-là.

Rafaël Harvey-Pinard

Je n’ai pas aimé notre première moitié de match, mais on était meilleurs en deuxième moitié. Ç’aurait pu aller d’un côté comme de l’autre. Je pense qu’on a accordé trois chances de marquer en troisième période. On a montré qu’on peut se réparer au fil d’un match. Pas juste au cours d’une saison.

Martin St-Louis

Dans le détail

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À la suite d’une collision le long de la rampe, Michael Matheson et l’officiel Francis Charron se sont brièvement enlacés, le temps de retrouver leurs esprits.

Quand Francis Charron calme le jeu

Si les arbitres de la LNH attribuaient des points de fidélité comme les chaînes hôtelières, Lucas Raymond en aurait exigé des milliers. L’attaquant des Red Wings était en effet furieux en deuxième période, après que Mike Matheson l’eut atteint au visage avec son bâton en toute impunité. Question d’en rajouter, le Tricolore a profité de la douleur de Raymond, qui retournait au banc le visage ensanglanté, pour créer l’égalité 2-2. L’entraîneur-chef des Wings, Derek Lalonde, a toutefois reçu une explication claire et nette de l’arbitre Francis Charron, une explication d’autant plus importante que le jeu s’était produit dans le champ de vision d’au moins un officiel. « Il y a une zone grise avec les bâtons élevés, et Francis est venu l’expliquer clairement. Il a dit : je n’aime pas la règle, mais [Matheson] a touché à la rondelle, sur son revers, et a atteint [Raymond] dans son élan subséquent. C’est probablement la bonne décision. Francis l’a expliquée clairement, donc parfait, merci, et ça a calmé nos gars. »

La drôle de soirée de Dach

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Après s’est affrontés à quelques reprises au cercle de mises en jeu en première période, Andrew Copp (18) et Kirby Dach ont laissé tomber les gants dès la cinquième seconde au deuxième tiers pour régler leur différend.

Difficile d’accuser Martin St-Louis, qui ne s’est jamais battu en 1241 matchs de saison et de séries dans la LNH, de faire la promotion des combats au hockey. Pourtant, il s’est montré hautement enthousiaste lorsqu’il a été appelé à commenter la soirée de Kirby Dach. Le grand numéro 77 a en effet laissé tomber les gants en début de deuxième période, contre Andrew Copp. C’était seulement la deuxième fois en 201 matchs qu’il commettait cette infraction. « J’ai adoré ça, a laissé tomber St-Louis. La seule chose que je n’ai pas aimée, c’était qu’on a dû jouer à neuf attaquants pendant cinq minutes. Mais de façon plus globale, j’ai adoré ça. » Cela dit, l’implication de Dach dans le jeu ne se dément pas depuis quelques matchs. Encore jeudi, il n’a pas hésité à se placer dans les lignes de tir, bloquant notamment un puissant tir de Jordan Oesterle en première période. En milieu de match, sa sublime passe a permis à Rafaël Harvey-Pinard d’inscrire le premier de ses deux buts. Il a été moins convaincant au cercle des mises au jeu (3 en 8), mais avec une autre soirée de 22 minutes dans le corps, Dach poursuit son épanouissement.

Quelle guigne ?

Les arrêts miraculeux de Ville Husso en fin de troisième période et en prolongation ont aidé les Wings à l’emporter, mais Moritz Seider mérite tout autant, sinon plus, le titre de joueur du match. Le défenseur de deuxième année a obtenu trois aides en plus de passer 25 minutes sur la patinoire. Le thème de la guigne de la deuxième année était populaire quand, au 1er janvier, l’Allemand comptait 12 points après 35 matchs, avec un différentiel de - 13. Il a empilé 12 points en 12 matchs et montre un différentiel nul. « Il est notre joueur le plus utile depuis huit, neuf ou dix matchs, a précisé Lalonde. On me posait ce matin une question sur la guigne de la deuxième année. Je n’entends plus cette question avec nos médias locaux, car les gens voient à quel point il est bon au quotidien. »