Tous les enfants qui adorent le Canadien rêveraient de fêter Noël avec leurs joueurs préférés. Geoff Molson, lui, l’a vécu – plusieurs fois – alors que sa famille était propriétaire du CH pendant toute sa jeunesse.

À l’approche de Noël, l’homme d’affaires replonge dans ses souvenirs. Ceux d’un enfant qui a joui d’un rare privilège : celui de grandir avec ses idoles.

Ses souvenirs du temps des Fêtes sont limpides. Chaque année, un jour de décembre, tous les membres de l’organisation du Canadien étaient conviés à une grande fête de Noël entre les murs du mythique Forum. Enthousiaste, le jeune Geoff Molson enfilait ses patins et sautait sur la patinoire avec ses idoles : Steve Shutt, Guy Lafleur, Serge Savard.

« On se passait la rondelle, les conjointes des joueurs étaient là. Leurs enfants aussi. Le père Noël venait, donnait des cadeaux », raconte-t-il à La Presse.

Pour les curieux : Claude Mouton, l’annonceur de l’équipe, se cachait sous le déguisement du père Noël. « Je ne savais pas que c’était lui, mais je l’ai appris après ! »

Cette grande fête est devenue une tradition que le propriétaire garde toujours bien en vie. Cette journée-là, et seulement cette journée-là, le jeune Geoff avait accès à la salle où étaient rangés les bâtons des joueurs. L’équivalent du paradis pour lui.

« Il y en avait des centaines. Mon joueur préféré, c’était Steve Shutt. Je sortais de ce party de Noël avec trois ou quatre de ses bâtons avec lesquels j’allais jouer. »

Puis, comme bien d’autres enfants, il passait le plus clair du temps des Fêtes à la patinoire du coin avec ses frères Andrew et Justin. « On revenait pour manger et on y retournait », lance-t-il.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Geoff Molson

Le 24 décembre venu, au moment d’ouvrir leurs cadeaux, les frères recevaient toujours au moins un article du Canadien. Il pouvait s’agir d’un t-shirt, mais jamais d’un chandail réplique.

« Mes enfants m’écrivent leurs souhaits pour Noël et c’est toujours un jersey de leur joueur préféré. Moi, je n’ai jamais même rêvé à ça parce que ce n’était pas normal. On portait des cravates. »

Une jeunesse au Forum

Notre entretien avec l’homme de 51 ans se déroule dans le salon des joueurs, situé près du vestiaire, dans les entrailles du Centre Bell. Le grand espace, à la fois coquet et convivial, comprend de grands canapés, des téléviseurs et une section buffet. On y retrouve également une longue table rouge ornée d’un énorme logo du Tricolore ; c’est là que Geoff Molson se raconte.

Le propriétaire avait 7 ans quand la Brasserie Molson a fait l’acquisition du Canadien, en 1978, après que le club eut appartenu aux frères Bronfman pendant sept ans.

Jusque-là « juste un fan », le jeune Geoff s’est rapproché de l’équipe. La famille Molson habitait alors l’avenue Wood, à deux coins de rue du Forum. « Sur le coin de Sherbrooke et Wood, il y avait une patinoire à l’extérieur, se souvient-il. C’étaient les deux endroits où je passais beaucoup de temps. »

Dans l’antre du Canadien, les frères Molson devaient se plier à certaines règles. « C’était mon père qui suivait les règles de son père et de son oncle », lance-t-il. « Mon grand-oncle [Hartland Molson] était à chaque match. Lui, il était toujours parfaitement habillé et bien coiffé. Mon père le suivait et il nous imposait aussi cette responsabilité-là. »

Parlant de son grand-oncle, Geoff Molson se remémore une anecdote qui illustre bien l’homme qu’il était. Alors âgé d’une quinzaine d’années, Geoff l’accompagnait dans les gradins du Forum. Ce soir-là, Chris Nilan s’est mis en furie contre un joueur adverse. « [Nilan] sacrait. Il utilisait tous les mauvais mots en anglais. »

À l’époque, il n’y avait pas de baie vitrée qui séparait les spectateurs du banc des joueurs. « Mon grand-oncle a cogné [Chris Nilan] avec sa canne sur le banc et lui a dit : « Tu n’as pas besoin d’utiliser ce genre de langage. » Après le match, il est venu s’excuser avec son équipement », raconte Molson en riant.

Autre règle : il lui était interdit d’entrer dans le vestiaire. Un peu intimidé, il se tenait à l’extérieur et saluait discrètement ses joueurs préférés quand ils sortaient de la patinoire.

J’ai toujours appris de mon père que le vestiaire, c’est leur vestiaire, aux joueurs. Et même aujourd’hui, je pense que je suis rentré dans le vestiaire avec eux deux fois en 14 ans pour leur parler.

Geoff Molson

Le président préfère traîner dans le salon des joueurs. C’est là qu’il prend de leurs nouvelles. « C’est rare que je parle de hockey, sauf si eux veulent en parler. […] Ils savent que je suis là, que je suis au courant de tout. Je connais leur femme ou leur copine et leurs enfants. C’est important pour moi parce que c’est une grande famille. »

Molson est père de quatre enfants de 22, 21, 17 et 16 ans, lesquels ont tous déjà joué ou jouent actuellement au hockey. Ils ont, comme lui, grandi dans l’entourage du CH. Et le paternel a appliqué avec eux les mêmes règles que celles qu’il a lui-même dû suivre. Pourquoi mettre fin à la tradition ?

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Geoff Molson

« La plus grande différence entre ma jeunesse et leur jeunesse, c’est que j’ai accès à la patinoire ici beaucoup plus souvent que quand j’étais jeune », confie-t-il.

Quand un de ses enfants est en visite en provenance des États-Unis, comme c’était le cas quelques jours avant cet entretien, le propriétaire et président du Tricolore s’offre une visite familiale au Centre Bell. Et chaque fois, « c’est spécial », dit-il avant d’ajouter : « Je demande toujours la permission. […] Je n’abuse de rien. »

L’amphithéâtre montréalais est comme sa deuxième maison. « Et je suis très chanceux », laisse-t-il tomber.

« C’est incroyable »

Treize années se sont écoulées depuis que Geoff Molson a racheté le Canadien à George Gillet, en juin 2009. Le principal intéressé garde d’ailleurs précieusement le bout de papier sur lequel il a élaboré son plan d’affaires. « Je l’ai retrouvé l’autre jour parce que je nettoyais mon bureau », lance-t-il en riant.

Dans les semaines qui ont suivi l’achat, chaque fois qu’il entrait dans le Centre Bell, le nouveau propriétaire se pinçait. « Je me disais : Oh, my God, je suis tellement content d’avoir ça. Et d’être responsable de ça », se remémore-t-il en pointant devant lui avec ses mains, comme si tout le Centre Bell se trouvait sous ses yeux.

« C’était spécial. C’est encore spécial aujourd’hui. […] Hier soir, j’étais dans la loge, et je me dis de temps en temps : Wow, regarde ça, c’est incroyable. C’est incroyable. »

Derrière l’homme d’affaires, il y aura toujours le petit garçon qui se présentait au Forum fièrement vêtu et qui vénérait Steve Shutt. Son rôle l’oblige toutefois à séparer le cœur et la raison.

« Je pense que c’était une des choses pour lesquelles j’étais le plus prêt, soutient-il à ce sujet. Les deux peuvent vivre ensemble, mais à la fin de la journée, il faut prendre de bonnes décisions, responsables. Et le cœur doit comprendre. »

Parfois, il faut prendre des décisions avec des gens qu’on aime, et c’est là où le rationnel doit sortir.

Geoff Molson

Notre entretien tire à sa fin, 45 minutes ont passé dans le calme du salon des joueurs. Comme ultime question, on demande à Geoff Molson s’il souhaite que le Canadien demeure dans la famille aussi longtemps que possible. Il acquiesce. Puis il ajoute :

« Je pense que si je fais mon job de la bonne façon, mes enfants vont être prêts un jour aussi. […] Je pense qu’ils veulent tous mon job ! Mais ça prend plus de temps qu’ils pensent. Comme moi j’ai fait, ils vont travailler ailleurs, former leur propre carrière. »

Après, « on verra ».