Pour les joueurs comme pour les entraîneurs qui ont côtoyé Carey Price, ses problèmes de consommation d’alcool, révélés dans une entrevue publiée mardi matin par The Athletic, ont été une surprise.

Dominique Ducharme était l’entraîneur-chef du Canadien à l’automne 2021, quand Price a fait appel au programme d’aide de la LNH et de l’Association des joueurs.

Ducharme croisait alors Price au quotidien, au camp d’entraînement à Brossard. « Il embarquait sur la glace, souvent sans équipement, mais son genou ne répondait pas bien. Il venait quand même tous les jours, mais pour des traitements. Pour nous, c’était une surprise [qu’il fasse appel au programme d’aide], parce que le focus était sur le genou », a raconté Ducharme à La Presse, au bout du fil.

Le Québécois, démis de ses fonctions en février dernier, assure qu’il n’avait pas non plus noté de changement d’humeur ni perçu de signal d’alarme de la part de son ancien gardien.

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Dominique Ducharme

« Carey est un gars quand même calme, qui aime rire et s’amuser avec les gars, mais ce n’est pas non plus le clown de service ! rappelle Ducharme. Je le voyais tous les jours. Mais c’était surtout sur la table des thérapeutes. J’allais le voir, on parlait de son genou. Il était d’une humeur correcte. Mais ce n’est jamais le fun d’être blessé. »

Je ne pouvais pas penser que cette situation-là était pour arriver.

Dominique Ducharme

Stéphane Waite, lui, n’était plus entraîneur des gardiens du Canadien quand Price a mis sa carrière sur pause. Il affirme toutefois être resté en contact régulièrement avec le numéro 31. « Une chose que je savais, c’est qu’il avait trouvé ça très difficile, la défaite en finale. Ça, il me l’a dit », nous explique Waite.

Mais rien ne lui faisait redouter que le gardien fût dépendant à l’alcool. Même que la journée où il a été su que Price prenait une pause du hockey, Waite affirmait, sur les ondes du 98,5 FM : « Ça n’a rien à voir avec les drogues, ça n’a rien à voir avec l’alcool, ça n’a rien à voir avec du gambling. »

C’est pourquoi il a lui aussi été surpris par la confession de Price parue mardi matin.

« Dans les soupers d’équipe, il avait un verre de vin ou une bière comme tout le monde, et il partait se coucher. Je n’ai jamais vu d’abus. Même qu’à un moment donné, je me suis dit que s’il avait une dépendance, c’était “pain killers”. Mais ça ne pouvait pas être l’alcool », explique Waite.

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Stéphane Waite et Carey Price

Tout porte à croire que le directeur général Marc Bergevin ignorait lui aussi la situation. C’est ce qu’il avait assuré le 7 octobre 2021, jour où le Canadien avait annoncé que Price s’était inscrit au programme d’aide. Cinq jours plus tôt, soit le 2, le Tricolore réclamait le gardien Samuel Montembeault, soumis au ballottage par les Panthers de la Floride.

« Je voyais quand Carey sortait de la patinoire et son genou enflait un peu. Ce n’était rien d’anormal, mais j’avais un pressentiment », avait alors dit Bergevin.

Dans l’entrevue à The Athletic, Price affirme que c’est le 3 octobre qu’il a décidé de demander de l’aide, soit au lendemain de l’arrivée de Montembeault.

Au moment d’écrire ces lignes, les Kings de Los Angeles n’avaient pas encore donné suite à une demande d’entrevue de La Presse pour Bergevin, aujourd’hui conseiller sénior au directeur général de l’équipe, Rob Blake.

Ses coéquipiers ignoraient tout

Le gardien avait totalement caché sa dépendance à ses coéquipiers aussi, si on se fie à leurs réactions mardi matin, dans le vestiaire.

« Je n’ai jamais rien suspecté, il a toujours été lui-même », a assuré Nick Suzuki, qui a disputé ses deux premières saisons complètes dans la LNH au côté de Price.

« S’il ne se sentait pas bien, on ne le savait pas du tout », a confirmé Jonathan Drouin, membre du Tricolore depuis l’été 2017.

En outre, si la consommation de Carey Price a culminé après les séries éliminatoires de 2021, aucun signe précurseur ne s’était manifesté au cours des semaines précédentes.

Jon Merrill, qui s’aligne aujourd’hui avec le Wild du Minnesota, était un membre du Canadien lorsque le club a atteint la finale. « C’était une année bizarre », a-t-il rappelé, mardi matin, après l’entraînement du Wild au Centre Bell, à quelques heures d’un duel contre le Tricolore.

« Il y avait la COVID-19, alors on ne pouvait pas faire grand-chose ensemble, pas même aller souper », a-t-il ajouté. Difficile, dans ces circonstances, de capter les signaux d’un coéquipier dans le besoin. « Et sur la glace, il était exceptionnel », a conclu Merrill.

Les joueurs du Canadien ont donc appris seulement à l’automne 2021 que quelque chose clochait. C’était au terme du camp d’entraînement, tout juste avant le début de la saison. Comme Price était alors en pleine rééducation, il n’avait passé que peu de temps avec le groupe.

« Je pense que je ne l’avais pas encore rencontré formellement à ce moment-là », souligne Chris Wideman.

Dans une rencontre avec l’ensemble de ses coéquipiers, Price a expliqué d’une manière générale qu’il quitterait l’entourage de l’équipe pour rejoindre le programme d’aide aux joueurs de la LNH afin de lutter contre une dépendance. Or, il n’est pas entré dans les détails, a indiqué Drouin dans une courte entrevue avec La Presse.

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Joel Armia, Carey Price, Jonathan Drouin et Nick Suzuki

« Il a voulu garder ça pour lui, sa famille et ses amis proches, estime Drouin. C’était déjà un choc pour nous de savoir que Carey ne revenait pas avec nous, qu’il prenait un break pour son bien à lui et pour celui de sa famille. »

Ce n’est qu’au cours des mois suivants que son combat contre l’alcool a été connu dans le vestiaire. Les joueurs ont toutefois respecté son choix de ne pas le dévoiler au public. « On a gardé ça entre nous », résume Christian Dvorak.

Dès qu’on l’a su, on a voulu être là pour lui et le soutenir le plus possible.

Nick Suzuki

Au moment de l’embauche de Martin St-Louis en février 2022, la cure de Price était déjà terminée depuis un bon moment. Le nouvel entraîneur-chef n’a donc pas cru bon de discuter de la situation avec son gardien, qui a disputé cinq matchs en toute fin de saison. Il réitère toutefois que sa « porte est toujours ouverte » si ses joueurs veulent discuter avec lui.

« Une équipe, c’est une famille, insiste-t-il. Et dans une famille, tu portes attention tout le temps aux gens autour de toi, pour savoir comment ils vont. S’ils ont des problèmes, il faut les aider, […] sans attendre que les choses soient trop grosses. C’est important d’y porter attention, surtout avec les jeunes joueurs. »

La fameuse « porte toujours ouverte » est une phrase souvent prononcée par des entraîneurs. Mais au-delà de ce principe, est-ce possible que des coachs aient raté des signaux d’alarme qu’aurait pu envoyer Price ?

« Peu importe le problème, que ce soit un joueur de hockey ou pas, c’est la personne qui le sait et c’est la journée où elle décide d’en parler, croit Ducharme. Même quand tu es dans l’entourage d’une personne, il y a toujours des choses comme ça qui peuvent nous surprendre. C’est à nous de le soutenir quand ça arrive.

« Nous, on voit les joueurs peut-être trois heures par jour, maximum, à l’aréna. Les gars passent plus de temps ensemble, c’est sûr. Mais même pour eux, c’était une surprise. »