(Novi, Michigan) La sécheuse de Sidney Crosby est possiblement la sécheuse la plus connue de l’histoire des sécheuses. Quelque part en banlieue de Detroit, une remise a vécu le même sort que ce pauvre électroménager.

C’est la remise de Patrick et Lynn Brown. Ce couple sympathique – lui vient de New York, elle… de Montréal ! – a servi de famille de pension à un jeune Cole Caufield. Pendant ses deux saisons au sein du Programme national de développement des États-Unis, Caufield a vécu chez les Brown, jusqu’en 2019, quand le Canadien l’a repêché et qu’il a été admis à l’Université du Wisconsin.

Et la remise, dans tout ça ? Elle était dans le chemin, voyez-vous. Comme chez tout hockeyeur, il y a un but dans l’entrée, devant ladite remise. Patrick avait installé des filets de protection. Caufield et John, le fils de Lynn et de Patrick, s’exerçaient à tirer au but.

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

La remise

« Une bonne fois, je reviens à la maison et je remarque un trou dans la remise, en haut du but, raconte Patrick. Je vais voir dans la remise, il y a comme 15 rondelles qui traînent. Alors je texte John et Cole, et je leur demande : “Ça ne vous tente pas de ramasser vos rondelles qui traînent ?” Et Cole répond : “Ce n’est pas moi, je ne rate jamais le but !” »

Les Brown nous reçoivent à souper en ce jeudi venteux dans leur chaleureuse demeure. C’est ici que Caufield est débarqué en 2017, en même temps qu’eux, en fait, puisqu’ils venaient eux-mêmes de déménager de Philadelphie.

L’idée de l’entrevue nous a été donnée lors d’une visite chez les Caufield en 2019. Les parents de Cole nous avaient parlé de cette famille si importante pour leur fils, famille qui avait des attaches à Montréal. L’idée était donc de la rencontrer lors du premier match de Caufield à Detroit. Mais ce match s’est fait attendre. Quand Caufield est arrivé chez le Canadien, c’était l’année de la division dite « canadienne ». Puis, l’an dernier, le CH est venu une seule fois à Detroit et, comble du malheur, Caufield venait d’être cédé à Laval.

Les anecdotes s’enchaînent. Lynn et Patrick les racontent. John joue le rôle de vérificateur des faits, servi par une mémoire comme seuls en ont les ados, parce qu’ils n’ont que ça à se rappeler, de la même façon qu’on se souvient davantage d’un tour du chapeau de Mats Naslund en 1988 que de ce qu’on a mangé pour souper la veille.

Tel match où l’équipe de Caufield avait écrasé Chicago ? « Ça a fini 12-1 ! », se souvient John.

Les lieux sont simples, le repas aussi, à l’image de nos hôtes. Caufield nous avait d’ailleurs prévenu. « Ce sont des personnes très authentiques, qui n’ont pas besoin de grand-chose », expliquait-il, mardi.

On peut comprendre la description de Caufield quand on connaît les circonstances de son arrivée ici. Comme la famille venait d’emménager, la maison n’était tout simplement pas meublée. Ça n’a toutefois pas fait peur à l’entraîneur du programme national, venu visiter les lieux pour s’assurer qu’ils étaient convenables pour un joueur.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE BROWN

Cole Caufield à 16 ans, à son arrivée chez les Brown

« Il a dit : “Je pense que le jeune du Wisconsin va se plaire ici.” Je me suis dit : “OK, il va être capable de se passer de meubles. Il ne doit pas être très exigeant !” », rigole Patrick.

Circulent sur la table salade, pommes de terre, steak, que les chiens Rex et Ollie convoitent. Mais surtout, des pâtes Alfredo au poulet, le plat de prédilection du numéro 22 du CH quand il vivait ici.

« On le textait dans le jour pour lui demander à quelle heure il voulait manger. Et il disait : “J’aimerais manger mes goal-scoring Alfredo à 15 h.” Il a toujours eu cette confiance en lui. »

N’allez toutefois pas voir cet échange comme l’exigence d’un enfant-roi. Le souvenir que gardent les Brown est tout le contraire.

Il est tellement poli, au point qu’on avait peur qu’il s’intègre mal. On essayait de ne pas trop parler de hockey, de lui offrir une vie normale d’ado. Mais il agissait comme s’il était un invité.

Patrick Brown, au sujet de Cole Caufield

« Puis, une fois, les gars jouaient au mini-hockey dans la salle de jeu. Et je pense que John a essayé de faire quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire, donc ils commencent à se battre. J’ai dit : “Bon, enfin, Cole est à son aise !” »

Également à table : Michael Chambre. Lui, il joue pour l’équipe des moins de 18 ans du programme national américain. Gardien originaire de Floride, il sera admissible au prochain repêchage. Cette année, c’est lui que la famille Brown héberge, dans la chambre où vivait Caufield il y a cinq ans.

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Michael Chambre, le chien Ollie ainsi que John, Lynn et Patrick Brown

Les familles qui accueillent des joueurs reçoivent une compensation, nous explique Patrick. « Assez pour couvrir la nourriture », estime-t-il. Mais ils y trouvent leur compte, notamment parce que John, enfant unique, se retrouve bien entouré.

Les pensionnaires ne sont pas tenus de participer aux tâches ménagères. En fait, c’est laissé à la discrétion de chaque famille.

« Cole allait à Northville High School. Il commençait à 7 h », dit Lynn.

« 7 h 20 », précise l’ado.

« Donc on lui préparait un lunch, il allait à l’école jusqu’à midi, ensuite à l’aréna, et il ne revenait pas avant 17 ou 18 h. C’étaient de grosses journées.

« On ne demande généralement pas aux joueurs de participer au ménage, seulement de tenir leur chambre propre. Mais Michael fait son propre lavage, je suis impressionnée ! », poursuit Lynn.

Malgré les six ans qui les séparent, Cole et John sont devenus proches. L’été, le petit s’entraîne au même gym que l’ailier droit, parce que Caufield passe maintenant ses étés dans la grande région de Detroit.

« Il y a un comptoir de crème glacée près d’ici à Northville, raconte Patrick. De temps en temps, il appelle John et l’invite à manger une crème glacée. Une fois, on ne le savait pas, on soupe, on demande à John : “Tu ne prends pas de dessert ?” Il dit : “Non, je m’en vais manger une crème glacée avec Cole.” »

D’ailleurs, au repêchage de 2019, lorsque le Tricolore a annoncé sa sélection, Caufield a étreint dans l’ordre sa mère, son grand frère, puis John, assis à ses côtés.

Voyez la vidéo du repêchage de 2019

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE BROWN

Cole Caufield, Alex Turcotte et Jack Hughes entourent John, au repêchage de 2019

Les Brown avaient fait le voyage à Vancouver. Patrick n’était pas le plus grand amateur de hockey à la base, mais il l’est devenu par la force des choses.

Lynn, elle, a grandi à LaSalle, et a joué au hockey pour les Martlets de McGill à la fin des années 1980, « à l’époque où il fallait simplement savoir patiner ! », blague-t-elle. Elle devait certainement se débrouiller, puisqu’elle sera la première à quitter la table, afin de justement aller jouer un match dans sa ligue récréative.

Lynn, née Chisholm, vit aux États-Unis depuis 1993, « juste après la Coupe Stanley », lance-t-elle. Elle a tout de même conservé un très bon français pour une personne partie il y a trois décennies.

De Montréal, elle a gardé le lien avec le Canadien, l’équipe de son enfance. Et le 21 juin 2019, à mesure que les choix défilaient et que Caufield attendait son tour, elle a réalisé que le jeune homme qu’elle venait d’héberger avait de plus en plus de chances d’être réclamé par cette équipe. Ce qui est finalement survenu au 15e rang.

« Quand il a été repêché, je me suis dit : Montréal aime son hockey, aime ses joueurs, mais c’est un public qui peut être exigeant. D’ailleurs, après le repêchage, il y avait une réception et je parlais à Marc Bergevin. Il me demande : “Tu penses qu’il sera correct à Montréal ? Parce que ce marché peut te manger tout rond.” J’ai dit : “Non, ça va aller, il est capable d’en prendre.” »