L’étau se resserre sur Hockey Canada : dans la foulée de sa gestion critiquée d’allégations d’agression sexuelle mettant en cause des joueurs juniors, trois commanditaires majeurs, Tim Hortons, la Banque Scotia et Telus, l’ont largué en se retirant de tous les programmes masculins pour la saison 2022-2023. Ce coup dur s’ajoute à la volonté de Hockey Québec et de la fédération ontarienne de hockey de retenir le financement qu’elle lui verse.

Si Hockey Québec est la première fédération provinciale à affirmer qu’elle retiendra les frais de participation de 3 $ que les joueurs versent chaque année à Hockey Canada, la principale fédération ontarienne a fait part de cette intention dès le mois de juillet.

Dans une déclaration écrite fournie à La Presse, Phillip McKee, directeur exécutif de la Fédération ontarienne de hockey (FOH), affirme avoir informé dès le 29 juillet dernier Michael Brind’Amour, alors président du conseil d’administration de Hockey Canada, que la fédération nationale ne collecterait pas les 3 $ par joueur en vue de la saison 2022-2023. « Notre compréhension est que cette requête n’a jamais été transmise au Conseil d’administration » avant la démission de M. Brind’Amour une semaine plus tard, écrit M. McKee.

« Nous avons donc renouvelé notre demande formelle à Hockey Canada », ajoute-t-il, sans préciser s’il a cette fois eu la réponse qu’il désirait. Il n’a pas été possible de corroborer la version de M. McKee auprès de M. Brind’Amour. Hockey Canada, de son côté, n’a pas répondu à un courriel envoyé à trois porte-parole de l’organisme.

Au tour d’autres fédérations provinciales ?

La Presse a communiqué avec toutes les fédérations du pays, mercredi. En fin de journée, seuls Hockey Québec et la FOH avaient énoncé des positions tranchées. Hockey Saskatchewan a indiqué ne pas avoir de « commentaires » à formuler sur la décision de Hockey Québec, tandis qu’en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse, on dit « suivre de près la situation ».

La Presse a rapporté mercredi que le C. A. de Hockey Québec avait voté pour une résolution de désaveu envers Hockey Canada, confirmant du même coup qu’il suspendait le transfert de 3 $ par inscription habituellement versé à Hockey Canada. Les frais liés à la couverture d’assurances des joueurs seront toutefois transférés comme à l’habitude.

Tim Hortons quitte le navire

En plus de voir le versement de subventions gouvernementales interrompu jusqu’à nouvel ordre, Hockey Canada a été largué par certains commanditaires majeurs au cours des derniers mois. Tim Hortons et la Banque Scotia étaient du nombre, et les entreprises ont encore haussé le ton, mercredi.

Dans un communiqué, la chaîne de restauration a écrit avoir exprimé « à de nombreuses occasions » à Hockey Canada son désir de le voir prendre « des actions fortes et définitives afin de regagner la confiance des Canadiens ».

Nous sommes profondément déçus du manque de progrès qu’a faits Hockey Canada à ce jour.

Extrait d’un communiqué de Tim Hortons

En conséquence, Tim Hortons s’est retiré de tous les programmes masculins pour la saison 2022-2023, ce qui comprend le très couru Championnat mondial junior, dont la prochaine présentation aura justement lieu au Canada. L’entreprise maintient toutefois son soutien au hockey féminin, au parahockey et aux programmes pour les jeunes.

La Banque Scotia a elle aussi confirmé mercredi qu’elle retirait son soutien financier de tous les programmes masculins pour la saison 2022-2023, y compris pour le Championnat mondial junior, a rapporté le Globe and Mail.

« De la part de Hockey Canada, nous nous attendons à un engagement tangible de transparence envers les Canadiens […] et à une amélioration de la sécurité sur et hors de la glace », a déclaré un porte-parole de la Banque Scotia dans un communiqué cité par le quotidien.

Jeudi matin, c’était au tour de Telus de se dissocier des programmes masculins. « Nous sommes profondément découragés par le manque d’action et d’engagement de Hockey Canada pour changer sa culture interne », a annoncé Telus dans une déclaration écrite publiée tôt jeudi matin.

Sauver l’image de marque

Bernard Motulsky, professeur au département de communication publique et sociale de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), n’est pas surpris de la décision de Tim Hortons. « Hockey Canada est devenu assez sulfureux et n’a pas donné de signes, au cours des derniers jours, que de gros changements s’en venaient », dit-il.

Deux options s’offraient donc à l’entreprise : « s’associer à une marque qui porte des valeurs négatives ou renoncer à sa commandite », explique-t-il.

La première option était risquée, puisque c’est « de plus en plus important pour les consommateurs que les marques auxquelles ils s’associent représentent leurs valeurs », explique Martine St-Victor, stratège en communication et directrice générale de l’agence de relations publiques Edelman.

André Richelieu, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et spécialiste en gestion de marque et de l’industrie du sport, est du même avis. « On cherche à sauver son image de marque », dit-il.

Ces entreprises et leurs marques veulent éviter l’effet de contagion et le transfert d’images négatives découlant de la tempête qui secoue actuellement Hockey Canada.

André Richelieu, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

M. Motulsky ne serait pas étonné que d’autres commanditaires emboîtent le pas. « Quand il y en a un qui commence, ça a souvent un effet d’entraînement. Chacun va prendre sa propre décision, mais il y en a sûrement plusieurs qui y pensent », dit-il.

« Le mouvement est engagé »

La décision de Hockey Québec de prendre ses distances de Hockey Canada a été applaudie par les élus fédéraux, tous partis confondus, mercredi. La ministre des Sports, Pascale St-Onge, espère maintenant que d’autres fédérations provinciales suivront.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Pascale St-Onge, ministre des Sports

« Je pense que le mouvement pour réformer Hockey Canada est engagé [et que] la décision de Hockey Québec va être suivie par d’autres organisations », a lancé Mme St-Onge à l’entrée de la réunion hebdomadaire du caucus libéral, moins de 24 heures après avoir exhorté les fédérations à exercer de la pression afin de faire le « ménage » chez Hockey Canada.

Cette sortie faisait suite à la comparution d’Andrea Skinner, présidente par intérim du conseil d’administration de Hockey Canada, devant le comité du Patrimoine. Dans une sortie cinglante, Mme Skinner a accusé les médias et la classe politique d’avoir nui à l’image de la fédération nationale. Selon elle, les appels aux démissions des directeurs et administrateurs étaient fondés sur de la « désinformation ». Hockey Canada et son président-directeur général Scott Smith, a-t-elle martelé, ont toujours agi de manière « appropriée ».

« Le message qui est envoyé aux dirigeants de Hockey Canada qui s’accrochent à leur poste, c’est que Hockey Canada ne leur appartient pas. Ça appartient aussi à ses membres. Et tout le monde est d’accord en ce moment que ça prend un changement de culture, particulièrement en ce qui a trait aux violences sexuelles », a tranché Mme St-Onge.

Le premier ministre Justin Trudeau a fait écho à ses propos. « Je comprends entièrement le choix de Hockey Québec qui a perdu confiance en Hockey Canada, comme nous tous ici à Ottawa, comme les parents d’un bout à l’autre de ce pays », a-t-il laissé tomber en mêlée de presse.

Il a enchaîné en disant souhaiter que « plus d’organisations » allaient « décider que pour protéger nos jeunes, pour protéger ce sport qu’on adore tous au Canada, on a besoin de voir des changements profonds à Hockey Canada ».

Avec la collaboration de Mélanie Marquis et Mayssa Ferah, La Presse