L’hommage réservé à Maurice Richard à la fermeture du Forum de Montréal ne sera jamais oublié. Or, si tous retiennent l’ovation de quelque sept minutes, Pat Laprade, lui, a aussi noté un détail.

« Pendant l’ovation, Butch arrive à côté de Maurice et il lui joue dans les cheveux. Ce n’est pas tout le monde qui peut faire ça ! Butch et Maurice, c’était une longue histoire d’amitié. Quand Maurice avait le feu dans les yeux, Butch était un des rares qui pouvaient le calmer. »

Regardez une vidéo du dernier match joué au Forum de Montréal

Cette dynamique entre deux des piliers du Canadien des années 1940 et 1950 fait partie des thèmes abordés par Laprade dans Émile Butch Bouchard : le roc de Gibraltar du Canadien de Montréal, qui paraîtra mercredi chez Libre Expression, avec une préface du confrère du Journal de Montréal Réjean Tremblay.

Les travailleurs de l’ombre reçoivent rarement tout le mérite qui leur revient. Dans le cas de Bouchard, le Temple de la renommée du hockey l’a admis dès 1966, mais ç’a été plus long chez le Canadien. Ce n’est qu’en 2009 que son chandail a été retiré.

C’est probablement aussi pour cela qu’il a fallu attendre à aujourd’hui, 66 ans après sa retraite, pour que sa vie soit finalement couchée sur papier.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Émile Bouchard et son fils Jean

« On connaît souvent des joueurs grâce aux statistiques. Mais avec Butch, ce ne sont pas les chiffres qui parlent, souligne Laprade. Ce sera les témoignages des autres. Il a été un rouage du Canadien dans les années où ce n’était pas encore un club légendaire. Quand il gagne sa première Coupe, en 1944, ça fait 13 ans que le Canadien n’avait pas gagné. Ce n’était pas une ligue à 30 équipes ! Ça a été la plus longue disette avant celle qu’on connaît présentement. »

De nos yeux d’aujourd’hui, il est facile de dire que la carrière de Bouchard (1941-1956) s’est déroulée dans l’ombre de celle de Richard (1942-1960). Une interprétation que l’auteur nuance.

« Dans les années 1940, Butch et Maurice sont presque égaux. Maurice a ensuite pris le dessus, parce que c’était la vedette offensive. Mais quand il y avait des évènements mondains, c’était rare que Butch ne soit pas aussi invité. Au tout premier téléthon, Butch était là. »

Nationaliste

L’actualité des derniers mois a fait quelques clins d’œil à la carrière d’Émile Bouchard.

La nomination de Nick Suzuki comme capitaine du Canadien en est un ; la controverse autour de sa capacité à s’exprimer en français en est un autre. D’ailleurs, le fait français chez le Tricolore demeure un débat récurrent auprès des partisans plus nationalistes de l’équipe.

Le match du 10 mai 2021, dans lequel aucun Québécois n’était en uniforme pour le Canadien, en est un autre. « Je me disais : il y en avait trois en 1941, et là, c’est comme si on était revenus en arrière, déplore Laprade. Cela dit, Suzuki semble vouloir apprendre le français et ça semble important pour lui. Je ne veux pas parler pour Butch, mais c’est juste ça que les gars de l’époque voulaient, qu’il y ait du respect pour les Canadiens français. »

D’ailleurs, quand il est question du leadership de Bouchard, l’aspect nationaliste y est étroitement lié.

« Butch était un nationaliste dans l’âme, soutient Laprade. Il s’assurait que les francophones soient bien servis. Par exemple, il aidait Maurice à traduire ses contrats, parce que Maurice avait de la misère en anglais. Mais il aimait tout le monde, il était proche d’Elmer Lach, de Dickie Moore, un Anglo-Québécois.

« Mais quand il est arrivé dans le club, il y avait trois Québécois francophones. Quand le Canadien a gagné ses cinq Coupes, ils étaient une dizaine. C’est le fruit du travail de Butch et de Maurice. »

Dans les archives

C’est un ouvrage savamment documenté qui attend le lecteur, qui nous amènera aussi à connaître la fascinante vie de Bouchard en dehors du hockey. L’homme a touché à tout, de l’apiculture à la restauration en passant par le baseball. La quantité de détails historiques plaira à ceux qui croient qu’il vaut mieux en avoir trop que pas assez. L’histoire du Québec s’entremêle aussi au récit.

Auteur notamment des biographies du Géant Ferré et de Maurice Mad Dog Vachon, descripteur de la lutte de la WWE sur les ondes de TVA Sports, Laprade était surtout associé au catch jusqu’ici.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pat Laprade

L’expérience de Laprade avec les biographies de personnes disparues a d’ailleurs convaincu Pierre Bouchard de collaborer au projet.

« Butch avait pensé à faire sa biographie, mais il avait arrêté, il était passé à autre chose et nous aussi, raconte Pierre Bouchard. J’ai dit à Pat : “Moi, ça ne m’intéresse pas. Tous les gens qui l’ont connu sont morts.” Mais Pat dit : “J’ai les archives, j’ai fait ça avec Mad Dog et le Géant Ferré.” Je suis rendu au chapitre 10-12, c’est très intéressant. Il parle des joueurs que j’ai connus quand j’étais jeune. Mais c’est lui qui est l’instigateur.

« Je me disais que ça serait intéressant de laisser ça à nos enfants, nos petits-enfants, pour qu’ils voient qui était leur grand-père, leur arrière-grand-père. »

Émile Butch Bouchard : le roc de Gibraltar du Canadien de Montréal

Émile Butch Bouchard : le roc de Gibraltar du Canadien de Montréal

Libre Expression

360 pages