Si Montréal constitue un terreau fertile en espoirs déchus, ça s’explique.

Il y a de mauvais choix, certes, mais aussi notre propension à gonfler rapidement nos attentes envers les espoirs et de façon démesurée, de sorte que ceux-ci, à moins de connaître une carrière époustouflante, finissent par décevoir.

Prenez Owen Beck, la jeune sensation du camp d’entraînement du Canadien. Après un seul match préparatoire, il pourrait imiter Patrice Bergeron et Ryan O’Reilly en méritant un poste dans la LNH à 18 ans, disent certains. Un match préparatoire !

N’enlevons rien à ce choix de deuxième tour, 33e au total, cet été. Il a été solide au tournoi des recrues et a maintenu le rythme dans les rencontres intraéquipe, au point de mériter une chance de jouer flanqué de Cole Caufield et Mike Hoffman lors du premier match préparatoire contre les Devils, lundi.

Il n’a pas déçu contre le New Jersey : taux d’efficacité de 59 % lors des mises en jeu, beaucoup de maturité dans son jeu, responsable défensivement, quelques belles chances de marquer, dont un tir sur le poteau en troisième période. On lui pardonnera sa perte de rondelle sur le but gagnant des Devils, il a fait beaucoup plus de belles choses que de mauvaises.

On dresse un parallèle entre Beck et O’Reilly et Bergeron parce que, comme lui, ces deux joueurs vedettes ont été repêchés au deuxième tour et ont connu un premier camp d’entraînement phénoménal avec les équipes qui les ont repêchés.

On place la barre très haute. Bergeron et O’Reilly sont les capitaines de leurs équipes respectives. Ils ont tous deux remporté la Coupe Stanley. Ils constituent les meilleurs centres défensifs de leur époque. O’Reilly a remporté un trophée Selke, et un Conn-Smythe remis au meilleur joueur en séries.

Bergeron a en poche cinq trophées Selke pour son excellence en défensive. Bergeron devrait atteindre le plateau des 1000 points en carrière cette saison (il lui en manque 18), O’Reilly approche les 700.

Est-ce réaliste d’imaginer Beck à Montréal pour le match d’ouverture du Canadien ? D’abord, le CH compte un surplus d’attaquants détenant un contrat de la LNH. On retrouve déjà au centre Nick Suzuki, Kirby Dach, Christian Dvorak, Jake Evans et Sean Monahan. Rem Pitlick peut aussi jouer à cette position.

Pourquoi accélérer le processus de développement d’un jeune homme de 18 ans dans une saison sans attente d’une participation aux séries éliminatoires et où il n’y a aucun besoin au centre ?

Il importe aussi, quand on dresse ainsi de tels parallèles, de se rappeler du contexte de l’époque. Au Colorado en 2009, la retraite de Joe Sakic avait laissé un trou béant au centre. On n’avait pas retenu les services d’Ian Laperrière. L’Avalanche reconstruisait et avait des lacunes à cette position. Matt Duchene et O’Reilly en avaient profité pour s’immiscer dans la formation malgré leurs 18 ans.

À Boston, on retrouvait Joe Thornton au centre du premier trio, mais après lui, on avait placé Brian Rolston, un ailier, à cette position par défaut. Sergei Zinovjev, 23 ans, un choix de troisième tour trois ans plus tôt, et Andy Hilbert, repêché la même année, luttaient pour le poste de troisième centre, mais ils n’impressionnaient guère.

On espérait une chimie entre Zinovjev et son compatriote, l’ailier Sergei Samsonov, mais sa carrière dans la Ligue nationale s’est résumée à dix matchs. Il est rentré en Russie après sa rétrogradation dans la Ligue américaine pour ne plus jamais revenir.

Hilbert, finaliste au trophée Hobey-Baker en 2001 après avoir amassé 64 points en seulement 42 matchs dans la NCAA à l’Université du Michigan, et un énorme producteur de points à ses trois premières saisons dans la Ligue américaine, n’est jamais devenu le joueur espéré, mais il a néanmoins disputé 307 matchs dans la LNH.

En toute logique, Beck obtiendra quelques autres rencontres préparatoires avec le Canadien d’ici la fin du camp d’entraînement avant de retourner à Mississauga dans la Ligue junior de l’Ontario, avec probablement un contrat en poche pour le récompenser de ses performances.

Il tentera d’y dominer offensivement, après une saison de 51 points en 68 matchs l’an dernier, et qui sait, obtenir un poste au sein de l’équipe canadienne junior lors du Championnat mondial.

Accéder un jour à la LNH dans un rôle de troisième centre serait déjà un exploit pour un joueur repêché au deuxième tour. Et tant mieux s’il dépasse les attentes. Mais les risques d’être déçus sont élevés si on fixe les espoirs au niveau d’un Patrice Bergeron ou d’un Ryan O’Reilly…

Le repêchage et les joueurs québécois

Dans une chronique récemment, Philippe Cantin reprochait à la nouvelle administration d’avoir ignoré les joueurs du Québec dans les premiers tours du repêchage de 2022.

« Alors oui, le Canadien a changé. Mais en partie seulement. Gorton et Hughes sont demeurés fidèles au grand principe établi par Geoff Molson, Marc Bergevin et Trevor Timmins au fil des années : bouder les joueurs du Québec au repêchage. Ce mépris fait maintenant partie de l’ADN de l’organisation. Le principe “À talent égal, on repêche un Québécois” a été relégué aux oubliettes. D’ailleurs, Molson, Gorton et Hughes devraient avoir le cran de l’admettre publiquement. »

Défendre le talent local honore mon estimé collègue. Mais s’agit-il vraiment de mépris de la part de Gorton ou Hughes, ou encore d’un désir sincère de mettre la main sur le meilleur joueur disponible. Les Québécois Noah Warren et Tristan Luneau étaient encore disponibles au 33rang. Ils ont préféré Owen Beck. Samuel Savoie et Jérémy Langlois étaient libres au 62rang. Ils voulaient le jeune défenseur Lane Hutson, impressionnant au camp de développement du CH. L’avenir nous dira si la direction a erré.

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