Il est toujours un peu hasardeux d’analyser le travail des espoirs dans un tournoi des recrues et de les mettre en contexte en prévision du vrai camp d’entraînement et de la saison à venir. Voici cinq mises en garde, avec exemples tirés du premier match, jeudi à Buffalo.

Tenir compte de l’âge

L’âge varie beaucoup à ces tournois. Les plus jeunes ont 18 ans et les plus vieux, 22, 23 ans. La différence dans le développement et la maturité est énorme à cet âge. Le défenseur Jordan Harris a été de loin le meilleur joueur du Canadien, contre les Sabres. Mais il a aussi 22 ans. Il ne faut lui enlever aucun mérite, sa performance est fort encourageante à l’aube du camp, mais il est normal de voir les joueurs de 21, 22 ans comme Harris, Mattias Norlinder, Arber Xhekaj, Justin Barron et Emil Heineman (les deux auront 21 ans cet automne) posséder un avantage sur le reste groupe.

Le contraire est aussi vrai. Voir un attaquant de 23 ans comme Brett Stapley aussi discret semble justifier la décision du Canadien de lui offrir un contrat de Ligue américaine seulement.

On peut donc pardonner un peu plus au joueur de 18 ans un peu plus timide, et s’encourager de voir des Juraj Slafkovsky, Filip Mesar et Owen Beck aussi incisifs. Riley Kidney, 100 points pour le Titan d’Acadie-Bathurst l’hiver dernier et membre de l’équipe canadienne au Championnat mondial junior, est un peu entre ces deux catégories. Il aura 20 ans en mars. Il n’a pas été transcendant, même s’il jouait entre Slafkovsky et Mesar.

Méfiez-vous des flashs

On peut bâtir des réputations avec des flashs. On attendait Norlinder comme le prochain Lidstrom avec les faits saillants qui provenaient de Suède. Il est doué, nettement supérieur à l’an dernier, mais ne deviendra pas le prochain gagnant du trophée Norris.

Ainsi la passe de Slafkovsky à Mesar en infériorité numérique, jeudi, à la suite d’un échec-avant terrifiant pour le pauvre défenseur adverse avec 238 livres de vitesse et de muscles à votre poursuite, a beaucoup fait jaser.

Il faut néanmoins plus qu’un ou deux beaux jeux pour conclure à une performance réussie. Slafkovsky a été le premier à admettre après la rencontre qu’il avait tenté de trop en faire. On préfère toujours les joueurs audacieux aux timides, mais le premier choix au total de 2022 a répété les mêmes défauts qu’en Liiga l’hiver dernier : trop de passes à l’aveuglette et une propension à déjouer trois adversaires. Ça ne fonctionnera pas dans la LNH.

On ne paniquera évidemment pas, il possède des habiletés individuelles rares et un gabarit à faire rêver tout entraîneur, et il a seulement 18 ans, ne l’oublions pas, mais il devra corriger ses vilaines habitudes.

Ça peut changer d’un match à l’autre

Les analystes sont à la merci du quotidien. Une critique favorable un soir donné ne sera plus vraie le lendemain. Et vice versa. On pouvait s’attendre à mieux de Justin Barron contre les Sabres. Ce choix de première ronde obtenu de l’Avalanche du Colorado avec un choix de deuxième tour pour Artturi Lehkonen possédait une certaine expérience de la LNH et il était un peu plus vieux que la moyenne.

Barron paraît bien sur une glace : bon gabarit, patineur fluide, il ne manque pas de style. Mais il y a encore des failles dans son jeu. Son positionnement n’est pas parfait. Il ne prend pas toujours les bonnes décisions (aucun blâme à son endroit sur le quatrième but des Sabres en infériorité numérique cependant, la faute appartient entièrement à Slafkovsky avec sa passe molle en territoire adverse). Barron pourrait être en lutte avec Jordan Harris pour un poste du côté droit. Il a l’avantage d’être droitier.

On pourrait se reparler lundi et Barron aura été transcendant contre les Sénateurs dimanche (on lui donne congé vendredi soir contre les Devils). Slafkovsky, en congé également vendredi, aura peut-être apporté des ajustements de façon à diminuer son nombre de jeux à haut risque. Kidney se sera peut-être dégêné. Mais il jouera néanmoins à l’aile droite contre les Devils, et Mesar au centre.

Pas des matchs pour les cérébraux

Ces matchs au tournoi des recrues sont souvent échevelés. On y retrouve des joueurs d’âge différent, de provenance différente, et surtout un groupe peu habitué à jouer ensemble, et très peu d’entraînement pour trouver une cohésion. Il y a donc nettement moins de structure. Les joueurs rapides et habiles individuellement, mais pas nécessairement les plus intelligents sur une patinoire, les joueurs du Parc Lafontaine comme on peut les appeler, en raison de ces matchs désordonnés des patinoires extérieures, sont avantagés.

C’est moins un match profitable aux cérébraux. Nick Suzuki n’avait pas brillé au tournoi des recrues en 2019, mais s’était distingué davantage avec les joueurs de la Ligue nationale en matchs préparatoires. Certains joueurs sont aussi désavantagés par une vitesse d’exécution plus grande, en compagnie de joueurs incapables de compléter leurs jeux, trop lents pour cueillir des passes trop rapides. En bref, les joueurs d’élite sont souvent supérieurs avec des joueurs d’élite. Dans le contexte, les plus cérébraux du groupe actuel, Harris, Beck et Mesar, méritent nos éloges.

Ils ne joueront pas tous dans la LNH

On s’emballe souvent avec les jeunes. Vous avez un premier coupable ici. Mais malgré les belles promesses des joueurs sur place, une poignée seulement atteindra la LNH. En 2018, sur une trentaine de joueurs, seuls Jesperi Kotkaniemi, Jake Evans et Michael Pezzetta (dans un rôle très limité), sont devenus des réguliers dans la Ligue. On en dénombre deux autres l’année suivante, Nick Suzuki et Ryan Poehling (Evans et Pezzetta y étaient à nouveau). L’année précédente, en 2017 ? Un seul, Victor Mete, à condition que vous le considériez comme un réguler dans la LNH (Pezzetta, ce persévérant, en était au deuxième de ses quatre tournois des recrues). La cuvée 2016 était moins pire avec Artturi Lehkonen et Mikhail Sergachev, malheureusement échangé trop tôt.

La cuvée 2022 est de loin la meilleure de l’histoire récente. Mais il n’y aura pas mille places non plus. Dans un monde idéal, et compte tenu du talent en place, quatre ou cinq joueurs pourraient percer. Kaiden Guhle, Jordan Harris, Justin Barron, Juraj Slafkovsky, Filip Mesar, Emil Heineman et Jan Mysak partent avec une longueur d’avance. Mais ils n’y seront pas tous. Et d’autres pourraient avoir le don de nous surprendre.

Formation contre les Devils vendredi

Attaquants

Simoneau-Mesar-Condotta
Heineman-Beck-Kidney
Guidon-Stapley-Dubé
Francis-Davidson-Parker

Défenseurs

Norlinder-Harris
Fairbrother-Centorame
Trudeau-Tourigny

Gardiens

Mercer
Vrbetic

En congé : Slafkovsky, Mysak, Barron, Xhekaj, Guhle.

Retour sur le débat de la langue

Article fort à propos d’Alexandre Pratt sur le débat sur la langue relancé à chaque nomination de capitaine chez le Canadien. « Comme je me suis souvent prononcé sur le sujet, je ne referai pas le débat pour une quarante douzième fois, écrit Alexandre. Par contre, il y a un mythe tenace qui mérite d’être déconstruit. Celui selon lequel le débat sur la langue est unique à Montréal. »

Alexandre cite en exemple le FC Barcelone, où Neymar était tenu par contrat d’apprendre le catalan, le Bayer Munich, le club anglais Sunderland, l’objet d’un formidable documentaire sur Netflix (mais pas sur la langue, sur l’équipe en général), qui a demandé à ses nombreux joueurs français d’apprendre l’anglais.

On est très exigeant à Montréal. Quelques phrases ici et là, suffisent pour satisfaire le bon peuple en général. Et pour le joueur, c’est une marque de respect envers son public. Est-ce vraiment trop demander ?

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