Stéphane Robidas n’a jamais été un gars pressé. Ça tombe bien, car son nouvel employeur ne l’est pas non plus.

Le Canadien a annoncé jeudi avoir embauché le Sherbrookois comme adjoint à l’entraîneur-chef Martin St-Louis. Il sera responsable des défenseurs, succédant ainsi à Luke Richardson, parti à Chicago.

Robidas retrouve l’équipe qui l’a repêché en 1995 et avec laquelle il a disputé les 122 premiers matchs d’une carrière dans la LNH qui a duré plus de 15 ans.

Il s’agira pour lui d’une première expérience comme entraîneur d’une équipe professionnelle. Son CV, à ce titre, est assez mince. Deux saisons comme adjoint avec les Harfangs bantams AAA de l’école du Triolet, équipe pour laquelle a évolué son fils Justin de 2016 à 2018. Puis entraîneur-chef des Cantonniers de Magog, de la ligue midget AAA, la saison dernière.

Fin.

Il a certes vu les coulisses d’une équipe de la LNH de près, comme directeur du développement des joueurs chez les Maple Leafs de Toronto de 2017 à 2021. Force est néanmoins de constater que ce n’est pas sa longue feuille de route qui lui a valu son nouveau poste.

Ce qui saute aux yeux, c’est la cohérence de son embauche avec les changements qui s’exercent chez le Canadien depuis six mois. Kent Hughes n’avait jamais été directeur général auparavant. Martin St-Louis, on l’a lu partout, travaillait avec des joueurs d’âge bantam avant de devenir l’entraîneur-chef du CH. Sur la glace, l’effectif rajeunit. Celui derrière le banc aussi – aucun entraîneur n’a plus de 50 ans. Le canevas est vierge, ou presque.

Après que le club eut terminé au dernier rang du classement général la saison dernière, on s’attend à ce qu’il rate de nouveau les séries éliminatoires en 2022-2023.

Le fil conducteur est désormais le développement des jeunes joueurs. Et le maître-mot, la patience.

C’est d’ailleurs un terme que Robidas a répété à cinq reprises, jeudi matin, pendant une visioconférence suivant sa nomination.

« Chaque individu, chaque personne, chaque joueur est différent, a-t-il rappelé. Des gars arrivent à 18, 19, 20 ans et sont prêts à jouer de gros rôles. Il faut quand même bien les entourer, les placer dans une situation où ils vont connaître du succès. Pour d’autres, ça prend plus de temps. Mais chaque joueur a ses forces, il faut les maximiser. Il y a une raison pour laquelle ils ont été repêchés. »

Lui-même a disputé plus de 230 matchs dans la Ligue américaine avant de passer à l’échelon supérieur. En toute honnêteté, il avoue qu’il ne s’est senti « confortable », « à [sa] place », qu’au début de la trentaine. Vérification faite, c’est à cette époque qu’il a connu ses meilleures saisons. De 2007 à 2013, il a été l’indéniable leader de la défense des Stars. En 2009, il a d’ailleurs représenté son équipe au Match des étoiles, disputé à Montréal.

Encadrement

Même s’il sera responsable de tout le groupe de défenseurs, Robidas ne cache pas que son mandat sera spécifiquement d’encadrer les jeunes arrières de l’organisation qui frappent à la porte des rangs professionnels.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

En 2009, Stéphane Robidas a représenté les Stars de Dallas au Match des étoiles, disputé à Montréal.

C’est en effet l’équivalent d’une brigade complète qui débarquera, à Montréal et à Laval, d’ici quelques semaines. Justin Barron et Jordan Harris ont à peine goûté à la LNH. Kaiden Guhle et Arber Xhekaj viennent de terminer leur carrière junior. Mattias Norlinder ne s’est établi pour de bon en Amérique du Nord qu’au printemps dernier. Même s’il n’est plus « jeune » à bientôt 27 ans, Corey Schueneman n’a disputé que 24 matchs avec le CH.

Après avoir pris soin des défenseurs des Maple Leafs dans les rangs secondaires et universitaires, Robidas supervisera maintenant la transition de ceux du CH.

Il travaillera évidemment avec les vétérans déjà en place – David Savard, Joel Edmundson, Michael Matheson, Chris Wideman. Ceux-ci deviendront en quelque sorte ses alliés.

Le parrainage des jeunes, en défense, est « extrêmement important », témoigne le nouveau venu. Il se rappelle lui-même à quel point Eric Weinrich, qui l’avait pris sous son aile à ses propres débuts dans la LNH en 2000, a eu un effet « rassurant », « bénéfique » pour sa carrière. Il a plus tard cherché à reproduire cette relation de mentorat à Dallas, cette fois dans le rôle du grand frère. « Comme coach, ce sera ma job de jumeler tout ça, dit-il. Notre objectif est de nous améliorer ensemble. »

En entrevue avec La Presse, en avril dernier, Weinrich et Patrice Brisebois avaient vanté les mérites d’une telle dynamique.

Lisez le reportage « Le rôle primordial des “grands frères” en défense »

Les deux se rappelaient d’ailleurs à quel point Robidas était sérieux, dès ses premiers coups de patin dans la LNH. Weinrich l’avait décrit comme un « étudiant ».

Là encore, le parallèle avec le profil de Martin St-Louis est incontournable. En fait, même si Robidas et lui ne se connaissaient que de loin jusqu’à récemment, leurs philosophies semblent déjà alignées. « Un match parfait », résume-t-il.

Comme son nouveau patron, Robidas insiste sur l’importance de la communication avec ses joueurs tout en respectant leur individualité.

« Ce n’est pas tout le monde qui réagit de la même manière aux mêmes enseignements, détaille-t-il. Je dois d’abord évaluer les gars, et ensuite construire une relation avec eux, gagner leur respect. »

Il y a quelques semaines, il travaillait avec des adolescents. Le groupe d’âge sur son banc change, mais son approche restera essentiellement la même, promet-il.

« Un être humain, qu’il ait 15, 32, 42 ou 62 ans, c’est un être humain. »

Comme St-Louis, il cherche l’équilibre entre la structure d’équipe et la liberté accordée aux meilleurs joueurs de laisser leur talent s’exprimer. Surtout en défense, « tu ne peux pas juste lire le jeu ». Car, prévient-il, « si le gars à côté de toi fait une autre lecture, ce sera dur ».

Ce ne sera pas parfait, au contraire.

Il cite l’entraîneur-chef : « On ne se concentre pas sur les résultats, mais sur les intentions et la manière de jouer. »

« On va grandir comme personnel d’entraîneurs et comme équipe », promet-il.

La patience, répète-t-il, sera de mise.

À cette seule exception : « Je suis content, je suis emballé. J’ai hâte que ça commence. »

Il y a 20 ans, un étrange départ

Stéphane Robidas a beau dire qu’il doit encore « se pincer » pour s’assurer que de renouer avec l’organisation du Canadien n’est pas un rêve, il n’en demeure pas moins que la fin de son association avec le club, il y a deux décennies, s’était faite d’une drôle de manière.

Le 4 octobre prochain, cela fera en effet 20 ans que le CH a perdu ses services aux mains des Thrashers d’Atlanta lors du repêchage intraligue. À ne pas confondre avec un repêchage d’expansion, ce curieux mécanisme exigeait des équipes qu’elles protègent un certain nombre de joueurs tout juste avant le début de la saison. Ceux laissés sans protection devenaient disponibles pour toutes les autres équipes du circuit.

PHOTO ARCHIVES TIRÉE DU SITE DU CANADIEN DE MONTRÉAL

Stéphane Robidas sur sa photo officielle de la saison 2002-2003.

Profitant du tout premier choix, la jeune concession des Thrashers a sélectionné Robidas et l’a immédiatement échangé aux Stars de Dallas. Redoutant de perdre le Québécois sans rien obtenir en retour, le directeur général André Savard avait tenté, sans succès, de l’échanger au cours des jours précédents. Le DG, furieux, avait aussi vu les Predators de Nashville s’emparer de Francis Bouillon.

Le repêchage intraligue a été aboli au milieu des années 2000.

Robidas a profité du point de presse de jeudi pour rappeler le contexte de l’époque. Coincé derrière trois droitiers en défense – Craig Rivet, Patrice Brisebois et Stéphane Quintal –, il avait été muté à gauche, où il a connu toutes sortes de difficultés. Au camp d’entraînement, en 2002, « je savais qu’il n’y avait pas de place pour moi », raconte-t-il.

Même s’il était déçu de quitter l’équipe qu’il avait admirée toute son enfance, il a saisi cette chance de s’établir pour de bon dans la LNH. « Il faut penser à moi. C’est important que je joue », avait-il dit à la veille du repêchage, selon un article toujours en ligne sur le site de RDS.

C’est la présence de Guy Carbonneau à Dallas qui lui a valu d’être réclamé. L’ex-capitaine était entraîneur adjoint à Montréal en 2001-2002 et avait décroché un poste d’adjoint au directeur général des Stars pendant l’été. « C’est grâce à lui que j’ai eu ma deuxième chance », reconnaît aujourd’hui Robidas.

Cette chance, il ne l’a pas ratée. Il a par la suite disputé 815 matchs dans la LNH. C’est plus que la somme de ceux qu’ont joués Brisebois (249), Rivet (298) et Quintal (140) avec le Canadien au cours des années suivantes.

À la décharge du Tricolore, l’étoile du jeune homme avait pâli à Montréal. Après une excellente saison recrue en 2000-2001, il a peiné à sa seconde campagne. En témoigne son différentiel de -25 en 2001-2002, de loin le pire de l’équipe.

Encore là, la patience, la sienne comme celle des Stars, aura payé. Après coup, Robidas regarde son parcours avec sagesse.

« Comme dans la vie, pour un joueur de hockey, il y a des hauts et des bas. J’ai connu un recul après ma première année, et ça m’a pris un certain temps avant de revenir au top. Mais j’ai été capable de le faire. »

Un appel inattendu

« Je ne savais pas que je faisais cet effet-là à mes entraîneurs pour qu’ils graduent aussi vite ! »

Au bout du fil, Stéphane Julien rit de bon cœur. Le directeur général et entraîneur-chef du Phœnix de Sherbrooke, dans la LHJMQ, est évidemment heureux pour Stéphane Robidas, co-propriétaire de la franchise. Il perd néanmoins les services de celui qu’il a embauché comme adjoint il y a un mois et demi.

PHOTO FRÉDÉRICK CÔTÉ, ARCHIVES LA TRIBUNE

Stéphane Julien

Robidas, en effet, venait à peine d’amorcer un nouvel emploi. Après qu’il eut mené les Cantonniers de Magog jusqu’en finale de la Coupe Telus, à la fin du mois de mai, Julien qui lui a offert de rejoindre le Phœnix.

Robidas, apprend-on, était un peu « gêné » de descendre derrière le banc en demeurant le propriétaire du club. Or, comme les deux hommes se connaissent depuis leur propre stage junior, au début des années 90, le malaise a rapidement été évacué.

Au retour de ses vacances, à la mi-juin, Robidas a donc accepté ce mandat… avant d’appeler Julien il y a quelques jours pour lui apprendre que ses plans avaient changé.

C’est Martin St-Louis qui l’a personnellement approché, a-t-il révélé jeudi. Lui se préparait bel et bien à amorcer la saison à Sherbrooke.

Stéphane Julien salue la « belle acquisition » que vient de réaliser le Canadien. « C’est un très bon pédagogue, un passionné de la technique, du patin, du positionnement », énumère celui qui dirige actuellement l’équipe canadienne U18 qui s’apprête à disputer le tournoi de la Coupe Hlinka Gretzky à Red Deer, en Alberta.

« C’est un gars qui n’est pas gêné de demander l’opinion des autres. Il n’est pas têtu. Sa façon d’évaluer les défenseurs a beaucoup évolué. »

Julien a pu constater l’ascendant de Robidas sur les jeunes joueurs au cours des dernières années. Derrière le banc des Cantonniers, évidemment, mais également sur la glace, à Sherbrooke. Il n’était pas rare que le propriétaire vienne faire un tour aux entraînements de son équipe, sans pour autant s’imposer. Il participe également depuis plusieurs années à des écoles de hockey estivales dans la région.

« Les jeunes l’ont toujours apprécié », témoigne Stéphane Julien.