Depuis 1989, un total de 7,6 millions de dollars a été puisé dans le « fonds national d’équité » de Hockey Canada afin de dédommager neuf victimes d’agressions sexuelles sans aller devant les tribunaux.

Ce chiffre a été confirmé par Brian Cairo, directeur financier de Hockey Canada, qui était au nombre des membres actuels et passés de la direction de l’organisme qui ont témoigné devant le Comité permanent du patrimoine canadien, mercredi. S’ajoutent à cette cagnotte 1,3 million de dollars versés à 12 victimes supplémentaires, cette fois par la compagnie d’assurances de l’entité qui chapeaute toute la pratique du hockey au pays.

Ces sommes, importe-t-il de préciser, n’incluent pas le règlement à l’amiable qu’a récemment conclu Hockey Canada avec une jeune femme qui affirme s’être fait violer en juin 2018 par huit joueurs après le gala de la fondation de Hockey Canada à London, en Ontario. La victime a intenté une poursuite au civil de 3,55 millions. Les détails de l’entente finale n’ont jamais été dévoilés – encore que Scott Smith, président-directeur général de l’organisme, ait révélé mercredi avoir reçu le feu vert du conseil d’administration pour le versement d’une somme « maximale ». Hockey Canada affirme encore liquider des investissements pour régler ce litige.

C’est donc dire que, depuis 33 ans, 22 victimes se sont partagées jusqu’à 12,45 millions de dollars.

La ministre des Sports, Pascale St-Onge, a été estomaquée d’apprendre que de telles sommes avaient été versées pour régler des dossiers de nature sexuelle.

J’aimerais savoir si on investit autant de ressources en prévention, en éducation, en encadrement, en protection des athlètes et du public.

Pascale St-Onge, ministre des Sports

« J’ai comme l’impression qu’il y a plus d’argent qui a été utilisé pour faire des ententes à l’amiable et verser des compensations pour les actes répréhensibles plutôt que de prévenir. Je trouve ça extrêmement problématique », a-t-elle affirmé en entrevue après avoir suivi la rencontre du comité.

Controverse sur le fonds

Le recours au « fonds national d’équité » pour régler des affaires d’agression sexuelle a créé un tollé après que le Globe and Mail eut révélé ce modus operandi, la semaine dernière. Ce fonds de prévoyance, créé afin de pallier les évènements qui échappent à la couverture d’assurances de Hockey Canada – notamment certaines blessures subies par des athlètes –, est en partie financé par les inscriptions des joueurs d’âge mineur de partout au pays.

Des 7,6 millions qui ont été utilisés, 6,8 millions sont liés au dossier de Graham James, entraîneur reconnu coupable de multiples agressions sexuelles sur des joueurs dans les années 1980 et 1990. En outre, de la somme de 1,3 million couverte par l’assureur de Hockey Canada, 1 million a été versé après quatre incidents liés au même individu. Son identité n’a pas été dévoilée devant le Comité du patrimoine.

Les élus se sont montrés éminemment critiques de la gouvernance de Hockey Canada. Plusieurs d’entre eux ont accusé l’organisme d’avoir « balayé sous le tapis » ces histoires au détriment des victimes.

Le député libéral Anthony Housefather s’est montré éberlué devant le déroulement des évènements ayant mené au règlement à l’amiable avec la victime du viol collectif allégué de 2018. Il s’est passé à peine quelques semaines entre le dépôt de sa poursuite au civil devant la Cour supérieure de l’Ontario et la conclusion d’une entente. L’organisme, qui n’avait en main qu’un compte rendu très incomplet des évènements produit par la firme Heinen Hutchison, n’avait même pas avisé les huit joueurs qui étaient aussi visés par l’action judiciaire.

« C’est extrêmement inhabituel », a fait valoir l’avocat de formation.

Nous avons pris la décision de conclure une entente dans le meilleur intérêt de la jeune femme, et afin de protéger sa vie privée. Nous ne voulions pas qu’elle subisse ce qu’elle subit depuis 10 ou 12 jours dans les médias. Nous avons pris cette décision pour l’aider à aller de l’avant.

Scott Smith, président-directeur général de Hockey Canada

M. Housefather s’est aussi étonné que la compagnie d’assurances de Hockey Canada, qui offre pourtant une couverture en cas d’agressions sexuelles, n’ait pas eu accès à la poursuite ou pris part aux discussions sur son règlement.

Les parlementaires ont également manifesté leur surprise et leur incompréhension de constater qu’aucun procès-verbal n’avait été produit à la suite de la réunion au cours de laquelle le conseil d’administration a formellement approuvé le dédommagement qui serait versé à la victime. Aucun des procès-verbaux des réunions du C. A. tenues depuis la mi-mars – au moins cinq – n’est en outre disponible.

Quelle crise ?

Le libéral Michael Coteau a talonné Scott Smith afin de savoir s’il considérait que Hockey Canada, voire le sport en général, traversait une « crise ».

« Un accident est un accident de trop », a répondu le PDG, évitant la question.

Les scandales des dernières années trahissent-ils des problèmes « systémiques » ?, a demandé le député.

« Nous n’avons pas eu de problèmes au hockey féminin ni dans certains secteurs du hockey mineur [masculin], a rétorqué M. Smith. Mais dans d’autres secteurs, et dans les niveaux supérieurs, il y en a eu. »

Dan MacKenzie, président de la Ligue canadienne de hockey, a lui aussi soutenu la thèse des incidents isolés, à l’heure où les critiques fusent de partout sur la culture de masculinité toxique associée au hockey.

« La culture dépend des équipes, du coaching, du leadership, des formations qui sont dispensées, a dit M. MacKenzie. C’est très spécifique. »

Des arguments qui n’ont pas semblé émouvoir les parlementaires.

« On a besoin d’un nettoyage du hockey et du sport », a d’ailleurs conclu le conservateur Kevin Waugh.