L’un des huit joueurs de hockey d’Équipe Canada junior qui aurait été impliqué dans un viol collectif en 2018 a contacté la présumée victime dès le lendemain des évènements.

Le joueur a d’abord demandé à la jeune femme, dans un texto, si elle avait contacté la police, a rapporté le Globe and Mail, mardi. Cette dernière a répondu qu’elle avait parlé de sa soirée avec sa mère et que celle-ci avait pris l’initiative d’appeler les policiers contre sa volonté.

« Tu as dit que tu t’amusais », a répondu le joueur.

« J’étais vraiment ivre, je ne me sentais pas bien du tout après. Mais je n’essaie pas de causer des ennuis à qui que ce soit », a-t-elle enchaîné.

« J’étais d’accord pour rentrer avec toi, mais tous les autres après, je ne m’y attendais pas. J’avais juste l’impression qu’on se moquait de moi et qu’on profitait de moi », a-t-elle poursuivi.

Le joueur de hockey a ensuite demandé que la plainte soit retirée.

Tu dois parler à ta mère maintenant pour clarifier les choses avec la police avant que ça n’aille trop loin. C’est une affaire sérieuse qu’elle déforme et qui pourrait avoir des impacts importants pour beaucoup de gens, y compris toi.

L’un des huit joueurs d’Équipe Canada junior, par texto, à la présumée victime

La femme s’est alors excusée pour les problèmes qu’elle aurait déjà pu causer.

Dans les heures qui ont suivi, le joueur de hockey a envoyé des textos à la jeune femme à quelques reprises pour s’assurer que sa mère avait corrigé sa version des faits auprès des policiers. « Peux-tu s’il te plaît comprendre comment faire disparaître ça et contacter la police », a insisté le joueur.

En soirée, la jeune femme a fini par écrire : « Je leur ai dit que je n’irais pas plus loin et que c’était une erreur. Vous devriez être corrects maintenant et j’espère que rien de plus n’en sortira. »

Actes sexuels « consentis »

Cet échange de messages textes a été présenté au quotidien Globe and Mail par les avocats de sept membres anonymes de l’équipe canadienne de hockey junior de 2018. Ceux-ci ont également fourni deux vidéos qui ont été filmées dans la nuit du 19 juin 2018 dans l’hôtel de London, en Ontario, où l’équipe sportive se trouvait. Les enregistrements de 6 et 12 secondes montrent que la jeune femme semble consentir au déroulement de la soirée.

« Tu es d’accord avec ça ? », demande une voix masculine non identifiée. « Je suis d’accord avec ça », répond la femme.

Les avocats des sept joueurs ont voulu démontrer que les actes sexuels étaient consentis et que la plaignante n’était pas craintive, intimidée ou en état d’ébriété, comme elle l’a affirmé. L’avocate de la présumée victime n’a pas commenté l’article, puisque des enquêtes sont en cours, a-t-elle dit au journal.

Hockey Canada est au cœur d’un scandale pour avoir tenté d’étouffer le prétendu viol collectif. L’organisation a fait face à une poursuite de plusieurs millions de dollars qui a été réglée à l’amiable, en mai dernier. Le montant de l’entente n’a jamais été divulgué.

L’affaire fait l’objet d’une enquête par Hockey Canada, la Ligue nationale de hockey et le Parlement. Plusieurs commanditaires se sont retirés temporairement du financement de l’organisation.

Karine Gagnon, coordonnatrice au soutien organisationnel et au développement pour le réseau des Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), estime que les deux vidéos ne démontrent pas que la jeune femme a été consentante toute la nuit.

« Le consentement doit être continu et éclairé. Une personne peut donner son consentement à un moment et le retirer la minute d’après. Dans les vidéos, ça se peut très bien qu’à ce moment-là, la femme était consentante, mais que la minute d’après, elle ne l’était plus », souligne Mme Gagnon.

La coordonnatrice se demande aussi pourquoi l’un des joueurs s’est inquiété que la jeune femme ait contacté les policiers. « Ces textos soulèvent beaucoup de questions. Pourquoi cet homme s’est imaginé qu’elle avait peut-être appelé les policiers ? Qu’est-ce qui lui a fait penser qu’il y avait quelque chose d’illégal qui s’était passé durant la nuit ? On laisse entendre qu’il y a eu un consentement et qu’il n’y a pas eu d’agression, mais d’un autre côté, je me demande si on a fait pression sur cette personne », ajoute-t-elle.

Justin Trudeau « vraiment perturbé »

D’autre part, l’existence chez Hockey Canada d’un fonds de réserve pour régler des litiges, y compris les réclamations pour agressions sexuelles, a été qualifiée d’« absolument inacceptable » par le premier ministre Justin Trudeau, mardi.

L’existence de ce fonds spécial a été révélée dans une déclaration sous serment de juillet 2021 signée par Glen McCurdie, qui était alors vice-président des assurances et de la gestion des risques à Hockey Canada, dans le cadre d’une poursuite intentée par un joueur blessé en Ontario.

« Hockey Canada maintient une réserve dans un compte distinct pour payer les responsabilités non assurées qui pourraient survenir », indique la déclaration, que La Presse a consultée. McCurdie affirme que « les passifs non assurés comprennent les réclamations potentielles pour abus sexuels passés ».

Tard en soirée mardi, Hockey Canada a confirmé l’existence de ce fonds « qui sert à couvrir un large éventail de dépenses ». L’organisation a aussi affirmé, par courriel, qu’elle entamera prochainement une révision complète de sa gouvernance dont l’administration de ce fonds.

Invité à réagir à la nouvelle, Justin Trudeau a rappelé que celle-ci s’ajoutait à une série de révélations concernant la façon dont Hockey Canada gère les allégations d’inconduite sexuelle.

« Je pense qu’énormément de personnes ont perdu confiance dans cette organisation. […] Je suis vraiment, vraiment perturbé par la culture qui apparemment s’est immiscée dans les plus hauts niveaux de cette organisation », a-t-il laissé tomber en marge d’une annonce en Colombie-Britannique.

« Je pense que c’est essentiel qu’on voie une nouvelle approche et un compte rendu des conséquences pour les gens qui sont responsables de ce manque de respect profond en tant qu’institution », a insisté le premier ministre.