Kent Hughes constituait un témoin privilégié au Centre Molson en juin 2009 lorsque la foule s’est mise à scander le nom de Louis Leblanc… avant même que Trevor Timmins ne s’avance vers le micro.

Il eut alors été impensable pour le Canadien de bouder le héros local au profit d’un obscur joueur en provenance d’une école secondaire du Massachusetts. « Il y aurait eu une émeute à Montréal si on avait préféré Chris Kreider à Leblanc », avait confié Timmins quelques années plus tard.

Treize ans ont passé. Kreider vient de connaitre une saison de 52 buts, une septième année de plus de 20 buts en carrière. Jeff Gorton, alors DG des Rangers, lui a offert un contrat de 45 millions de dollars pour sept ans en 2020. Il a aussi eu le temps de bousiller le genou de Carey Price.

Leblanc est à la retraite depuis sept ans déjà. Il a disputé 50 matchs dans la LNH, obtenu 10 points. Montréal l’a cédé aux Ducks d’Anaheim en juin 2014 pour des conditions futures. Le CH aurait obtenu un choix de cinquième tour si Leblanc avait disputé au moins 15 matchs avec les Ducks, mais il n’a jamais été rappelé des mineures. Le Canadien n’a donc rien reçu.

Hughes est bien placé pour se souvenir de cette soirée complexe pour la direction du Canadien. Il était assis aux côtés du jeune homme. Avant que Leblanc ne le largue un an plus tard au profit de Pat Brisson.

Une majorité de fans réclamait Shane Wright au premier rang jeudi soir. De nombreux partisans s’étaient même présentés au Centre Bell avec le chandail numéro 51 du jeune homme. La plupart des listes des spécialistes plaçaient Wright premier. L’une des principales menaces de l’Ontarien pour le trône, le Slovaque Juraj Slafkovsky, a même été accueilli par quelques huées lors de son passage sur le tapis rouge à son arrivée à l’amphithéâtre.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le sourire que Geoff Molson affichait en accueillant Juraj Slafkovsky, jeudi, ne mentait pas.

Le directeur général du Canadien s’est très certainement souvenu de cette soirée de juin 2009 ces dernières semaines. Ça prenait quand même des nerfs d’aciers, et beaucoup d’audace, à son premier repêchage à titre de DG, à Montréal par surcroit, pour aller à l’encontre de la faveur populaire. Vous savez désormais de quoi Kent Hughes est fait.

Shane Wright, un joueur d’exception à 15 ans, a non seulement été boudé par le Canadien, il a été ignoré par les Devils et les Coyotes, avant d’aboutir à Seattle, détenteurs du quatrième choix.

Le géant Slafkovsky, lui, a mis moins de trente minutes à séduire la foule du Centre Bell, qui finalement lui a réservé un accueil digne d’une superstar. Il n’oubliera jamais cette soirée.

Un Championnat mondial déterminant

Juraj Slafkovsky a toujours été considéré comme l’un des bons candidats pour cette cuvée, mais sa cote a monté davantage depuis les Jeux olympiques, où il a marqué sept buts en autant de rencontres. Le calibre était néanmoins faible à ces Jeux, privés des joueurs de la LNH.

Ses neuf points en huit matchs obtenus au Championnat du monde sont plus révélateurs. Ses détracteurs arguent qu’il n’a pas produit contre la Finlande et le Canada, mais plutôt face à l’Italie, la France et le Kazakhstan. Et les statistiques leur donnent raison.

Mais en l’observant avec minutie lors de ces matchs contre la Finlande et le Canada, on remarque un ailier de puissance de 6 pieds 4 pouces et 220 livres qui a multiplié les occasions de marquer (cinq tirs contre le Canada et quatre face à la Finlande), un ailier qui, malgré ses 18 ans depuis avril, gagnait la majorité de ses batailles le long de la rampe, n’hésitait jamais à foncer au filet adverse et à mettre à profit son très bon tir.

Slafkovsky était opposé systématiquement aux paires de défenseurs composées de Miro Heiskanen et Esa Lindell (des Stars de Dallas) contre la Finlande et de Thomas Chabot et Zach Whitecloud contre le Canada.

Et même si le tournoi aurait pu entrer dans les jambes d’un garçon de 18 ans après plusieurs matchs de vive compétition, l’entraîneur Craig Ramsay, qui a vu neiger, n’a pas hésité à l’employer plus de 20 minutes lors de la dernière rencontre, en quarts de finale, contre la Finlande, deuxième joueur de plus utilisé de l’équipe, toutes positions confondues.

Slafkovsky a ses failles. Il lui reste du travail à faire sur le plan de la compréhension du jeu lorsqu’il n’est pas en possession de la rondelle. Les recruteurs du CH ont tenu à s’assurer qu’il serait un bon élève. De toute évidence, ils ont été convaincus.

Sa faible production en Liiga cet hiver, 10 points seulement en 31 matchs, en laisse certains perplexes. Mais il jouait au sein d’un club ultra défensif, sur une patinoire à grande dimension, pas idéale pour un attaquant de puissance comme lui, et la direction du TPS Turku n’avait aucun intérêt à fournir à un jeune joueur étranger un temps d’utilisation favorable au détriment des vétérans et des joueurs ayant grandi au sein de son organisation.

On a finalement consenti à l’utiliser davantage après les Jeux olympiques et il a marqué quatre buts à ses dix derniers matchs (un seul à ses 21 premières rencontres de saison régulière) et obtenu sept points en 18 matchs éliminatoires à 17 ans, au cinquième rang des compteurs de l’équipe.

Le pari Kirby Dach

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Kirby Dach

Les deux premiers centres des Rangers de New York la saison dernière, Mika Zibanejad et Ryan Strome, avaient tous deux perdu la faveur de leurs patrons lorsque le VP aux opérations hockey du Canadien, Jeff Gorton, alors directeur général des Blue Shirts, a fait leur acquisition.

Malgré ses 51 points en 81 matchs à sa quatrième saison dans la LNH, à 23 ans, on ne croyait plus trop en Zibanejad, sixième choix au total en 2011, à Ottawa. Du moins on a même ajouté un choix de deuxième ronde à l’offre aux Rangers pour obtenir un centre de presque 29 ans, Derick Brassard, en juillet 2016. Il fallait quand même de l’audace de la part de Gorton puisque Brassard avait amassé 16 points en 19 matchs de séries un an plus tôt.

Acquis un peu plus de deux ans plus tard, Strome, un cinquième choix au total des Islanders en 2011, avait déjà été échangé par Long Island et venait de connaitre une saison de seulement 34 points à Edmonton à 24 ans. Gorton a offert en retour aux Oilers Ryan Spooner, qui venait de connaitre de brefs succès.

On souhaite au Canadien autant de succès avec Kirby Dach. Zibanejad a obtenu 206 points à ses 194 derniers matchs à New York, Strome 162 à ses 200 derniers.

Le Canadien prend évidemment un risque calculé avec Dach. Les Blackhawks de Chicago n’auraient pas échangé un centre offensif de 21 ans au cœur d’une reconstruction si les choses allaient bien.

Mais dans l’évaluation du Canadien, Alexander Romanov, malgré sa fougue et sa robustesse, n’allait jamais devenir un défenseur de première paire au sein d’une équipe de premier plan, encore moins un défenseur offensif. On l’aurait évidemment conservé si on avait été en mesure de le faire, mais on réalisait qu’il y avait du travail à accomplir sur le plan de ses prises de décisions avec la rondelle.

Il y avait aussi congestion en défense avec l’arrivée imminente du premier choix de l’équipe en 2020, Kaiden Guhle, robuste à souhait lui aussi et supérieur à Romanov à tous les points de vue selon la direction de l’équipe. Sans oublier Jordan Harris, un défenseur tout en finesse, et le géant de 6 pieds 4 et 220 livres Arber Xhekaj, 21 ans, qui a fait sensation en séries dans les rangs juniors, et Jayden Struble, un autre défenseur gaucher costaud et rugueux.

On pouvait donc se permettre de sacrifier un jeune défenseur établi pour miser sur un centre doué de 21 ans, une denrée rare au sein de l’organisation. Dach, comme Slafkovsky, mesure plus de 6 pieds 4 pouces. On obtient ainsi un meilleur équilibre à l’attaque en termes de gabarit avec Cole Caufield déjà en place et Sean Farrell éventuellement.

Dach a été repêché au troisième rang en 2019, après Jack Hughes et Kaapo Kakko, douze places avant Caufield. Il a un an de moins que Romanov, et même quelques semaines de moins que Caufield.

Sa sélection dans le top trois a constitué une certaine surprise, mais Dach a atteint la LNH à 18 ans. Il a amassé 23 points en 64 matchs dès sa première saison, une production semblable aux Alexis Lafrenière et Jack Hughes à leur première année.

Dach devait constituer la vedette incontestée de l’équipe canadienne junior en janvier 2021 au Championnat mondial, on l’avait même nommé capitaine, lorsqu’une blessure au poignet l’a contraint à l’abandon.

Il semble ne s’en être jamais remis, mais a néanmoins amassé 10 points en 18 matchs à son retour au jeu, en mars 2020.

Mais le jeune homme, qui a eu 21 ans en janvier, a connu une saison à oublier, comme plusieurs joueurs des Hawks, avec 26 points en 70 matchs l’an dernier.

Dach a amassé 13 points à ses 29 premières rencontres en 2021, jouait entre 18 et 23 minutes par match, mais tout s’est écroulé par la suite. Le changement d’entraîneur n’a peut-être pas aidé.

Malgré sa production offensive limitée, c’est un centre déjà très responsable défensivement, qui ne prendra pas de raccourci avant d’engraisser sa fiche, qui possède un bon coup de patin pour un joueur de son gabarit, un travailleur acharné qui joue de façon très dynamique.

Kris Letang a songé à Montréal

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Kris Letang

Avant de signer avec les Penguins de Pittsburgh cette étonnante prolongation de contrat de six ans (pour 36 millions), compte tenu de ses 35 ans, Kris Letang a songé à l’éventualité de se joindre au Canadien.

« Pas juste pour rentrer à la maison, mais également à cause de l’organisation qui a beaucoup d’histoire, a-t-il déclaré aux journalistes. Quand j’étais enfant, je suis allé souvent au Centre Bell, je les ai vécues, ces émotions-là. Encore ce soir, d’entendre la foule… T’en rêves un peu dans ta tête. C’est une équipe que j’ai toujours admirée. »

Clairement, les Penguins n’avaient pas l’intention de reconstruire. Plus de détails dans le texte de Simon-Olivier Lorange.

À ne pas manquer

1 - Le choix de fin de première ronde du Canadien, Filip Mesar, et le premier choix du Juraj Slafkovsky, sont les meilleurs amis du monde. Un texte de Guillaume Lefrançois.

2 - Alexandre Pratt estime que le CH a pris de grands risques, jeudi soir.

3 - Deux Québécois ont été repêchés en première ronde, Nathan Gaucher à Anaheim et Maveric Lamoureux en Arizona. Richard Labbé avec les détails.