« Est-ce que c’est confirmé… ? »

Le visage blême, Chuck Fletcher, directeur général des Flyers de Philadelphie, n’a pu s’empêcher de poser la question à un journaliste. Celui-ci venait pourtant, tout simplement, de lui demander s’il avait discuté avec Bill Guerin, son homologue du Minnesota.

Fletcher et Guerin peuvent en effet sympathiser. La nouvelle que Fletcher craignait de voir se confirmer, c’est celle selon laquelle Kirill Kaprizov, attaquant étoile du Wild, était activement recherché par les autorités russes après avoir prétendument acheté une « carte d’identité militaire », en 2017, afin de se soustraire au service militaire obligatoire.

Toute la journée, le mystère a plané : est-ce que Kaprizov était toujours en Russie ? Était-il plutôt en route vers l’Amérique du Nord ? Michael Russo, du site The Athletic, a suivi l’affaire pas à pas. Guerin lui a finalement confirmé que son joueur se trouvait toujours dans son pays natal. Le directeur général tentait toujours de réunir un maximum d’informations à ce sujet, mais n’était « pas trop inquiet ».

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Si Fletcher s’intéressait au dossier d’aussi près, c’est parce qu’un de ses propres joueurs est enfoncé dans un bourbier encore pire. Le gardien Ivan Fedotov, choix de septième tour des Flyers en 2015, a été arrêté en Russie la semaine dernière, sous le même prétexte que Kaprizov. Il a depuis été envoyé dans un camp naval militaire.

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Ivan Fedotov

À la veille du repêchage de la LNH, et alors que tous les dirigeants du circuit ont déjà convergé vers Montréal, la Russie était au centre de bien des conversations, mercredi, au terme de la réunion des directeurs généraux.

Avec l’arrestation de Fedotov, et vu le mandat d’arrêt lancé contre Kaprizov, les équipes peuvent légitimement se demander si leurs joueurs retournés dans leur pays d’origine pour l’été seront en mesure de rejoindre leur équipe respective à la fin de l’été.

« C’est une situation indépendante de notre volonté », a résumé Ken Holland, directeur général des Oilers d’Edmonton. À sa connaissance, le défenseur Dmitri Samorukov et sa femme se trouvent actuellement à Edmonton. Il ne savait pas, cependant, de quel côté du Pacifique se trouve Matvei Petrov, choix de sixième tour en 2021, qui a disputé la dernière saison dans la Ligue junior de l’Ontario.

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Ken Holland, directeur général des Oilers d’Edmonton

Patrik Allvin, DG des Canucks de Vancouver, n’a pas semblé particulièrement inquiet pour Vasily Podkolzin et Andrei Kuzmenko, tous deux en Russie pour l’été. « Je m’attends à ce qu’ils rentrent dans le courant du mois d’août ou au début de septembre comme prévu », a-t-il dit.

Kent Hughes, du Canadien, a quant à lui souligné que le défenseur Alexander Romanov devait rentrer à Montréal mercredi ou jeudi. « On m’a dit que tout était sous contrôle, mais c’est sûr que tout sera davantage sous contrôle lorsqu’il sera en Amérique du Nord, a commenté le patron du Tricolore. On ne m’a pas donné de raison d’être inquiet. »

Lou Lamoriello, des Islanders de New York, a dit avoir bon espoir que ses joueurs prendraient « les décisions dans leur intérêt supérieur ». Jim Nill, des Stars de Dallas, a tenu le même discours, mentionnant que Denis Gurianov se trouvait justement là-bas. Le jeune Artem Grushnikov, qui évoluait lui aussi en Ontario la saison dernière, reste toutefois en Amérique du Nord « pour le moment ».

« C’est leur pays, ils savent ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire, c’est leur décision. Denis n’a pas eu de problème », a expliqué Nill.

La question russe pourrait bien sûr s’inviter dans les listes d’espoirs que les équipes dressent. Mais, a rappelé Kevyn Adams, des Sabres de Buffalo, « on ne repêche pas en fonction de l’an prochain. On ne sait pas à quoi ressemblera le monde dans trois ans ».

Malaise

Si certains directeurs généraux ont le cœur léger, le sentiment n’est pas unanime.

Fletcher a prudemment indiqué que « chaque situation est unique » et que la LNH n’a pas donné de consignes spécifiques à ce sujet. « Il faudrait demander à Gary ou à Bill », a-t-il soufflé, en référence à Gary Bettman et Bill Daly, commissaire et commissaire adjoint du circuit, respectivement.

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Gary Bettman, commissaire de la LNH

Bettman, toutefois, a refusé de répondre à une question de La Presse à ce sujet. « Ce sont les DG qui parlent aujourd’hui », a-t-il lancé. Le commissaire s’adressera aux médias ce jeudi dans le cadre d’un point de presse commun avec l’Association des joueurs, sur un tout autre sujet.

Kevin Cheveldayoff, des Jets de Winnipeg, s’est réfugié derrière un refus de commenter « des cas individuels ».

Pierre Dorion, des Sénateurs d’Ottawa, a semblé lui aussi embêté par l’affaire russe. Deux de ses principaux défenseurs, Nikita Zaitsev et Artem Zub, sont nés au pays de Kim Yaroshevskaya.

Lorsque La Presse lui a demandé s’il était inquiet, Dorion a marqué un long silence. Il a rappelé que ce n’était pas à lui de décider, pendant la saison morte, des allées et venues de ses joueurs. En toute honnêteté, « je n’ai aucune idée d’où ils sont », a-t-il avoué. Avant d’ajouter : « J’ai une bonne idée de ce qu’ils font, mais ce n’est pas à moi de discuter de ça. »

La discussion n’est pas près d’être terminée pour autant, peut-on présumer.

Avec la collaboration de Guillaume Lefrançois, La Presse