Si c’est à travers les obstacles qu’on devient plus fort, Emanuelson Charbonneau doit être invincible. Il avait 12 ans quand il a perdu sa « fan numéro un ». Sa mère. Le jeune homme a été « fort, très fort. Mais le hockey l’a sauvé », raconte sa grand-mère Thérèse.

Emanuelson Charbonneau, que tout le monde appelle Manu, nous accueille dans la jolie demeure de ses grands-parents, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Le défenseur de 6 pi 3 po, qui évolue pour les Bulldogs d’Alberni Valley, dans la Ligue de hockey junior de la Colombie-Britannique (BCHL), espère être repêché dans la LNH, vendredi.

C’est son rêve, comme celui de beaucoup de joueurs de hockey. Mais que ce rêve se concrétise ou pas cette année, Manu n’abandonnera pas. « Si ce n’est pas cette année, ce sera l’année prochaine », dit-il.

Quand on connaît son histoire, on ne peut que le croire : on a affaire à un battant. Un vrai.

Enfant unique, Manu a été élevé par sa mère, Annie Charbonneau. Son père n’a jamais vraiment fait partie de sa vie — il le voit environ une fois par mois.

Le jeune homme avait 12 ans quand sa mère a été retrouvée morte, intoxiquée au monoxyde de carbone dans une demeure de Salaberry-de-Valleyfield, le 29 décembre 2016.

Il se faisait garder chez ses grands-parents ce soir-là, comme c’était toujours le cas lorsque sa mère travaillait ou sortait pour une soirée. Annie Charbonneau, 39 ans, avait rendez-vous avec un homme rencontré sur un réseau social. En fin de soirée, le duo s’est rendu chez l’homme, qui avait laissé une génératrice fonctionner toute la journée au sous-sol.

« Ils sont décédés tous les deux peut-être 15 ou 20 minutes après qu’ils sont rentrés dans la maison », raconte Thérèse Charbonneau, la grand-mère de Manu, rentrée tout juste à temps pour se joindre à nous pour l’entrevue.

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Emanuelson Charbonneau et sa grand-mère Thérèse

Mme Charbonneau regarde son petit-fils avec adoration. L’amour qu’elle lui voue se ressent dans chacune de ses phrases. Elle se souvient très bien de cette journée qui a bouleversé sa vie, celle de son conjoint et celle de son petit-fils.

« Il pleurait, il n’arrêtait pas de crier, raconte sa grand-mère. J’ai dormi avec lui quelques soirs. On s’est parlé beaucoup. Tu n’as pas le choix de croire au destin. On se pose tout le temps plein de questions, mais son heure était arrivée.

« J’ai trouvé [Manu] fort, très fort, ajoute-t-elle. Mais le hockey l’a sauvé. »

Bouée de sauvetage

Au bout de la table, le jeune homme acquiesce discrètement.

Dirais-tu que le hockey a été ta bouée de sauvetage ? lui demande-t-on.

« Oui, répond-il sans hésitation. Encore aujourd’hui. Je suis tout le temps sur la glace, dans le gym. […] Je ne dirais pas que je vis pour le hockey, mais c’est 95 % de ma vie en ce moment.

« Je l’ai quand même bien vécu parce que j’étais bien encadré, continue-t-il. On ne m’a pas laissé me détruire intérieurement avec ça. Mes grands-parents, mes amis, mon école… tout le monde m’a vraiment bien encadré. Je n’ai jamais vraiment arrêté non plus. Je suis retourné à l’école immédiatement. J’ai continué le hockey. »

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Emanuelson Charbonneau espère être repêché par une équipe de la LNH.

« Il avait un tournoi organisé au Saguenay tout de suite après, renchérit sa grand-mère. Les parents [des autres joueurs] ont célébré sa fête, lui ont acheté plein de cadeaux. Franchement, on était bien entourés. »

Manu mentionne Noah Warren, qui évolue actuellement pour les Olympiques de Gatineau et qui est lui aussi admissible au repêchage. « Ses parents m’ont vraiment beaucoup aidé, dit-il. C’était comme mon frère, j’étais tout le temps avec lui. »

Thérèse et Luc Charbonneau, qui venaient de perdre leur fille, n’ont évidemment pas hésité à accueillir leur petit-fils à la maison. Leur vie a changé.

« Le matin, je le réveillais, préparais le déjeuner et les lunchs, il prenait l’autobus », dit la grand-mère.

« On a trouvé ça un peu olé olé ! », ajoute-t-elle en riant.

Joueur exceptionnel

Un an et demi plus tard, en 2018, Manu Charbonneau a été l’un des trois joueurs du Québec à recevoir le statut de « joueur exceptionnel ». Il a donc fait le saut dans la Ligue de hockey M18 AAA du Québec, avec les Riverains du collège Charles-Lemoyne, à l’âge de 14 ans.

Charbonneau, qui dit se démarquer par son jeu physique et sa vision du jeu, a inscrit 15 points en 39 matchs cette année-là. Il a affiché la même récolte l’année suivante. En 2020, il a été sélectionné au troisième tour du repêchage de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), par l’Armada de Blainville-Boisbriand.

Sauf que Manu a toujours voulu jouer dans un collège américain, « parce [qu’il est] quand même bon à l’école et [qu’il veut] un plan B », explique-t-il. Il a donc préféré s’entendre avec l’Université du Nebraska à Omaha, en Division 1 de la NCAA, qui lui a offert une bourse d’études complète.

Avant de faire le saut dans le circuit américain, il devait terminer son secondaire ; il s’est joint aux Bulldogs d’Alberni Valley, avec lesquels il a inscrit 16 points en 41 rencontres cette saison.

C’est mon rêve de me rendre loin au hockey et ce sont les sacrifices qu’il faut faire. Je ne jouerai jamais haut si je reste ici. Ça fait partie de la chose, de bouger et partir.

Emanuelson Charbonneau

À Saint-Jean-sur-Richelieu, les grands-parents Charbonneau n’ont manqué aucun match malgré le décalage horaire de trois heures. « On le met sur l’ordinateur, on connecte le fil sur la télé et on regarde tous ses matchs, lance la sympathique dame. […] C’est en anglais, mais on le voit jouer ! »

Trois objectifs

L’année prochaine, Manu prendra la direction d’Omaha pour sa première saison dans la NCAA. Il n’a rencontré virtuellement aucune équipe de la LNH, mais il garde espoir que son nom sorte au repêchage de vendredi.

S’il y a une équipe qui croit en moi cette année, tant mieux, je serai honoré. Mais je ne vais pas arrêter mes efforts si je passe à côté.

Emanuelson Charbonneau

Quoi que l’avenir lui réserve sur la patinoire, il pourra toujours être fier du chemin qu’il a parcouru. Et du jeune homme qu’il est devenu. La perte de sa mère demeure « un mauvais souvenir », mais il essaie d’en retirer « le plus de positif possible », dit-il. « C’est ce qui fait ma maturité aujourd’hui », affirme-t-il.

« C’était mon rêve de jouer junior un jour, de continuer à jouer au hockey. En même temps, j’ai terminé mon secondaire cette année. Je rentre à l’université. Je me suis toujours dit que je voulais me garder en forme, jouer au hockey et réussir à l’école. Je réussis très bien mes trois objectifs jusqu’à présent, donc je suis satisfait. »