« On en a marre de se sentir comme ça… »

Mitch Marner peinait à contenir sa tristesse, et probablement sa colère. Les Maple Leafs venaient tout juste de s’incliner 2-1 dans le septième match de leur série de premier tour contre le Lightning de Tampa Bay.

Auston Matthews a eu beau dire, presque en chuchotant, que sa déception n’était liée qu’à la défaite de samedi soir, à domicile de surcroît, il est évident que le passé pèse lourd sur les épaules des principaux joueurs de ce groupe.

Depuis qu’ils ont amorcé leur carrière dans la LNH, en 2016-2017, Marner et Matthews n’ont jamais remporté une série. On a beau répéter que la disette remonte en réalité à 2004, à une époque où ils étaient des enfants, c’est sur les épaules de ces deux-là que pèse le plus lourd cette séquence qui n’en finit plus.

Au cours des cinq dernières saisons, les Leafs sont allés à la limite d’une série à cinq reprises. Cinq fois, c’est la tête basse qu’ils en sont sortis. Selon la firme de statistiques Stats Perform, ce serait du jamais-vu dans l’histoire de la LNH, mais aussi de la NBA et des Ligues majeures de baseball. Juste ça.

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. De toutes les tentatives des dernières années, la plus récente est, à n’en point douter, celle qui a montré les Maple Leafs sous leur meilleur visage. Une équipe talentueuse – ce qu’on savait –, mais aussi combative, résiliente, des qualités qu’on connaissait moins. En toute honnêteté, ils méritaient de gagner cette série. « On est passés tellement près », a laissé tomber Matthews. « Une question de pouces », a renchéri Morgan Rielly. « La ligne était mince », a conclu John Tavares pour illustrer l’écart entre les deux adversaires.

Car si les Leafs méritaient de gagner… le Lightning aussi. Mais on y reviendra.

Bon départ

Au cours des dernières années, les Leafs avaient développé la mauvaise habitude d’amorcer l’ultime match d’une série du mauvais pied. Les partisans du Canadien de Montréal se souviennent d’avoir vu leurs favoris s’approprier une avance de 3-0 au septième match du premier tour en 2021.

Cette fois, les locaux étaient prêts. Dès le début de la rencontre, on a su que les 60 minutes suivantes seraient âprement disputées, qu’on ne se donnerait que peu d’espace. La foule, bruyante, s’était donné comme mission d’aider son équipe. Il était inconcevable que cette fois ne soit pas la bonne.

Or, comme il l’a fait si souvent par le passé, le Lightning a trouvé le moyen d’ouvrir le pointage. Le premier but en séries éliminatoires de la carrière de Nick Paul a plongé tout l’amphithéâtre dans le doute.

Après s’être vu refuser un but au deuxième vingt, les Leafs ont persisté et ont fini par égaler la marque, gracieuseté d’un bel échange entre Marner, Matthews et Rielly. Mais le même Nick Paul a redonné l’avance aux siens à peine trois minutes plus tard.

Quelque chose s’est alors brisé. Comme si les joueurs et ceux qui les encourageaient savaient ce qui les attendait, habitués, malgré eux, à ce sort sinistre. Même si on nous a assuré n’avoir jamais cessé d’y croire, le manque d’énergie des patineurs en bleu pour retraiter au vestiaire après 40 minutes ne mentait pas. Les visages longs dans l’assistance en troisième période non plus, et ce, même si l’écart n’était que d’un but et que les Leafs disposaient d’amplement de temps pour créer l’égalité de nouveau.

Devant eux, le Lightning se prêtait toutefois à une leçon de jeu défensif, dirigée notamment par Anthony Cirelli, Victor Hedman et Nick Paul, l’improbable héros du jour – ça aussi, on y reviendra.

Le site NaturalStatTrick a estimé que les Leafs n’ont généré que deux chances de marquer de qualité à cinq contre cinq en troisième période. Et que leur effort, pourtant légitime, n’a accouché que de 0,63 but attendu. Dans un contexte où, rappelons-le, ils jouaient pour leur survie.

« Ce que je retiens de cette série, c’est à quel point le Lightning défend bien en équipe », a estimé l’entraîneur-chef des Leafs, Sheldon Keefe, après la rencontre. « Ils ne sont pas reconnus comme ça, mais la défense est leur priorité. Ils jouent pour gagner des championnats. »

Keefe a logiquement été questionné sur ce qui les attendait, son équipe et lui. Il ne s’est pas étendu sur les détails, et c’était assez prévisible. Car il pourrait rapidement se retrouver sans emploi, à l’instar de son patron, le directeur général Kyle Dubas, et peut-être même du président de l’organisation, Brendan Shanahan. À l’évidence, le « Shanaplan », cette reconstruction amorcée en 2014, ne donne pas les résultats escomptés. On a réuni des joueurs qui sont parmi les meilleurs de la ligue. Matthews et Marner, bien sûr, mais aussi Tavares, Rielly et William Nylander. Pourtant, chaque saison se termine par une poignée de main déçue au centre de la glace.

Combien de temps gardera-t-on les mêmes éléments en place, autant sur la patinoire que dans l’administration ? Difficile de le prédire avec exactitude.

« Cette défaite-là fait plus mal que les autres », a résumé Sheldon Keefe. Peut-être fera-t-elle plus mal encore.

Écrit d’avance

Jusqu’à quel point peut-on écrire l’histoire d’un match plus de sept heures avant son commencement ?

En matinée, les représentants du Lightning respiraient la confiance. Celle de ceux qui sont déjà passés par là, qui savent comment s’y prendre pour terminer la journée en beauté.

Trois déclarations en rafale.

Corey Perry : « C’est le genre de match qui crée des héros. Ce peut être quelqu’un dont on n’a jamais entendu parler. Que tu aies beaucoup d’expérience ou très peu, ça n’importe plus. »

Ryan McDonagh, sur l’impact de la foule dans un match no 7 : « Ça peut aller d’un côté comme de l’autre. En marquant le premier but, tu peux faire taire la foule rapidement. »

L’entraîneur-chef Jon Cooper : « C’est quand les projecteurs sont le plus braqués sur lui qu’Andrei Vasilevskiy est à son meilleur. Il l’a fait plusieurs fois, et je m’attends à ça ce soir. »

Les trois prédictions se sont confirmées avec une exactitude presque inquiétante. Dans un club aussi garni en joueurs vedettes, peu d’yeux étaient tournés vers un joueur de troisième trio. C’est pourtant Nick Paul qui a été l’inspiration de son camp. Non seulement a-t-il marqué deux buts, mais il a été de toutes les batailles, en attaque comme en défense. Pour ce natif de la banlieue de Toronto, que le Lightning a acquis à la date limite des transactions en provenance des Sénateurs d’Ottawa, on peine à imaginer un scénario plus poétique.

En ce qui concerne la foule, McDonagh n’aurait pu mieux résumer ce qui s’est produit. Après le deuxième filet de Paul, le niveau de décibels dans le Scotiabank Arena était à peu près celui d’une bibliothèque.

Quant à Vasilevskiy, qui n’avait offert aucune performance particulièrement étincelante dans les six premiers matchs de la série, il a été impérial, d’un bout à l’autre du match. Mine de rien, depuis le début des séries 2020, il affiche maintenant un taux d’efficacité de ,970 en 9 matchs décisifs (258 arrêts sur 266 tirs). Aucun qualificatif ne peut décrire ce niveau de domination.

« Cette équipe a une recette », a encore dit Keefe, presque admiratif. Rien à redire à ce sujet. Et cette recette marche encore. Il revient maintenant aux Panthers de la Floride de la décoder au deuxième tour.

On leur souhaite d’ailleurs la meilleure des chances. Ainsi qu’aux Leafs, en fait, qui auront à composer avec des problèmes autrement différents.