(Syracuse, État de New York) Alex Barré-Boulet est taquin en ce jeudi matin, à l’entraînement du Crunch. À sa défense, notre entrevue avec Charles Hudon s’étire, et lui attend son tour. Il intervient une première fois en tendant un micro sous le menton de Hudon, comme s’il l’interviewait. Il revient à la charge deux minutes plus tard, cette fois avec, en guise de « micro », un énorme balai-brosse comme on en voit dans les entrepôts.

On rigole, mais Barré-Boulet n’a pas toujours eu envie de blaguer cette saison. Un rappel de son automne chaotique : retranché au camp du Lightning, soumis au ballottage le 10 octobre, réclamé par le Kraken le 11, soumis de nouveau par le Kraken 10 jours plus tard, réclamé par le Lightning le 22 octobre.

Quelques rappels et renvois plus tard, le voici à temps plein avec le Crunch de Syracuse, et prêt à affronter le Rocket de Laval en demi-finale de division de la Ligue américaine à compter de ce vendredi. Il aborde cette série en qualité de meilleur compteur du club, avec 63 points en 58 matchs.

La clé derrière ses succès ? Du talent, bien sûr, parce qu’il n’a pas été champion compteur de la LHJMQ en 2017-2018 par hasard. Mais aussi le coup de pouce d’un vétéran : Pierre-Cédric Labrie.

« J’ai eu de la misère, quand je suis redescendu, à revenir à 100 % mentalement. J’avais eu une bonne discussion avec PC à Belleville. Il m’a dit : “T’es dans le stretch le plus difficile de ta carrière. T’as goûté à la Ligue nationale, t’es revenu. Je l’ai vécu.” Depuis, ma game est repartie par en haut. »

Il veut tellement s’améliorer encore, tu veux le suivre. Je me dis que si ce gars-là veut encore s’améliorer, moi, j’ai encore des croûtes à manger !

Alex Barré-Boulet, à propos de Pierre-Cédric Labrie

Les mots de Labrie ont eu un impact parce qu’il a du vécu : 685 matchs dans la Ligue américaine, une Coupe Calder, deux saisons en Allemagne, 46 matchs dans la LNH, une saison en ECHL à 32 ans. Peu de gens auraient prédit une telle carrière à un gars qui jouait pour les Tigres du Restigouche à 19 ans, et qui a disputé sa seule saison complète dans la LHJMQ à 20 ans.

Des cours de patinage

Mais Labrie s’accroche dans la Ligue américaine. Sur la glace, son rôle est limité. Il a inscrit 8 points en 35 matchs cette saison avec le Crunch, et sa présence dans la formation n’est jamais assurée. Mais son ardeur de travail en fait un modèle d’inspiration.

Jeudi matin, à l’entraînement du Crunch à l’Upstate Medical Arena, Labrie s’affairait avec les plus jeunes. Ils sont tous forcément plus jeunes que lui, puisqu’à 35 ans, il est le doyen du groupe.

Benoît Groulx, l’entraîneur-chef de l’équipe, ne se fait pas prier pour vanter son vétéran.

« Quand nos coachs de développement sont en ville, il se joint aux jeunes, il fait du power skating avec eux, raconte Groulx. Barb Underhill, qui s’occupe du patinage, me disait que chaque fois qu’il se joint au groupe, ça augmente le niveau. »

Quand les jeunes le voient, quand ils voient sa bonne volonté, ils s’appliquent sur les détails. Il est d’une aide précieuse pour nos coachs.

Benoît Groulx, entraîneur-chef du Crunch, à propos de Pierre-Cédric Labrie

Il était d’ailleurs fascinant d’écouter Labrie détailler tout ce qu’il va chercher dans lesdites séances de patinage. À 35 ans, il pourrait très bien tabler uniquement sur son leadership, son gabarit, sa robustesse – bref, tout ce qui lui a permis de connaître une belle carrière – et ne pas s’attarder à son coup de patin.

PHOTO SCOTT L. THOMAS, fournie par le crunch de syracuse

Pierre-Cédric Labrie

« J’aurais pu avoir la mentalité du gars qui se dit : “Je suis trop vieux pour changer.” Mais j’ai travaillé avec elle à 24, 25 ans, je me sentais plus fluide, elle nous montrait comment séparer le haut et le bas du corps, comment garder nos pieds sous notre corps pour rester en contrôle. Je lui demande toujours si elle a un trou pour moi dans un groupe. C’est du gâteau, pour moi, de travailler avec elle !

« Honnêtement, mon âge, je ne le vois pas comme la plupart du monde. Tant que je me sens bien d’une année à l’autre, je me sens comme à 28 ans. Ces cours-là me permettent de réaliser que je suis encore dedans.

« Ce sont des petits compléments comme ça que l’organisation va chercher pour faire progresser les jeunes. »

Charles Hudon est impressionné de voir aller un gars qui « veut toujours s’améliorer ».

« Ce n’est pas le même PC que j’ai connu quand je l’ai affronté, qui jouait dans le quatrième trio et voulait toujours se battre. Là, il essaie de faire des jeux. Il veut s’impliquer physiquement, mais aussi en zone offensive, en échec avant, en récupérant des rondelles. »

Un rôle qui change

Si Labrie est encore là, c’est notamment parce qu’il a su s’adapter à un hockey qui change. Il n’était pas rare de le voir atteindre les trois chiffres dans la colonne des minutes de pénalité ; cette saison, il en a eu 54 en 56 matchs (il a amorcé la saison avec le Wolf Pack de Hartford).

« Dans le temps, le coach me donnait une tape dans le dos quand il restait cinq minutes et qu’on perdait par trois buts. Je préparais le prochain match, raconte le colosse de Baie-Comeau. Là, je connais mon rôle, sans avoir la tape dans le dos. »

Pour rester plus longtemps, tu dois t’adapter.

Pierre-Cédric Labrie

Labrie a entre les mains une entente valide jusqu’en 2023. « Il sait qu’il en a plus derrière lui que devant. Mais il sait ce qu’il doit amener, rappelle Groulx. En trois mois ici, il a amélioré ses habiletés, ses edges. C’est un héritage qui reste, parce que les jeunes avec qui tu as travaillé s’en souviennent toute leur carrière. »

Labrie sait très bien ce qu’il doit faire pour s’adapter. « Là, je suis probablement dans les plus lourds. L’été prochain, je devrai perdre quelques livres, parce que le jeu ne ralentit pas. Les joueurs sont vites, ils arrivent dans la ligue, ils sont forts, une coche en haut qu’il y a 10 ans. Si tu veux suivre… Parce que si je peux jouer jusqu’à 40 ans, je vais le faire ! »

En bref

Hudon : pas de vagues

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Charles Hudon

Ceux qui s’attendaient à ce que Charles Hudon y aille d’une déclaration incendiaire, à l’amorce d’une série contre son ancienne équipe, seront déçus. La relation entre Hudon et le Canadien s’était terminée en queue de poisson, sauf que l’organigramme du CH et du Rocket au grand complet a changé depuis son départ. C’est sans oublier le fait que Syracuse a subi trois défaites en quatre soirs à Laval en février dernier. « Mon deuil est fait, a lancé Hudon. Ça a été difficile de perdre les trois matchs là-bas. Ça a été un gros réveil pour notre équipe. Depuis, on a une bonne fiche. Mon but est de jouer ma game et que mon trio fasse sa job. » Hudon admet qu’il ne veut pas s’attarder à l’identité de l’adversaire. « L’organisation sera toujours dans mon cœur, j’ai été là depuis 2012. Je vais toujours y penser. Mais j’essaie de penser à autre chose, et non pas à Laval. » L’ancien numéro 54 n’a pas non plus voulu s’étendre sur son avenir à savoir si ce sera à Syracuse, ailleurs sur le continent ou en Europe. « Je vais penser aux séries. C’était notre but depuis le début de l’année. »

Une nouvelle position

Cela dit, Hudon a connu une saison fructueuse, atteignant la marque des 30 buts pour la première fois dans la Ligue américaine. En 66 matchs, il a inscrit 30 buts et 27 passes. Il l’a aussi fait en retournant à la position de centre, après avoir passé les dernières années à l’aile. « Charles a connu une belle saison au niveau des points. On aime son duo avec Alex Barré-Boulet, a dit Benoît Groulx. Son défi, c’est de jouer dans les trois zones, avec constance. Il est meilleur, mais il y a encore place à l’amélioration, et il le sait. Mais il a connu une bonne saison et a marqué des buts importants. »

Délégation québécoise

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Benoît Groulx, entraîneur-chef du Crunch

Ça parle toujours autant français dans l’entourage du club-école du Lightning. On rappelle que l’entraîneur-chef Benoît Groulx est épaulé par Gilles Bouchard et Éric Veilleux, avec Jean-Philippe Côté au développement des joueurs et Julien BriseBois comme DG du Lightning. Sur la glace, Gabriel Dumont, Gabriel Fortier, Charles Hudon, Alex Barré-Boulet, Daniel Walcott, Anthony Richard, Maxime Lagacé, Rémi Élie, Shawn Element et Pierre-Cédric Labrie ajoutent à la touche francophone de l’organisation. « C’est comme si tu retournais dans le junior ! lance Barré-Boulet. On essaie de parler anglais le plus possible, mais quand on se retrouve, on parle français, on parle de ce qui se passe au Québec. On va souper ensemble. Dans la bus, ce sont les Québécois qui jouent aux cartes ensemble. »