(Montréal) Dans son jeune temps, Guy Lafleur avait l’habitude de soulever les foules. Maintenant, même depuis l’au-delà, il est encore capable de faire la même chose.

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Les bons joueurs vont et viennent, mais les légendes, elles, sont éternelles. Dimanche en début de soirée, après une ovation de quelque neuf minutes au Centre Bell, le numéro 10 est passé dans ce cercle très sélectif des immortels. De ceux dont on se souvient même sans les avoir vus, de ceux qui méritent des larmes et des chansons et des applaudissements, de ceux qui méritent qu’on entende leur nom à jamais, même s’ils ne sont plus parmi nous.

La marque finale fut de 5 à 3 en faveur des visiteurs, les Bruins de Boston, mais de cette soirée du 24 avril 2022, ce ne sont pas ces chiffres que l’on va retenir.

Ce que l’on va retenir, c’est un autre chiffre : 10.

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« Après une soirée comme ça, s’il y avait des joueurs qui ne savaient pas ce que le Canadien représente au Québec, je pense qu’ils le savent maintenant », a expliqué Martin St-Louis.

À un certain moment, au début de la troisième période, les gens du Centre Bell se sont mis à scander le nom de Guy Lafleur, encore et encore. Puis, à la dernière sirène, alors que les 21 105 spectateurs commençaient à quitter, Brendan Gallagher a demandé à ses coéquipiers de patiner sous la bannière 10 accrochée au plafond, là où les numéros des immortels sont affichés pour toujours. Un à un, les joueurs ont salué du bâton celui qui est disparu depuis vendredi, mais qui ne va jamais vraiment disparaître.

« C’est une marque de respect, a ajouté l’entraîneur montréalais. Je suis content que Brendan ait fait ça, parce que Guy mérite ce respect-là. Si les gars peuvent en tirer quelque chose, c’est probablement que Guy, selon ce que ses anciens coéquipiers m’ont tous dit, était un bon joueur mais aussi une bonne personne. C’est quelque chose qui est inestimable. »

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Brendan Gallagher

Il a fallu jouer au hockey malgré tout, après cette ovation qui n’en finissait plus – l’annonceur Michel Lacroix a dû s’y prendre à trois fois avant d’être capable de faire passer tout le monde à l’hymne national –, après ces larmes et ces souvenirs passés et repassés à l’écran géant, images d’un Démon blond qui déjoue ici Ron Low, qui déjoue là Denis Herron, avec la même élégance de toujours.

Parfois, les joueurs tentent de se convaincre qu’un match n’est que ça, un match, parce qu’il y en a 82 dans une saison. Ce ne fut pas possible de faire ça cette fois-ci.

« Je vais m’en rappeler toute ma vie, c’est certain, a noté l’attaquant Mathieu Perreault en fin de soirée. Il y a eu beaucoup d’émotions dans cette cérémonie d’avant-match, et je commençais à avoir le motton… ce fut très spécial de pouvoir vivre ça.

« Je n’ai pas eu connaissance de ce que Guy Lafleur a pu faire en tant que joueur, c’était avant mon temps… mais on peut revoir sur vidéo les jeux, les coupes Stanley, et on peut comprendre que ça prend du caractère pour en arriver à ça. Guy, c’est une légende, et en tant que joueur, de pouvoir évoluer dans le même environnement que lui, c’est très spécial. »

Et ce résultat, maintenant ? Ça, c’est le bout le plus difficile en ce qui concerne les légendes qui, comme Guy, doivent inévitablement quitter, toujours trop tôt : on ne les remplace pas comme on peut remplacer un vélo ou un manteau. Oui, le bon vieux temps est loin derrière, oublié quelque part dans les corridors de cet ancien Forum devenu centre commercial, et Guy ne reviendra pas, pas plus que Maurice ou Béliveau, qui doivent en ce moment former tout un club là-haut.

En début de soirée, pendant que les Cournoyer, Lambert et autres Lapointe essuyaient des larmes derrière le banc, secoués par le départ de leur ami et les images d’un temps meilleur qui défilaient sur la glace et à l’écran, les plus jeunes, ceux qui portent aujourd’hui ce bleu, blanc et rouge qu’ils portaient naguère, ne pouvaient que regarder la bannière numéro 10 dans les hauteurs, en se demandant peut-être si l’un d’eux, un jour, pourra atteindre de tels sommets.

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Cole Caufield et Samuel Montembeault

Le flambeau, celui du poème In Flanders Field de John McCrae, maintes fois cité dans la glorieuse histoire de ce club, ne semble plus qu’un vague souvenir, surtout à la suite de cette autre défaite, une neuvième consécutive.

« Cet hommage à Guy a été tellement magnifique, et on aurait voulu gagner ça pour lui, a expliqué le gardien Samuel Montembeault. On a vu tous les anciens avant d’amorcer le match, c’est tellement spécial de constater autant d’histoire sous nos yeux… »

En fin de soirée, les Bruins sont repartis, le Canadien et ses fans aussi. Mais encore et encore, dans les hauteurs, on pouvait entendre ces cris, ces mêmes « Guy ! Guy ! Guy ! », qui résonnaient sans cesse. Comme le son d’une légende qui ne veut pas mourir. Comme le son d’une légende qui ne mourra jamais.

Dans le détail

Price ratera au moins deux matchs

Carey Price n’était pas en uniforme contre les Bruins et ne voyagera pas avec l’équipe pour la rencontre de mercredi à New York. « Peut-être » disputera-t-il l’ultime duel de la saison, vendredi, à domicile. Cayden Primeau a donc été rappelé d’urgence dimanche après-midi. Price a raté pratiquement toute la saison après s’être prêté une longue et pénible rééducation rendue nécessaire par une opération à un genou. Il a renoué avec l’action le vendredi 15 avril et a depuis obtenu quatre départs en huit jours. Il a accordé six buts à chacune de ses deux dernières sorties, jeudi et samedi. L’entraîneur-chef Martin St-Louis a souligné que l’équipe souhaitait lui accorder du « repos ». « Il a joué beaucoup de matchs pour un gars qui n’avait pas joué » de la saison, a-t-il ajouté. Interrogé à savoir si Price avait vu une régression dans l’état de son genou, St-Louis a répondu qu’il lui faudrait « parler au personnel médical » pour en savoir davantage. « On espère qu’il sera prêt vendredi. »

Haula a eu chaud

Trois curiosités se sont succédé en première période. D’abord, Mike Hoffman a fait un jeu défensif sublime contre Erik Haula, qui s’échappait. Ensuite, l’arbitre a jugé que la séquence méritait un lancer de pénalité, et ce, même si Hoffman avait à peine touché le Finlandais. Enfin, Haula est passé tout droit sans toucher à la rondelle en s’élançant au centre de la glace. Il a pu rebrousser chemin et s’emparer du disque, ce qui lui aurait été interdit s’il l’avait initialement touchée. « En toute honnêteté, l’aréna était tellement bruyant que je ne savais même pas si l’arbitre avait sifflé, a raconté Haula après la rencontre. Dieu merci, j’ai marqué, car on va pouvoir rapidement passer à autre chose. » Il est rentré au banc sous les moqueries de ses coéquipiers, surtout celles de Brad Marchand. « Il espérait que je l’aie touchée [la rondelle], car ça lui est déjà arrivé et il ne voulait plus être le seul ! » Serait-il responsable d’évoquer cette séquence de janvier 2020 sans la regarder ? Évidemment pas.

Voyez la tentative ratée de Brad Marchand

Émotions chez les Bruins

Même si la cérémonie d’avant-match honorait un athlète qui a fait beaucoup de mal à leur organisation, les joueurs et entraîneurs des Bruins ont été franchement impressionnés par l’hommage et par la réaction de la foule. « Les partisans ont été incroyables, a dit l’entraîneur-chef Bruce Cassidy. Ils continuaient d’applaudir, encore et encore, et c’était tant mieux. Je suis fier d’avoir été là, même si c’est un jour triste. C’était un bel hommage. » « C’était fou, a renchéri Erik Haula. Je n’avais jamais assisté à un évènement du genre. On a tous compris à quel point Lafleur était une personne importante pour la communauté et pour le hockey en général. Je me considère chanceux d’avoir été là. » Cassidy a été interrogé à savoir s’il redoutait une pénalité pour avoir eu trop d’hommes sur la glace, en fin de match. Il a tout de suite compris la référence au match de demi-finale de 1979, pendant lequel Lafleur avait créé l’égalité 4-4 en fin de match. « Ç’aurait été quelque chose, hein ! a-t-il lancé. Nos attaquants changeaient bien, mais je trouvais nos défenseurs un peu brouillons. » L’histoire ne s’est finalement pas répétée.

Ils ont dit

Je trouvais ça drôle que les partisans empêchent l’annonceur de parler. Mais Guy signifie beaucoup pour cette ville, cette province, ce pays. C’était cool de voir cette ovation.

Nick Suzuki

Même samedi, à Ottawa, on a vraiment joué pour [Guy Lafleur]. On disait que le Québec avait besoin de nous pour passer à travers ça. Il était tellement important qu’on voulait jouer du bon hockey pour que la province réussisse à faire son deuil.

Samuel Montembeault

On a discuté avec Patrice Bergeron, on lui a offert de ne pas disputer le match étant donné qu’on est en fin de saison. Il tenait toutefois à jouer.

Bruce Cassidy

Le salut qu’on est tous allés faire en fin de match sous la bannière de Guy, c’était un peu la touche finale. Ça aurait été le fun de pouvoir gagner le match à sa mémoire.

Mathieu Perreault

On sentait lors de la troisième période que Guy était avec nous autres… ce fut une soirée très mémorable. C’est notre 9e défaite de suite, on se le cachera pas. Mais les gars savaient ce que ce match voulait dire. Il n’a pas fallu les motiver.

Martin St-Louis

En hausse

Mathieu Perreault

Dans un rôle très limité (seulement 7 : 36 de temps de jeu), il a réussi à servir une passe parfaite à Nick Suzuki, pour le but qui redonnait espoir.

En baisse

Jeff Petry

Deux aides, il est vrai… mais encore une fois, du jeu beaucoup trop mou en défense.

Le chiffre

10

Parce qu’en cette soirée à la fois spéciale et émotive, il ne peut pas y avoir un autre chiffre que celui-là.