Un premier match au Centre Bell, pour un joueur québécois, c’est toujours spécial. Rafaël Harvey-Pinard n’en sera pas à son premier, ce jeudi, quand le Canadien accueillera les Flyers de Philadelphie.

Le 27 septembre dernier, par exemple, il était en uniforme contre les Maple Leafs de Toronto. Mais c’était un duel préparatoire, à une époque où les foules étaient limitées à 7500 spectateurs.

Il s’est aussi produit plusieurs fois au nouveau Forum l’hiver dernier, mais c’était devant des gradins vides, pour le Rocket de Laval, qui jouait alors ses matchs locaux à Montréal.

Alors ce match contre les Flyers aura des allures de première pour le numéro 49, rappelé mercredi matin. Et qui dit première dit parents. Sauf que… c’est compliqué. La mère du jeune homme, Johanne Harvey, effectuera son dernier quart de travail comme conseillère experte au Service des accidentés de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) jeudi. Ensuite, c’est la retraite, après 33 ans de loyaux services.

« C’est difficile pour ma mère de se libérer de cette journée-là ! », a lancé Harvey-Pinard, en point de presse, après l’entraînement de mercredi.

Au moment de nous parler, il disait que ses parents allaient « faire le maximum pour venir ». Finalement, le voyage un peu casse-cou n’aura pas lieu. « Je ne peux pas partir du bureau avant 15 h 30, souligne Mme Harvey, au bout du fil. On a regardé les vols à partir de Bagotville, on arriverait à Montréal à 17 h 35. S’il y a du trafic ou des retards, et qu’on manque le début…

« On s’était promis que s’il jouait un match au Centre Bell, on ne le manquerait pas. Ça nous fait de la peine de rater ça. Il est déçu, mais il comprend. Ce sera moins compliqué avec la retraite ! »

Équipe différente

Ce ne sera pas non plus un premier match dans la LNH. Au moment où Omicron terrassait plus de joueurs du Tricolore que Stan Jonathan à ses belles années, Harvey-Pinard avait eu droit à un rappel et avait disputé trois matchs.

Il n’est pas un pur débutant avec le Canadien, mais quand on repense aux circonstances de son premier rappel, c’est comme s’il débarquait aujourd’hui dans une nouvelle équipe.

Il suffisait d’observer l’entraînement de mercredi pour s’en apercevoir. Pendant un exercice à trois contre trois, il a marqué deux fois contre Carey Price. Un de ses partenaires pour cette répétition : Joel Edmundson. Plus tard, il fera équipe avec Mathieu Perreault.

Tous des joueurs qui n’étaient même pas dans l’entourage du Canadien pendant le voyage du temps des Fêtes en Floride et en Caroline. En fait, si on prend la formation du CH le 30 décembre à Tampa, match dans lequel Harvey-Pinard a inscrit son premier but dans la LNH, et qu’on la compare au groupe de joueurs qui était sur la patinoire à l’entraînement mercredi, on ne retrouve que neuf « survivants ». Sept des 19 coéquipiers de Harvey-Pinard ce soir-là sont maintenant avec le Rocket. Tout ça en moins de quatre mois !

« On avait presque l’équipe de Laval au complet ici, s’est remémoré le petit ailier. La différence, cette fois, ce sera de côtoyer plus de gars de la Ligue nationale, de leur poser des questions, de leur parler. J’ai vécu mon premier match, c’était spécial, mais là, ce sera différent. »

Autre changement non négligeable : l’homme qui tient le sifflet. En décembre, c’était Dominique Ducharme. Cette fois, c’est Martin St-Louis.

« Ça change quelque chose, car je dois faire mes preuves. Il veut voir ce que je peux faire. C’est une nouvelle organisation », a noté Harvey-Pinard.

Respecter son identité

Sous l’ancien régime, Harvey-Pinard ne partait pas de zéro. Ducharme le connaissait notamment pour avoir coaché contre lui de 2016 à 2018 dans la LHJMQ.

Avec St-Louis, c’est autre chose. L’entraîneur-chef par intérim a franchement admis ne pas avoir vu jouer son nouveau protégé. Il s’est dit « intrigué » par son potentiel. Quelque chose qui l’a frappé chez Harvey-Pinard ? « À l’entraînement, tu vois qu’il est très engagé. Je vais laisser son jeu me frapper », a répondu St-Louis.

Alors, ce jeu, il est comment ? On remarque sa production offensive à première vue. Depuis le 1er décembre, il produit à raison d’un point par rencontre ou presque (46 en 47). À ses huit derniers matchs, il totalise 12 points. Le voilà au premier rang du Rocket avec 51 points en 64 duels.

Sauf qu’à Laval, il s’est également affairé à soigner son jeu défensif. Son différentiel de + 28 le situe au quatrième rang de la Ligue américaine. Il poursuit ainsi dans sa foulée des dernières années : + 10 l’an dernier à Laval, et des différentiels entre + 8 et + 43 à ses quatre saisons complètes dans la LHJMQ.

« Ça a toujours été important de contribuer à l’attaque, mais aussi d’être bon défensivement. Ça fait partie de mon identité de travailler fort dans ma zone, de bien sortir la rondelle », a résumé le Saguenéen.

Reste maintenant à voir combien des cinq derniers matchs du Canadien il disputera. Avec le Rocket en plein cœur de la course aux séries, on devine que la priorité sera qu’il retourne rapidement à Laval. Le cas échéant, ce sera donc partie remise à l’automne pour ses parents.

« Il mérite tout ce qui lui arrive »

En pleine course aux séries éliminatoires, le Rocket de Laval n’espérait certainement pas perdre son meilleur pointeur alors qu’il ne reste que cinq matchs à disputer cette saison. Mais puisque c’est pour une bonne cause, personne ne maugréait mercredi matin à Laval, quelques minutes après l’annonce du rappel de Harvey-Pinard.

« Il a travaillé vraiment fort, il mérite tout ce qui lui arrive », a dit Jean-Sébastien Dea, son joueur de centre chez le Rocket.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

Rafaël Harvey-Pinard

« La Ligue américaine, on est là pour développer les jeunes de la LNH, a rappelé l’entraîneur-chef Jean-François Houle. Quand je l’ai appelé [mardi soir] pour lui annoncer la nouvelle, j’étais vraiment content pour lui. Il va falloir que quelqu’un prenne la relève pour les prochains matchs. »

Houle a notamment salué le travail défensif de Harvey-Pinard, qu’il emploie notamment en désavantage numérique. « C’est bien beau d’amasser des points, mais il faut bien jouer sur 200 pieds, a insisté Houle. Il joue tellement bien défensivement qu’il ne se met jamais dans le trouble. »

Le jeune homme avait connu un bon camp d’entraînement avec le Canadien, l’automne dernier, et avait ainsi attiré l’attention, a encore dit Houle. Bien qu’aucun plan de développement n’ait encore été établi dans son cas avec la nouvelle direction du CH, il estime que Harvey-Pinard, à ce stade de sa carrière, devait prioritairement disputer beaucoup de matchs et obtenir de grandes responsabilités dans la Ligue américaine avant de passer à l’étape suivante. Et c’est ce qui est arrivé, car il évolue désormais en avantage numérique et en désavantage numérique.

Son entraîneur ne serait d’ailleurs pas surpris de le voir décrocher un poste dans la LNH au terme du prochain camp.

Simon-Olivier Lorange, La Presse

Un surnom à abandonner ?

En arrivant à Montréal, Harvey-Pinard renoue donc avec Brendan Gallagher, une de ses inspirations. Sans être aussi détestable pour ses adversaires, Harvey-Pinard marque lui aussi beaucoup de buts autour du filet, ce qui lui a valu auprès de certains partisans le surnom de « Lavallagher ». Le numéro 11 de Harvey-Pinard à Laval est aussi un clin d’œil à l’ailier droit vétéran du CH. Gallagher n’était pas au fait de ce surnom. « Tu me l’apprends ! a-t-il lancé à notre confrère John Lu. Il faudra changer ce surnom, car j’espère qu’il ne sera plus trop longtemps à Laval. C’est un bon jeune qui veut s’améliorer, et c’est ce qu’on veut avoir ici. »

Bilan médical du jour

Parmi les facteurs qui ont permis le rappel de Harvey-Pinard, notons la blessure de Paul Byron. L’ailier vétéran a quitté le match de mardi au terme de la première période et n’était pas sur la patinoire mercredi, en raison d’une blessure au bas du corps. Martin St-Louis a déjà confirmé son absence ce jeudi. Jake Evans est quant à lui toujours affligé par un virus qui n’est pas la COVID-19, selon le CH. St-Louis ignore toujours si le numéro 71 sera à son poste ce jeudi. Enfin, l’équipe a cédé le défenseur Corey Schueneman à Laval. Il y a maintenant huit défenseurs en santé dans l’effectif.

Marquer pour Price

Le Canadien a été blanchi lors des deux départs de Carey Price depuis son retour. Si on ajoute le dernier match de la finale de la Coupe Stanley 2021, remporté 1-0 par le Lightning, ça fait donc 180 minutes que le Tricolore n’a pas marqué devant son gardien vedette. « Il faudrait juste qu’on marque un maudit but pour lui donner une chance ! a lancé Gallagher. Mais on voit le même Price, cool, calme, pour qui ça semble facile de faire des arrêts. »