Richard Sévigny se souvient très bien de la première fois où il a vu Mike Bossy arriver devant lui.

« Ce n’était même pas dans la Ligue nationale ou dans le junior… c’était dans le pee-wee AA ! répond l’ancien gardien du Canadien. On était très jeunes tous les deux, et déjà dans le pee-wee, on pouvait voir le talent de Mike. Même à cet âge-là, il était capable de trouver la faille chez un gardien… »

Trouver la faille, c’est quelque chose que Mike Bossy a très bien su faire lors de cette carrière trop courte, mais combien marquante dans l’histoire du hockey. De 1977 à 1987, le célèbre attaquant a marqué un total de 573 buts dans la LNH, et souvent de la même manière : en décochant un tir qui ne laissait aucune chance au pauvre gardien devant lui.

Comment c’était, au juste, que voir un jeune Bossy s’amener à toute vitesse sur l’aile, prendre son élan et décocher un tir ? Nous avons demandé à quatre ex-gardiens de la LNH qui l’ont affronté de nous décrire la magie Bossy de leur angle à eux.

Denis Herron (Penguins de Pittsburgh, Scouts de Kansas City, Canadien de Montréal)

PHOTO PIERRE CÔTÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Le gardien Denis Herron, lors d’un match au Forum contre le Canadien, en 1976

« Quand Mike est arrivé dans la LNH [en 1977-1978], ça faisait déjà quelques années que j’étais dans la ligue et je ne savais pas qui il était… eh bien, j’ai fini par le savoir assez vite ! Je me souviens qu’il avait l’habitude de jouer avec tout un trio, complété par Bryan Trottier et Clark Gillies. Ces gars-là étaient d’excellents joueurs, mais en tant que gardien, je ne pouvais pas perdre Mike de vue un seul instant sur la patinoire. Je devais absolument savoir où il était en tout temps, même si les deux autres étaient très bons eux aussi. Le défi quand je jouais contre lui, c’était que je devais m’assurer d’être prêt en tout temps, parce qu’il pouvait lancer à l’instant où il voyait la plus petite ouverture. Si je laissais un espace de quelques centimètres dans le coin du filet, il allait placer la rondelle exactement à cet endroit ! Il avait un lancer vif et précis, et dans ces années-là, on ne voyait pas ça souvent. Je me souviens de peut-être trois ou quatre joueurs qui pouvaient lancer aussi rapidement, avec une telle précision… et il faisait partie du groupe. »

Richard Sévigny (Canadien de Montréal, Nordiques de Québec)

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Richard Sévigny, lors d’un match opposant les Nordiques de Québec au Canadien de Montréal, en 1985

« Pour faire ce qu’il a fait, c’est-à-dire 9 saisons consécutives avec au moins 50 buts, il fallait qu’il soit un marqueur naturel. Dans le junior, je me souviens, on essayait souvent de l’intimider ; je jouais à Sherbrooke et le coach Ghislain Delage disait aux gars qu’il fallait brasser Mike. Il avait clairement une cible dans le dos… Mike se faisait brasser à peu près chaque soir dans le junior, mais je lui lève mon chapeau, il a réussi à passer à travers ça… Ensuite, je l’ai revu dans la Ligue nationale et j’étais avec le Canadien quand il a réussi sa saison de 50 buts en 50 matchs [en 1980-1981]. Je ne me souviens pas d’un match en particulier, mais il a dû en marquer une couple contre moi ! Quand on jouait contre lui, les gardiens, on savait qu’il allait trouver notre faiblesse, c’était inévitable. Un gardien doit se méfier quand il affronte un marqueur comme lui, mais le problème, quand on se méfie, c’est qu’on se met à jouer sur les talons et à jouer de manière moins naturelle. Et Mike en profitait parce qu’il pouvait placer la rondelle n’importe où. »

Steve Penney (Canadien de Montréal, Jets de Winnipeg)

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Le gardien Steve Penney réalise un arrêt à l’occasion d’un match du Canadien face aux Nordiques, en 1985.

« Je me rappelle surtout de lui en raison de la finale de conférence que j’avais disputée avec le Canadien contre les Islanders de New York, au printemps 1984… Affronter Mike Bossy, en tant que gardien, c’était une autre affaire. D’habitude, tu pouvais regarder un joueur et prévoir où il allait essayer de lancer, mais avec Mike, tu ne pouvais pas faire ça ! C’était impossible, parce que tu voyais la rondelle sur son bâton et le temps de la voir, la rondelle était déjà partie dans ta direction, parce que Mike dégainait tellement rapidement. Mais ce dont je me souviens avant tout quand je repense à lui, c’est qu’il avait un lancer pesant, un lancer lourd. Dans le temps, l’équipement des gardiens n’était pas comme aujourd’hui, alors ses tirs à lui faisaient mal, même si on ne s’en rendait pas trop compte sur le coup en situation de match, à cause de l’énergie et de l’adrénaline. Mais juste en recevant ses tirs, on pouvait comprendre qu’il avait dû passer des heures et des heures à pratiquer ce tir-là quand il était plus jeune. »

Glenn « Chico » Resch (Islanders de New York, Rockies du Colorado, Devils du New Jersey, Flyers de Philadelphie)

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Glenn Resch, alors gardien des Rockies du Colorado, dispute un match au Forum de Montréal, en 1982.

« Avant l’avènement des masques, les gardiens restaient debout, se protégeaient le visage et glissaient sur le côté en collant les deux jambières. Quand Mike est arrivé à la fin des années 1970, les gardiens avaient des masques et commençaient à pratiquer le style papillon. Mais les entraîneurs conseillaient encore aux joueurs de lancer bas, dans les coins. Je remarquais que Mike marquait souvent d’un tir entre les jambières. Il me disait : “Je sais que le gardien a les jambières collées en position de base, mais dès que j’amorce mon tir, il commence à ouvrir ses jambes.” Il a marqué des tonnes de buts comme ça… Certains joueurs trompent le gardien grâce à leur façon de dégainer, parce que la rondelle ne part pas comme on s’y attend. Mike, sa motion, c’était comme un balancier. Il pouvait lancer sans avertissement. Aussi, Mike voyait une cible de 4 par 6. Quand tu fais ça, même maintenant, c’est incroyable le nombre de rondelles qui passent à travers les gardiens. Il ne visait pas les coins. Lafleur était plus prévisible, mais il pouvait tirer des plombs. Mike était un tireur d’élite, et il pouvait marquer du revers en plus. Son imprévisibilité le rendait difficile à affronter. »

Avec la collaboration de Guillaume Lefrançois, La Presse