Il y a quelque chose de fascinant dans la tête des athlètes de haut niveau. Quand Wayne Gretzky a annoncé sa retraite, il disait ressentir « de la fatigue physique et mentale » comme il n’en avait jamais ressenti auparavant. Ça ne l’avait pas empêché de mener les Rangers de New York à sa dernière saison avec 62 points, et ce, même s’il avait raté 12 matchs !

Martin St-Louis lui-même a accroché ses patins après une saison fort respectable de 52 points en 74 matchs. Comment s’y prenait-il pour évaluer la pertinence de poursuivre sa carrière ou d’arrêter ?

« Es-tu prêt à travailler pour répondre à tes propres attentes ? C’est pour ça que ça devient dur en vieillissant. Tu dois travailler fort, sinon tu vas te retrouver derrière les autres », a-t-il expliqué après l’entraînement de lundi.

Ce qui nous mène à Carey Price. Pas pour comparer sa carrière à celles des deux légendes ci-dessus, mais parce que le processus est similaire.

Price et Samuel Montembeault travaillaient sur leur moitié de patinoire avec Éric Raymond, entraîneur des gardiens. L’exercice est tout simple ; Raymond tire d’un côté ou de l’autre, le gardien fait l’arrêt en se donnant une poussée vers la rondelle. La fluidité des mouvements de Price était un spectacle en soi. « Le gardien le plus smooth de la ligue », a lancé un collègue sur la passerelle.

Pour un type qui n’a joué qu’un match depuis juillet dernier, Carey Price ne paraissait quand même pas trop mal.

« On n’était pas certains si Carey allait revenir au jeu cette saison, a rappelé Nick Suzuki. Même que je ne le savais pas jusqu’à la semaine dernière. Mais dès qu’il s’installe devant le filet, il joue assurément à un niveau acceptable ! »

En parlant d’un « niveau acceptable », Suzuki reprenait l’expression utilisée par Price lui-même. Le gardien a employé ces mots après son premier match de la saison, vendredi, et l’a fait de nouveau devant les micros, lundi. Price se faisait demander combien d’années il croyait avoir dans le corps. Et il appert que comme St-Louis et Gretzky, il a ses propres barèmes, qui diffèrent de ceux que l’on peut imaginer de l’extérieur.

« Je veux terminer ma carrière en jouant à un niveau acceptable. Je ne sais pas c’est combien de temps. Mais au bout du compte, je veux prendre ma retraite en ayant bien joué, et sans avoir été un fardeau. »

Un phénomène rare

Le problème, il est là. Price arrive à un âge où bien des gardiens deviennent justement ça, un fardeau.

Il aura 35 ans l’été prochain. Le milieu de la trentaine, ça impose certains défis. Price évoque par exemple un désir d’alléger la charge que ses genoux doivent soutenir. De 216 lb, il aimerait passer à 210 lb, et connaissant son sérieux, on le devine plus déterminé que le commun des mortels qui émet un tel souhait entre deux crèmes de menthe le 31 au soir.

Price n’a d’autre choix que de prendre un soin jaloux de son corps, car les gardiens de 35 ans et plus ne courent pas les rues. Cette saison, il n’y en a que trois qui ont disputé la majorité des matchs de leur équipe : Jonathan Quick à Los Angeles, Cam Talbot au Minnesota et Marc-André Fleury à Chicago (échangé au Minnesota depuis).

Heureux hasard, Talbot et Fleury seront en ville ce mardi, avec la visite du Wild au Centre Bell.

« Flower est comme le lapin Energizer, il n’arrête jamais, a lancé Price. C’est un vrai pro et il a le type de corps qui lui permet de continuer. »

Fleury a d’ailleurs remporté le trophée Vézina pas plus tard que l’an dernier, à 36 ans. Lui n’est pas un fardeau, même s’il n’a pas offert son meilleur hockey en séries contre le Canadien.

À l’inverse, les performances de Price ont diminué d’année en année, un fait que ses séries magiques de 2021 ont fait oublier. De ,918 en 2018-2019, son efficacité est passée à ,909 la saison suivante, puis à ,901 l’an passé.

Un goût amer

Price arrive donc à une période de sa carrière où il doit essentiellement se battre contre le temps. Des années à s’agenouiller en style papillon et à recevoir de la visite de Chris Kreider et de Kyle Palmieri l’ont hypothéqué. Une nouvelle opération l’été dernier l’a rappelé, suivie d’une longue rééducation, interrompue par une démarche pour régler des problèmes de consommation.

Le désir, lui, semble bel et bien intact. On revoit un Price souriant et jasant comme on l’a rarement vu ces dernières années devant les caméras. Ce qu’il apprécie le plus depuis son retour au jeu ?

« Un bon repas et une sieste d’avant-match, répond-il, sourire en coin. La routine de la préparation, s’asseoir à son casier, passer du temps avec les gars, la petite nervosité d’avant-match. Ce sont des sensations que la plupart des athlètes apprécient et dont ils s’ennuient à la retraite. »

C’est sans oublier cette éternelle quête d’une Coupe Stanley, quête qu’il est passé à trois victoires de réussir l’été dernier.

« Une équipe qui atteint ce point peut prendre des années à s’en remettre, à moins que t’aies la chance d’y retourner immédiatement, avance-t-il. Je n’ai pas eu cette chance pendant 14 ans, on est passés si proche, et on se retrouve ensuite si loin… Je suis encore en train de le digérer. Ça donne l’impression d’une occasion perdue. »

Il reste six matchs à la saison, et si Price se sent bien, on comprend qu’il en jouera la majorité. Ces six duels seront d’autant plus importants que Price a laissé entendre que sa présence au Championnat du monde, en mai, était « improbable ».

Ses conclusions de ces six matchs seront cruciales pour l’avenir du Canadien. Martin St-Louis en est d’ailleurs à constater l’ascendant qu’exerce le numéro 31 au sein du groupe.

« C’est sa présence, son calme, comment il se comporte, a décrit l’entraîneur-chef par intérim. C’est un leader à sa façon et ça déteint sur les gars. J’ai bien aimé notre match contre les Islanders [de New York]. Est-ce que Carey avait un impact là-dessus ? Je pense que oui. »

En bref

Un mot de Crosby

Question bien innocente à Carey Price : as-tu reçu des messages d’encouragement à ton retour au jeu ? « Pleky m’a contacté, il m’a dit que c’était bien de me revoir sur la glace, je l’ai remercié et je l’ai appelé par un nom qu’on s’appelait (rires). Et Sid m’a aussi contacté. Je n’étais pas surpris, mais j’étais content de recevoir ces messages. » Pour les non-initiés, « Pleky » est Tomas Plekanec, et « Sid », c’est Sidney Crosby. Ce n’est pas Ellen DeGeneres qui prend un égoportrait avec Julia Roberts, Brad Pitt et Bradley Cooper, mais c’est néanmoins une belle brochette d’amis.

« Un travail en progression »

En raison de sa longue absence, Price n’avait pas beaucoup travaillé avec Éric Raymond, entraîneur des gardiens embauché l’été dernier. Il apprend donc à découvrir son nouvel allié. Ses impressions de son approche ? « Ça va bien. J’avais une excellente relation avec Steph [Stéphane Waite] au fil des ans. Tout était naturel à la fin, on savait simplement ce qu’on allait faire au quotidien. Une relation se bâtit avec le temps et je n’ai pas vraiment eu la chance de travailler avec Éric longtemps. Il y a comme un langage des gardiens qu’on doit apprendre dans notre communication. C’est un travail en progression. » Rappelons que Raymond était un collaborateur de longue date de Dominique Ducharme, dans la LHJMQ.

Un rare entraînement pour Suzuki

Jeff Petry était l’unique absent de l’entraînement parmi les joueurs en santé. Le vétéran défenseur a eu droit à une journée de traitements. En revanche, Nick Suzuki y était, lui qui a souvent eu droit à ces journées de traitements ces dernières semaines. « Je ne voulais pas manquer de matchs et à ce point-ci de la saison, je ne sens pas que j’ai besoin de m’entraîner si souvent », a expliqué le jeune centre. Suzuki n’a toujours pas manqué un seul match depuis son arrivée dans la LNH, ce qui lui vaut une séquence d’homme de fer de 203 matchs de suite. À écouter St-Louis, la séquence de Suzuki ne semble pas menacée. « Si on est en novembre et qu’il doit manquer des entraînements, tu lui donnes peut-être une pause pour qu’il ne traîne pas ça toute l’année. Mais à la fin de la saison, tu regardes si le joueur peut en prendre », a-t-il expliqué.

Quel avenir pour Byron ?

Paul Byron était lui aussi à l’entraînement, après avoir raté le match de samedi essentiellement parce qu’il est « magané ». St-Louis a rendu hommage à son courageux ailier, qui a raté la première moitié de saison en raison d’une opération à la hanche. « Tu te sens mal pour lui, parce qu’il n’y a jamais de match où il ne travaille pas, où il ne patine pas vite, a dit St-Louis. Je ne sais pas quels sont ses plans pour l’an prochain, je ne sais pas comment il se sent en se levant le matin. Mais quand il joue, même s’il se sent à 60 %, il donne 110 %. S’il peut gérer ses blessures, je ne pense pas qu’il est sur le point de perdre sa vitesse. Il va l’avoir encore longtemps. »