Dans un monde idéal, Jason Payne aurait été d’abord appelé à parler de son équipe, les Cyclones de Cincinnati, adversaires des Lions mercredi au Colisée de Trois-Rivières.

Mais quand on est le seul entraîneur professionnel noir en Amérique du Nord, sur presque 100 postes, les questions sociales et raciales prennent le dessus.

« C’est une grande source de fierté pour moi, confie Payne, promu entraîneur-chef de ce club de l’ECHL après deux saisons à titre d’adjoint. Il faut envoyer le message que le hockey est accessible à tous. John Paris nous a ouvert la voie à l’époque. Dirk Graham aussi, brièvement, dans la LNH. Graeme Townshend a aussi dirigé dans l’ECHL il y a une vingtaine d’années. Il faut continuer à ouvrir la porte pour ceux qui suivront. »

Payne dit avoir souvent été victime de racisme dans le hockey mineur et durant son parcours chez les professionnels, dans l’UHL, dans l’ECL et dans la LNAH.

PHOTO FOURNIE PAR L’ECHL

Jason Payne, entraîneur des Cyclones de Cincinnati

« J’ai grandi à Toronto et j’étais souvent le seul Noir au sein de mes équipes. Mais j’adorais ce sport et je voulais continuer à jouer. Les joueurs adverses te font des remarques racistes. Ils essaient de te déconcentrer. Ces mots me blessaient au début. Mais avec les années, tu apprends à composer avec ça. Les mots ne t’atteignent plus. Tu ne veux pas laisser voir à l’adversaire que ces remarques te dérangent. »

Il réalise aussi que tous n’acceptent pas facilement de voir un Noir diriger un club de hockey. « Comme entraîneur, tu n’as pas toujours le droit au même respect que les entraîneurs blancs. Parfois, des arbitres refusent de venir me parler pour expliquer leurs décisions, alors qu’ils le font avec l’entraîneur adverse. Je les respecte, mais s’ils ne veulent pas me respecter en retour, tant pis pour eux. Je ne veux pas qu’ils pensent qu’ils ont un effet sur moi. Je peux seulement me conduire de la façon la plus professionnelle possible. Parfois, c’est le personnel à l’aréna, le personnel des équipes adverses qui agit différemment. »

La culture évolue néanmoins au fil des ans pour favoriser la diversité au hockey et combattre le racisme. Une organisation fondée par les hockeyeurs Evander Kane et Akim Aliu, Hockey Diversity Alliance, constitue un pas dans la bonne direction.

L’entraîneur-chef des Flames de Calgary, Bill Peters, a par ailleurs remis sa démission en 2019 après avoir été associé à des incidents racistes survenus 10 ans plus tôt à Rockford, dans la Ligue américaine.

« C’est dommage que ça ne soit pas arrivé sur le coup, au moment des incidents, mais au moins, ça a provoqué un mouvement important, dit Jason Payne. Il fallait le dénoncer publiquement. La situation s’améliore, et elle doit continuer de s’améliorer. »

Jason Payne n’avait pas beaucoup de modèles à l’époque. Il y a eu le gardien des Oilers d’Edmonton Grant Fuhr, et Tony McKegney, des Sabres de Buffalo et des Nordiques de Québec. Mais son grand ami le gardien Kevin Weekes, surtout, a eu une forte influence sur lui.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le gardien de but des Hurricanes de Caroline, Kevin Weekes, et José Théodore, le gardien de but du Canadien de Montréal, le 13 mai 2002.

Nous avons grandi ensemble. C’est l’un de mes meilleurs amis. Il a joué plusieurs années dans la LNH et il est devenu analyste à NHL Network. Il n’a jamais cessé de croire en ses rêves. C’est tout ce qu’on voulait.

Jason Payne, au sujet de Kevin Weekes

Il y a aussi eu Jarome Iginla, Claude Vilgrain, Anson Carter, Georges Laraque, Donald Brashear, Dustin Byfuglien, Trevor Daly, Mike Greer, Jean-Luc Grand-Pierre, et aujourd’hui les P.K. Subban, Seth Jones, Pierre-Édouard Bellemare, Mathieu Joseph, Anthony Duclair, Quinton Byfield, Jordan Greenway, Darnell Nurse, Lucas Raymond, Ryan Reaves, Kyle Okposo, Jordan Harris et plusieurs autres.

« Il faut rendre le hockey accessible à tous, dit Payne, 46 ans. Mais pas seulement en faisant passer le message. C’est aussi un sport qui coûte cher et il faut faciliter la vie des sportifs moins fortunés. »

Notre homme a aussi des liens avec le Québec. « J’ai joué dans la LNAH quelques saisons, avec les Dragons de Verdun et le Radio X de Québec. On a gagné le championnat avec Verdun, puis avec Radio X l’année suivante. Ma fille est née à Québec et y a grandi. Elle y habite toujours avec sa mère. »

Il a pu mesurer l’impact de P.K. Subban au Québec. « Je l’ai entraîné à l’occasion. J’étais avec lui au moment où il allait signer son contrat pont avec le Canadien. La direction s’apprêtait à prendre l’avion pour négocier le contrat. Il a gagné le trophée Norris dans l’année qui a suivi. Il a inspiré de nombreux jeunes au Québec. »

Jason Payne vit les aléas des entraîneurs de l’ECHL. Cinquante-trois joueurs ont porté l’uniforme des Cyclones l’hiver dernier ! « Avec la COVID et les blessures, il y a beaucoup de mouvement de personnel. Les Sabres ont eu beaucoup de blessés et ils ont rappelé des joueurs de Rochester, dans la Ligue américaine. Alors ceux-ci rappellent des joueurs de notre club… »

Où se voit-il à long terme ? « Je veux continuer à développer des joueurs, mais le but serait évidemment d’atteindre la LNH. »