« Ça fait 35 ans que je me force à être impeccable dans tout. Le logo du Canadien, pour moi, c’est énorme. Je veux que le vestiaire soit impeccable, que les chandails soient impeccables. »

Ces mots sont ceux de Pierre Gervais, gérant à l’équipement du Tricolore depuis 1988.

Pensez aux grands évènements qui ont marqué les 35 dernières saisons du Bleu-blanc-rouge. Il vous vient probablement en tête la dernière conquête de la Coupe Stanley. Le dernier match de Patrick Roy à Montréal. La fermeture du Forum. Le grand retour de Saku Koivu après qu’il eut vaincu le cancer.

Pierre Gervais était là. À chacun d’eux.

Des milliers de lames aiguisées et de bâtons cassés plus tard, l’heure de la retraite a sonné. Cette saison est sa dernière. L’homme de 60 ans a rencontré La Presse au Complexe Bell de Brossard, le 15 février.

Et il s’est raconté.

La première chance

Cette histoire d’amour de Pierre Gervais avec le hockey, elle part de loin. « Moi, mes livres d’école, c’étaient des palettes de hockey avec des courbes différentes », lance-t-il.

Quand la cloche annonçait la fin des cours, le jeune Pierre se dirigeait vers le Colisée de Trois-Rivières, situé à cinq minutes de son école, pour assister à l’entraînement des défunts Draveurs.

« Un jour, Michel Bergeron est déménagé à côté de chez mes parents, raconte-t-il. Il était instructeur à Trois-Rivières dans le temps. J’étais trop gêné pour lui parler, mais à un moment donné, j’ai vu sa femme dehors et je lui ai dit : “Si jamais Michel a besoin de quelque chose, d’un coup de main, je serais prêt à faire n’importe quoi.” »

Parfois, il suffit de demander. Bergeron a parlé avec ses parents afin de l’inviter au camp d’entraînement de l’équipe, qui se tenait à Montréal.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Pierre Gervais dans le vestiaire du Canadien

Je me souviendrai toujours du sentiment d’être en autobus avec les joueurs. Je ne savais pas que ça irait aussi loin que ça. Naturellement, on me demandait un pied et j’en donnais deux. J’ai vraiment fait bonne impression.

Pierre Gervais

Gervais a travaillé pour les Draveurs de 1978 à 1980, avant de se joindre aux Castors de Sherbrooke dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), puis aux Jets de Sherbrooke, et aux Canadiens de Sherbrooke dans la Ligue américaine.

À son premier camp d’entraînement avec le Tricolore, en 1984, il avait 22 ans. Il était impressionné, voire « intimidé ». Quand on lui demande si un joueur a marqué son arrivée, sa réponse est immédiate : « Guy Lafleur. »

« Je me rappelle, il était tellement charismatique. Il m’a donné la main en me ramassant un peu et en disant : “Hey, le kid !” Ça, c’était cool. »

« Chris Nilan m’avait invité à souper chez lui, continue-t-il. Ça, c’est tout un geste. C’était un vétéran, c’était quelque chose. Ma femme me disait : “Voyons donc, tu ne le connais pas.” J’ai dit : “Eh bien, je vais le connaître !” Je suis allé à L’Île-des-Sœurs. C’était comme un bienvenue. Ce sont des choses qu’on n’oublie jamais. »

Patrick Roy

Des anecdotes, Pierre Gervais en a des tonnes. Celles qu’il nous raconte ont toutes, ou presque, un point en commun : Patrick Roy.

C’est le nom qu’il mentionne d’abord quand on lui demande ce qui l’a le plus marqué au fil des années. « Les superstitions de Patrick Roy », répond-il.

« Il avait une rondelle du Canadien sur laquelle il avait écrit un W pour Win [victoire]. Entre les périodes, à tel moment au cadran, il jouait avec sa rondelle et la plaçait à telle place d’une telle façon. Il ne fallait pas y toucher ! »

Aujourd’hui, les gardiens de but peuvent se rendre au banc lorsque leur équipement se brise. Ce n’était pas le cas à l’époque. M. Gervais se rappelle très bien d’un match en particulier où Roy a eu besoin de son aide.

« Tu embarques sur la glace, il y a 17 000 personnes autour, tu es en direct à la télévision. Ta vis et le trou de vis, je peux te dire qu’ils sont petits ! Patrick, pour en mettre, me disait : “Vite, Gerv, il faut que tu fasses vite, tout le monde te regarde !” J’avais tellement hâte de finir avec ça », relate-t-il en riant.

On comprend vite que Pierre Gervais était très proche de Roy. Les deux hommes se sont d’abord rencontrés dans la Ligue américaine, alors que le cerbère a évolué pour les Canadiens de Sherbrooke en 1984-1985, à l’époque où le Trifluvien y était.

« Il arrivait du junior, parlait zéro anglais, se souvient Gervais. À ses débuts, c’est moi qui l’aidais avec les journalistes étrangers pour faire la traduction. Il n’avait pas une cenne dans ce temps-là. Il sortait avec une fille de Québec et n’avait pas assez d’argent pour mettre de l’essence dans son auto. On avait une journée de congé, je lui ai donné 20 $ et je lui ai dit d’aller voir sa blonde. Il me le doit encore, d’ailleurs ! »

En 1995, quand Roy a été échangé au Colorado, Gervais a reçu quelques appels du gérant à l’équipement de l’Avalanche...

« Il me disait : “Coudonc, qu’est-ce que tu fais à ses patins ?” Je disais : “Écoute, il faut que ce soit bien coupant.” Il me disait : “C’est ça que je fais !” Patrick, à un moment donné, voulait m’envoyer des lames pour que je les aiguise et que je les lui retourne, mais ça ne s’est jamais fait. À un moment donné, j’ai parlé à Patrick et je lui ai dit que le gars était bon. »

Une dernière

En 2002, le légendaire Wayne Gretzky a passé un coup de fil à Pierre Gervais pour l’inviter à être le gérant à l’équipement d’Équipe Canada pour les Jeux olympiques de Salt Lake City.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Pierre Gervais devant une photo de la conquête de la Coupe Stanley en 1993

Il [Wayne Gretzky] termine [la conversation] en disant : “We’ll go for the gold” [nous visons l’or] ! J’ai dit : “Mets-en”. Je ne suis pas un gars nerveux en temps normal, mais j’avais une petite sueur et je ne savais pas comment réagir. C’était vraiment cool.

Pierre Gervais, à propos des Jeux olympiques de Salt Lake City

Finalement, il aura pris part à quatre présentations des Jeux et remporté trois médailles d’or avec le Canada. Ces moments, et tous ceux vécus avec le Canadien au fil des années, resteront à jamais gravés dans sa mémoire.

« Honnêtement, je suis privilégié et je le sais », laisse-t-il entendre.

Au moment de notre entrevue avec le gérant à l’équipement, rien n’allait plus pour le Bleu-blanc-rouge, qui se trouvait au dernier rang du classement général.

« J’ai passé 44 ans dans le hockey au total, et c’est ma pire année, confiait Gervais. Ça, c’est sûr. Pour tout ce qui est arrivé.

« Des fois je dis aux gars en blague : j’ai quasiment peur de prendre l’avion ! »

Ça rendra, en quelque sorte, le départ à la retraite un peu plus facile. Alors que sa femme est récemment devenue infirmière clinicienne, ce sera lui qui s’occupera de leurs deux fils de 10 et 11 ans à la maison.

Et puis, comme le Canadien l’a écrit dans un communiqué de presse en début de saison, Gervais restera dans l’entourage de l’équipe d’une façon ou d’une autre. Il donnera un coup de main là où l’équipe aura besoin de lui. Il fera toujours partie de la famille.

« Veux, veux pas, j’ai ça dans les tripes. »

On n’en doute pas une seconde.

Le joueur avec lequel il est resté ami : Joé Juneau

« Il vient de Portneuf, on avait beaucoup d’affinités. C’est un gars qui aime beaucoup la nature, la forêt, le bois, comme moi. Encore aujourd’hui, on est chums. On va à la pêche ensemble l’été, il vient chez nous, on se côtoie beaucoup. »

Ses éditions préférées du Canadien : 1992-1993 et 2020-2021

« C’était similaire. C’était sensiblement le même club, mais avec des acteurs différents. C’était une bonne gang de gars, qui ont décidé de tirer ensemble et de tout donner. »

Le joueur de l’édition actuelle qui utilise le plus d’équipement : Jake Allen

« Le gars de St. Louis m’avait averti. Les gants, les blocs, je suis toujours en train de lui en commander. Il transpire énormément, il faut lui donner ça, mais il aime l’équipement neuf, contrairement à la plupart des gardiens de but. »

Le joueur de l’édition actuelle qui utilise le plus de bâtons : Jeff Petry

« Il n’a pas peur de ça, lui, un bâton de hockey ! »

Une anecdote de la conquête de 1993

« Patrick Roy a utilisé le même bâton pendant toutes les séries ! À la fin, la première chose qu’il faisait, c’était de me donner son bâton. Moi j’allais le cacher quelque part, personne ne savait où. Lorsqu’on a gagné la Coupe, je l’ai mis dans le sac pour être sûr que ça s’en venait avec nous autres. »