À la fin de chaque entraînement, les joueurs du Canadien s’éparpillent sur le grand rond au centre de la patinoire, qui entoure le cercle des mises au jeu, pour effectuer quelques étirements.

La tradition veut qu’un joueur aille au milieu afin de « mener » l’exercice. Ça peut être un joueur dont c’est l’anniversaire, qui revient au jeu, qui va affronter son ancienne équipe pour la première fois. Ça peut aussi être un nouveau venu.

Personne ne correspondait à l’un de ces critères en ce vendredi à Brossard. Toutefois, après le premier entraînement d’un nouveau coach, le capitaine aurait été un choix logique. Comme il aurait été fastidieux de faire venir Shea Weber de Kelowna, on a opté pour une solution plus simple : Ben Chiarot, un de ceux qui portent un « A » cette saison, a fini par prendre place au milieu.

Sauf que celui qui parlait, même pendant que Chiarot était au milieu, c’était Martin St-Louis.

« Il parlait simplement de la préparation individuelle, que l’on soit dans la formation, laissé de côté ou blessé. Il nous rappelait que peu importe notre situation, il y a toujours moyen de nous préparer pour le jour suivant », a résumé Nick Suzuki.

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Martin St-Louis

C’est là une simple anecdote, et le Canadien n’est pas 32e au classement parce que personne ne mène les étirements. Mais c’était aussi un rappel du vide laissé dans ce vestiaire cette saison. Le capitaine n’y est plus, et personne ne semble prendre l’initiative. Kent Hughes avait d’ailleurs évoqué le problème de leadership du Canadien dans nos pages il y a deux semaines.

Lisez « Entrevue avec Kent Hughes : leadership recherché »

Comme à Tampa

Après l’entraînement, St-Louis s’est fait demander s’il avait déjà fait partie d’une équipe sans capitaine. « Je ne m’en souviens pas », a-t-il répondu, avant de froncer les sourcils, l’air d’un gars qui fait défiler une saison après l’autre dans sa tête.

Vérification faite, ça lui est arrivé au moins une fois dans la LNH. C’était en 2007-2008 avec le Lightning de Tampa Bay. Tim Taylor était officiellement capitaine, mais il avait été opéré à une hanche avant la saison, ses chances de retour étaient à peu près nulles et même s’il revenait au jeu, il était convenu que ce serait sa dernière saison.

Si ça peut rassurer St-Louis, il n’est pas le seul à avoir oublié l’épisode du capitaine cette année-là. « De mémoire, ça ne me revient pas, admet Marc Denis, qui avait alors passé la première moitié de la saison à Tampa. Mais le Lightning était un bourbier sur la glace et à l’extérieur. »

« Je ne me souviens pas de la situation du capitaine, avoue Jay Feaster, directeur général à l’époque. Mais l’équipe n’était pas très bonne. Les nouveaux propriétaires, Oren Koules et Len Barrie, passaient leur temps dans le vestiaire et dans le bureau des entraîneurs. »

Là-dessus, les souvenirs de Denis et de Feaster sont bons. Après quatre participations de suite aux séries, le Lightning revenait sur terre avec une fiche de 31-42-9, bonne pour 71 points.

« On avait perdu beaucoup de gars de la Coupe de 2004, se souvient André Roy, alors à sa dernière année à Tampa. Cory Sarich, Ruslan Fedotenko, Pavel Kubina étaient partis. Brad Richards avait été échangé à la fin de la saison. »

C’était aussi le moment où les joueurs en avaient soupé de John Tortorella. « La seule chose sur laquelle j’étais d’accord avec les nouveaux propriétaires, c’était la nécessité de remplacer Tortorella ! », lance Jay Feaster en riant.

« Torts aimait ça quand les gars se parlaient dans les meetings, et on le faisait moins, ajoute André Roy. On avait perdu des gars qui n’avaient peut-être pas l’impact de Vincent ou de Martin sur la glace, mais qui pouvaient calmer les jeunes.

« Chez le Canadien, les gens disaient que Shea Weber n’avançait plus. Mais il restait très important. Carey Price aussi avait une présence. Corey Perry parlait, c’est sûr. Joel Edmundson n’est pas là. C’était comme ça pour nous aussi. Je vois aller Martin dans les vidéos de l’entraînement du Canadien, il parle beaucoup. J’espère que ça sera bon pour les jeunes. »

Entraîneur et meneur

Les situations du Lightning de 2008 et du CH de cette année ne sont évidemment pas identiques en tout point. Mais dans les deux cas, la perte de leaders et l’instabilité à l’extérieur du vestiaire ont créé un cocktail toxique.

Ce qui est préoccupant chez le Canadien, c’est que la situation a déraillé à un point tel que l’équipe a procédé à un changement d’entraîneur-chef pour la deuxième fois en un peu moins de 12 mois. En février 2021, Marc Bergevin disait que les joueurs avaient « besoin d’une nouvelle voix ».

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Martin St-Louis au tableau devant ses joueurs

Cette fois ? « On n’a pas abandonné [Dominique Ducharme]. On cherchait des solutions, des réponses, et parfois, tu ne sais plus quoi dire, a décrit Brendan Gallagher. Il se donnait à fond, mais ça ne fonctionnait juste pas, comme l’an passé, quand il est arrivé et qu’on avait besoin d’une nouvelle voix. Malheureusement, c’est revenu pas mal plus vite que ce que l’on aurait souhaité. Maintenant, on sent une nouvelle énergie, on a une nouvelle voix. On sent que c’est un nouveau départ. »

St-Louis devra donc être cette nouvelle voix, sauf que contrairement à Ducharme l’an dernier, il n’aura pas de Weber, de Price, de Perry pour relayer son message. Et Chiarot, évoqué plus haut, pourrait très bien porter un autre uniforme dans les prochaines semaines.

« Des fois, s’il manque de leadership vocal dans un vestiaire, ça prend un entraîneur vocal, qui a des qualités de leader. Je crois que je suis capable d’amener ça jusqu’à ce que j’identifie le gars que je vois comme capitaine », a répondu St-Louis.

Son ancien DG, Jay Feaster, le croit capable de combler le vide en attendant.

« Je pense que Martin va montrer la voie. Quand il jouait, il avait beaucoup de passion. Si tu lui disais de foncer dans la bande, il le faisait jusqu’à ce qu’il la fasse tomber. Même quand il a gagné le trophée Hart, il ne s’est jamais assis sur ses lauriers. Il se comportait toujours comme un gars qui était à un appel de se faire envoyer dans la Ligue américaine.

« Il sera un leader. Par son leadership, il va amener les gars à se dire : pourquoi ça ne serait pas moi qui me lève ? Plusieurs gars peuvent avoir une voix, même s’ils ne sont pas des vedettes depuis 10 ans. Ces gars-là vont se dire : pourquoi pas moi ? »

En bref

Bref, mais intense

Le premier entraînement dirigé par St-Louis n’aura pas été bien long, une trentaine de minutes, tout au plus. Il faut préciser que le Tricolore jouait jeudi et remet ça ce samedi et dimanche. Aucun exercice à cinq contre cinq n’a été mené, si bien qu’il est impossible de se prononcer sur la composition de la formation pour le duel de ce samedi contre Columbus. En revanche, St-Louis a organisé un exercice de jeu à trois contre trois, en espace restreint (les buts étaient placés en zone neutre, devant les bandes, et le jeu se faisait dans le sens de la largeur). « J’ai toujours aimé limiter l’espace, car ça force les joueurs à penser plus vite et c’est plus difficile d’exécuter des jeux, a expliqué St-Louis. Les joueurs aiment ce genre d’exercice et tu crées de l’enthousiasme instantanément. Et quand ils reviendront sur la grande patinoire, ils vont croire qu’ils ont plus de temps pour effectuer un jeu. J’aime bien les faire suffoquer pour leur permettre de respirer ensuite. » Une différence à son exercice : les joueurs qui attendaient leur tour, sur le côté, pouvaient recevoir une passe à tout moment afin de relancer le jeu. Une belle façon de s’assurer que tout le monde demeure alerte…

Les mauvais souvenirs de Gallagher

Le Canadien s’est incliné en finale de l’Est en 2014, une défaite attribuée par bien des observateurs à Chris Kreider, qui était tombé dans les jambières de Carey Price avec le résultat que l’on connaît. Or, c’est oublier qu’après trois matchs, les Rangers menaient 2-1. Puis, le quatrième duel s’est rendu en prolongation. Un but et cette série aurait été égale 2-2, avec le cinquième match à Montréal. Mais c’est Martin St-Louis lui-même qui a marqué en prolongation pour donner aux Rangers l’avance 3-1 dans la série. Brendan Gallagher, lui, s’en souvient ; il était d’ailleurs tout juste derrière Carl Hagelin quand ce dernier a repéré St-Louis à la droite de Dustin Tokarski. « J’avais une assez bonne vue de son but, et je n’ai pas tellement aimé l’expérience. Mais c’était spécial de l’affronter pendant une série. J’ai pu voir de près à quel point il était dominant, même s’il était plus vieux. »

Voyez le but de St-Louis

Un bel hommage de Byron

Enfin, Paul Byron a livré un bel hommage à son nouvel entraîneur-chef. À 158 lb, Byron est un des joueurs les plus légers de la LNH : seul Kailer Yamamoto (153 lb) est moins lourd que lui. « Martin m’a permis de croire que jouer dans la Ligue nationale, c’était possible. Avant, peu de gens avaient confiance en des joueurs comme nous. Quand j’ai vu ce qu’il a fait à Tampa, combien le hockey avait changé, ça m’a donné confiance pour rester dans le hockey et continuer à vivre mon rêve. »