Jeff Gorton disait vouloir sortir des sentiers battus (« think outside the box ») pour l’embauche de son directeur général, chose qu’il a faite en se tournant vers l’agent de joueurs Kent Hughes. Le mot d’ordre s’appliquait aussi au poste d’entraîneur-chef.

Le Tricolore a causé une commotion en embauchant Martin St-Louis comme entraîneur-chef par intérim. L’équipe en a fait l’annonce mercredi après-midi, quelques heures après avoir congédié Dominique Ducharme.

Cette nouvelle survient au lendemain d’une dégelée de 7-1 du Tricolore aux mains des Devils du New Jersey. Il s’agissait d’une 13défaite en 14 matchs pour le CH, plusieurs de ces défaites ayant été des massacres. Il n’est toutefois pas clair si le résultat en soi a pesé dans la balance puisque selon nos informations, St-Louis savait depuis mardi, dans le courant de la soirée, qu’il avait obtenu le poste.

Notons que St-Louis est nommé par intérim. Selon notre confrère de Sportsnet Elliotte Friedman, il possède une entente qui le lie à l’équipe d’ici la fin de la saison, après quoi la situation sera réévaluée.

Les liens sont nombreux entre St-Louis et le nouvel état-major du Canadien. Dans un portrait de Hughes publié le mois dernier, le site The Athletic rappelait que ce dernier avait dirigé un Martin St-Louis d’environ 15 ans chez les Northern Elite.

Le fils aîné de St-Louis, Ryan, joue actuellement avec les fils de Hughes à l’Université Northeastern. St-Louis a également terminé sa carrière chez les Rangers de New York, pendant une saison et demie, au moment où Jeff Gorton – vice-président aux opérations hockey du Canadien – y occupait le poste de directeur général adjoint.

St-Louis remplacera donc Ducharme, son ancien coéquipier à l’Université du Vermont. Ils s’y sont croisés pendant deux saisons, de 1993 à 1995.

St-Louis est arrivé au Québec en fin de journée mercredi. Il rencontrera les joueurs à Brossard ce jeudi matin, et s’adressera ensuite aux médias en compagnie de Hughes et de Gorton.

Sans expérience

« Si tu m’avais dit qu’il serait entraîneur-chef dans la Ligue nationale ou pilote d’avion, je t’aurais cru. »

Celui qui parle, c’est Lewis Gross, que St-Louis a eu comme agent à partir de l’âge de 19 ans.

Des commentaires de la sorte, nous en avons entendu évidemment beaucoup au fil de nos appels, car l’embauche d’un entraîneur-chef sans expérience au niveau professionnel laisse bien des amateurs sceptiques.

« Il ne part pas de la case départ. Il ne faut pas regarder son HockeyDB et dire qu’il n’a jamais franchi les étapes. Quand tu es un exceptionnel comme ça, tu as une longueur d’avance », ajoute Daniel Lacroix, aujourd’hui entraîneur-chef des Wildcats de Moncton, qui a côtoyé St-Louis en tant qu’entraîneur adjoint chez le Lightning et les Rangers, de 2010 à 2014.

Selon le site Elite Prospects, St-Louis occupait cette saison le poste d’entraîneur adjoint des 13 ans et moins des Rangers de Mid Fairfield, au Connecticut.

De façon officieuse, l’homme de 46 ans était aussi impliqué auprès des Bruins de Brunswick, un collège privé de Greenwich, au Connecticut, où deux de ses fils ont joué. L’organisation a d’ailleurs salué son œuvre dans un tweet.

« Les gens disent qu’il sera bon comme personne auprès des joueurs, mais qu’il comptera sur ses adjoints pour les X et les O. Mais il connaît son hockey ! », estime Michael Kennedy, entraîneur-chef des Bruins de Brunswick.

Il a ses idées sur l’avantage numérique, le désavantage, le jeu en zone défensive. Il a une philosophie sur tout, dans toutes les zones et toutes les situations. Il devra évidemment adapter sa philosophie à la LNH. Mais par exemple, dans un match dernièrement, on a accordé deux buts à six contre cinq. La séance vidéo qui suivait ce match a porté entièrement sur cet aspect. Il veut couvrir tous les angles.

Michael Kennedy, entraîneur-chef des Bruins de Brunswick

À l’exception du hockey mineur, son unique mandat officiel au hockey, depuis sa retraite en 2015, a été une moitié de saison comme consultant auprès des Blue Jackets de Columbus, en 2018-2019. Embauché par son ancien coach John Tortorella, St-Louis avait eu pour mission de relancer l’avantage numérique de l’équipe.

Les Blue Jackets présentaient un rendement de 14,6 % (28es dans la LNH) en 48 matchs au moment de son embauche, le 21 janvier. Dans les 34 derniers matchs de la saison, ils s’étaient classés au 23rang en avantage numérique, avec 16,9 % de taux de réussite. En séries, par contre, les Jackets avaient surpris le Lightning en quatre matchs, notamment grâce à une performance de 5 buts en 10 occasions de l’avantage numérique.

Pendant ce mandat, St-Louis a travaillé avec deux membres actuels du CH, Josh Anderson et David Savard.

« C’est quelqu’un qui a une compréhension de la game hors du commun et qui a fait de grandes choses dans sa carrière. J’ai bien hâte de recommencer à travailler avec lui », a indiqué Savard, dans un échange de textos avec La Presse.

L’ancien agent de St-Louis, Lewis Gross, affirme que son protégé a reçu des offres au fil des ans afin de travailler pour des organisations de la LNH, sans préciser dans quel rôle.

« Quand il a pris sa retraite, il voulait simplement passer du temps en famille, indique Gross, affirmation corroborée par son bon ami et ancien coéquipier Éric Perrin. Il a décidé de coacher ses enfants. Une fois qu’il s’y est mis, il a eu la piqûre. Sa personnalité lui permet de former de bons joueurs, mais surtout de bonnes personnes, par son parcours, par sa façon de valoriser le travail. »

Il n’y a rien que Martin ne puisse accomplir. Il l’a prouvé pendant sa carrière de joueur et il le prouvera encore comme entraîneur. Peu importe le défi devant lui, il le surmonte.

Éric Perrin, ex-joueur de la LNH

Un meneur

St-Louis a connu une fructueuse carrière de joueur, remportant une Coupe Stanley (2004), une médaille d’or olympique (2014) et deux trophées Art-Ross (2004 et 2013). Il a été admis au Temple de la renommée en novembre 2018.

« Martin est un gars hyper intense, très émotif, analyse Martin Raymond, qui a lui aussi été entraîneur adjoint à Tampa de 2010 à 2013. Il n’avait pas le choix d’être intense, avec sa stature. C’est pour ça qu’il est devenu un joueur étoile. Et il était très intelligent, il compensait son petit gabarit par sa ruse. En plus, il était travaillant, il ne prenait pas souvent congé. En fait, quand on avait congé, il venait à l’aréna avec ses enfants, il patinait et il s’entraînait. »

Ce côté travaillant est souvent évoqué par ceux qui l’ont côtoyé. « Il est à son affaire, axé sur la tâche. Il a une job à faire, il va la faire, poursuit Raymond. Il ne passera pas par quatre chemins. C’était un leader pour nous à Tampa. Je ne l’ai pas vu coacher, mais je l’ai vu interagir avec ses coéquipiers dans le vestiaire et c’était un leader, un gars très business. »

Daniel Lacroix, qui l’a connu à la même époque, abonde dans le même sens. « Socialement, c’est quelqu’un qui peut s’amuser, mais quand vient le temps de travailler, c’est du sérieux. Il travaillait tous les jours, juste pour maintenir un standard minimum. Par exemple, il disait : “Mon tir n’est pas aussi bon que celui de [Steven] Stamkos”, donc il travaillait là-dessus. »

C’est donc à cet homme que le Tricolore confie sa destinée pour les 37 derniers matchs de la saison. Il hérite d’une équipe qui n’a remporté que 8 victoires en 45 matchs, une équipe qui a manqué de ressources dès le jour 1 du camp d’entraînement, avec la perte de nombreux éléments, à commencer par Carey Price, Shea Weber et Phillip Danault.

La tâche semble ambitieuse, mais elle l’était aussi pour un joueur de 5 pi 8 po, jamais repêché, ignoré par son équipe locale dans la LNH, arrivé à temps plein dans la LNH à 25 ans. Ça ne l’a pas empêché de faire partie des immortels.

Reste à voir s’il fera le coup une deuxième fois.

Avec la collaboration de Simon-Olivier Lorange, La Presse

Une pensée pour Ducharme

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Ducharme

Martin Raymond est encore entraîneur, au sein du programme de hockey De Mortagne. Et avant même de parler de St-Louis, il a eu une pensée pour Ducharme. « Ma réaction en tant qu’entraîneur, c’est que je suis déçu pour Dominique. Je lui ai envoyé un message pour lui dire de garder la tête haute. Ce n’est pas facile, avec tous les blessés. On l’a vécu à Tampa et à Ottawa, c’est dur. Tu sens que tu n’as plus d’effectifs, la confiance s’effrite. Je trouve ça dur pour lui. » Éric Perrin, qui a joué avec St-Louis et avec Ducharme à l’Université du Vermont, a lui aussi eu une pensée pour le coach déchu. « La nouvelle m’a attristé aussi pour Dom. Aux cartes, on dirait qu’il a eu une mauvaise main. Mais Dom est tellement un bon gars, il va encore avoir du succès ailleurs. »