On retourne à l’hiver 2001. Le Canadien connaît sa pire saison depuis l’invention de la colle cyanoacrylate. Ou, comme le dit Bernard Pivot en faisant ses rénovations, la Krazy Glue.

L’équipe traverse une séquence de six défaites quand elle débarque à Philadelphie, le 27 février, pour affronter les Flyers, une puissance de la LNH.

Ce soir-là, un certain Sheldon Souray – pas encore devenu un bon défenseur offensif – et une recrue du nom de Stéphane Robidas forment le premier duo de défenseurs du Canadien. Les deux passent 31 minutes sur la patinoire. Vous avez bien lu.

À l’avant, Trevor Linden et Martin Rucinsky jouent chacun 27 minutes. Dainius Zubrus, 25 minutes.

Et comme on s’y attendait tous, le Tricolore l’emporte 3-2.

Le Canadien reprend l’action dès le lendemain contre une autre équipe malcommode, les Penguins de Pittsburgh. Rick Green, entraîneur responsable des défenseurs, annonce à Robidas, un choix de 7e tour qui compte alors 48 matchs d’expérience dans la LNH, qu’il aura comme mandat de surveiller Mario Lemieux et Jaromir Jagr.

« Quelques semaines plus tôt, j’avais joué à Pittsburgh pour la première fois et c’était l’année du retour de Mario. Pendant l’échauffement, tout ce que je fais, c’est que je le regarde de l’autre côté. Je suis en admiration… Pour moi, c’est le meilleur joueur qui a joué », raconte Robidas à La Presse.

« Donc, quand ils sont venus à Montréal, je me suis dit : wow, méchant step ! Je passe du gars qui ne jouait pas au gars qui affronte les deux meilleurs joueurs au monde ! »

Robidas évite le pire. Le trio de Lemieux est « limité » à deux buts, et le Canadien gagne 4-2.

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La Presse, 1er mars 2001, cahier des Sports, p. 2

Triste record

La saison 2000-2001 du Canadien fait partie des moments sombres de l’organisation. Les Montréalais ont conclu la campagne avec 70 points, à 18 points d’une place en séries.

Parmi les facteurs d’explication : les blessés. Aucun joueur ne dispute 82 matchs. Seulement 3 en jouent plus de 70. Quarante-six joueurs défilent dans l’uniforme bleu-blanc-rouge, un record d’équipe en une saison. Vous nous voyez venir ; ce record sera fort probablement battu cette saison.

Le plus de joueurs utilisés par le Canadien en une saison

2000-2001 : 46
2015-2016 : 45
2016-2017 : 41
2021-2022 : 36 (en 34 matchs)

Évidemment, la situation a ouvert la porte à une multitude de jeunes. Et si les plus optimistes partisans du Tricolore veulent se consoler au lieu de se désoler, il y a ceci : des espoirs pourraient utiliser ces occasions inattendues comme tremplin vers Montréal.

Pour certains, comme Robidas, Andrei Markov et Arron Asham, ce fut le début d’une longue carrière dans la LNH. D’autres, comme Francis Bélanger, Xavier Delisle ou Matt Higgins, n’ont plus jamais joué dans la grande ligue par après.

« Certains jeunes arrivent et sont débordés, d’autres peuvent gérer ça. T’as une assez bonne idée des joueurs que t’as », nous raconte Rick Green, entraîneur adjoint chez le Canadien à l’époque. « Mais le niveau de compétitivité et la capacité à suivre le plan de match, ça ne change jamais. Le joueur l’a ou il ne l’a pas. »

Green se souvient justement de Souray, qu’il ne ménageait pas. « Une fois, il revient au banc, il est presque mauve, et je lui dis : “Désolé, Shelly, tu dois rembarquer !” Je le taquinais. “Tu veux jouer ? Tu vas jouer encore plus que ce que tu pensais.” »

Éric Landry ne comptait que 15 matchs d’expérience dans la LNH à l’amorce de la saison. L’attaquant, jamais repêché, a commencé la campagne au sein du club-école de l’époque, les Citadelles de Québec, avant d’être rappelé à la mi-novembre. Il a eu droit à 51 matchs à Montréal.

« À mon arrivée, je jouais avec Andrei Bashkirov et Martin Rucinsky, se souvient Landry, au bout du fil. On avait de super bons matchs. Rucinsky avait eu un début de saison difficile, et les gens disaient qu’on avait aidé à le relancer. Ensuite, on a joué avec Brian Savage et on se faisait dire par l’équipe que c’était pour le relancer aussi ! »

Des gars comme Saku Koivu étaient blessés, donc ça nous donnait des minutes.

Éric Landry

Landry inscrit cinq points à ses sept premiers matchs et joue alors une quinzaine de minutes par match. Mais son temps d’utilisation chute après le match des Étoiles et il est blanchi dans 21 matchs de suite avant d’être renvoyé aux Citadelles. Le Gatinois ne disputera que deux autres matchs dans la LNH, mais connaîtra ensuite une jolie carrière en Europe.

« C’était une chance incroyable. S’il n’y a pas tous ces blessés, peut-être que je ne joue jamais avec le Canadien. On ne le saura jamais, lance Landry. Mais avec le leadership que j’ai eu ensuite, avec une autre attitude… J’ai toujours travaillé fort. Mais si j’avais écouté un peu plus ce qu’on me disait et que je m’étais moins fié à mes instincts, ç’aurait pu être différent. »

Des chances inégales

Comme on l’a vu avec Landry, le simple fait d’être en uniforme ne constitue pas forcément une chance.

Robidas, par exemple, était généralement laissé de côté en début de saison. À la mi-novembre, il n’avait que trois matchs au compteur, dont un de 5 min 25 s.

« Je jouais le left-wing lock. Donc j’étais attaquant, mais je n’allais pas non plus en échec avant. En gros, j’étais sur la glace pour tuer le temps. Puis, un soir à Washington, Karl Dykhuis a de la misère et il se fait clouer au banc, donc ils m’envoient en défense. Et je score un but comme défenseur. »

Trois jours plus tard, Alain Vigneault est congédié et remplacé par Michel Therrien, qui avait dirigé Robidas avec le club-école. « Je vivais à l’hôtel depuis le camp. Assez vite, Michel m’a dit de me trouver un appartement à Montréal.

« C’était un peu surréel. Les gens commençaient à dire qu’ils allaient bâtir la défense autour de moi… À Montréal, ça s’emballe vite, des fois ! Mais ça allait bien. Guy Carbonneau était entraîneur adjoint et il l’a été au Championnat du monde, donc j’ai été invité par le Canada. C’était une grosse progression ! L’année suivante, j’ai perdu mon poste, mais Carbo est devenu assistant DG à Dallas, il a parlé pour moi, et les Stars sont venus me chercher. Quand tu rentres dans l’engrenage, les dépisteurs te voient et des gens de l’organisation peuvent ensuite se ramasser ailleurs. »

Robidas a finalement connu une carrière de 937 matchs dans la LNH.

Y a-t-il donc un Stéphane Robidas dans la salle ? Aucun doute, les occasions sont là. Samedi, Kale Clague a eu droit à 27 minutes sur la patinoire. Corey Schueneman, certainement pas sur les écrans radars en début de saison, a disputé les trois derniers matchs avec une certaine aisance. Rafaël Harvey-Pinard, Jesse Ylönen et Lukas Vejdemo ont aussi eu droit à des auditions.

« Michael Pezzetta fait une bonne job, ajoute Robidas. Harvey-Pinard arrive de loin. C’est un gars qui pourrait, juste à cause de sa façon de travailler, se faire une place. Il a toujours eu à bûcher, un peu comme Frédérick Gaudreau… C’est le genre de joueur sur qui je gagerais. »

Que sont-ils devenus ?

Stéphane Robidas

L’ancien défenseur se tient occupé depuis ses derniers matchs dans la LNH, en 2014-2015. Après notamment un mandat comme entraîneur au développement chez les Maple Leafs de Toronto, il est aujourd’hui entraîneur-chef des Cantonniers de Magog. Son club occupait le 2e rang au classement général de la Ligue M18 AAA du Québec au moment de la pause de Noël, pause qui se prolongera au moins jusqu’au 17 janvier en raison de la pandémie.

Éric Landry

Après un passage comme entraîneur-chef des Olympiques de Gatineau, il est entraîneur-chef des Rockets de Ticino, en deuxième division suisse. Là-bas aussi, la pandémie a forcé la suspension des activités. Un retour est prévu le 15 janvier. « Toutes les équipes ont eu des cas de COVID, sauf nous ! », se félicite Landry. Son équipe occupe toutefois le dernier rang de la ligue. « On est le club-école de trois équipes de première division, et la plupart de nos gars ont été rappelés. C’est comme si on avait un club junior dans une ligue pro. On a passé 54 ou 55 joueurs jusqu’ici cette saison ! »

Rick Green

C’est depuis son domicile de l’Ouest-de-l’Île que Rick Green nous a appelé. L’ancien défenseur du Canadien demeure en effet toujours à Montréal, lui dont la femme est québécoise. L’entrevue s’est déroulée en anglais, mais il nous a lancé un chaleureux « bonne année » en français en début de conversation. « Mes enfants sont allés à l’école en français et au cégep. Ma fille est à Bishop’s, et mon fils vient d’obtenir son diplôme à Norwich, au Vermont », explique-t-il. Après quelques mandats comme entraîneur, l’homme de 64 ans profite maintenant de la retraite. Il est aussi analyste à l’émission web Montreal Hockey Inside Out, produite par The Montreal Gazette.