Il y a de ces coups de téléphone qui changent une vie.

Danielle Goyette n’est pas près d’oublier celui qu’elle a reçu il y a deux semaines à peine.

Au bout du fil, son ex-partenaire de trio dans l’équipe nationale, Hayley Wickenheiser, l’a avertie que l’appel serait succinct, car elle était entre deux interventions chirurgicales. Celle qui est encore perçue aujourd’hui comme l’une des meilleures hockeyeuses de l’histoire termine en effet une formation en médecine, en plus d’être employée des Maple Leafs de Toronto.

Wickenheiser a expliqué à Goyette qu’elle venait d’être promue directrice senior du développement des joueurs chez les Leafs et qu’elle avait carte blanche pour embaucher son bras droit. Le premier nom en haut de sa liste était celui de son ancienne coéquipière et entraîneuse.

La Québécoise avait une semaine pour décider si elle se lançait ou non. Le choix n’était pas sans conséquence : à la tête du programme féminin des Dinos de l’Université de Calgary, Goyette était l’unique maître à bord.

Et son milieu de travail lui offrait des conditions enviables. Quitter l’Alberta, où elle réside depuis 25 ans, pour se joindre à un club de la LNH impliquait de voir sa vie changer de façon draconienne, sans filet de sécurité ni plan B si jamais les choses n’allaient pas comme prévu.

La réflexion n’a pas été facile. Mais l’offre était trop alléchante. Voilà donc que Danielle Goyette est la nouvelle directrice du développement des joueurs dans la Ville Reine.

« La vie nous pousse à prendre de grosses décisions qui peuvent être risquées, mais plus le risque est grand, plus important est le bénéfice, a dit Goyette à La Presse lundi après-midi.

« J’ai bien hâte de voir tout ça ! », a-t-elle ajouté en riant.

Candidate évidente

Pas besoin de même se rendre jusqu’au bout du CV de la Québécoise pour comprendre les fondements de cette nomination. Membre du Temple de la renommée depuis 2017 en reconnaissance de son exceptionnelle carrière sur la glace, elle termine aujourd’hui une 15saison comme entraîneuse-chef dans les rangs universitaires. Elle a aussi été adjointe avec l’équipe nationale féminine pendant deux Championnats du monde ainsi qu’aux Jeux olympiques de Sotchi.

Depuis quelques années, elle travaille en outre, pendant l’été, comme entraîneuse spécialisée avec des joueurs, hommes et femmes, de toutes les provenances, notamment des hockeyeurs de la LNH comme Braydon Coburn et Brayden Point.

Par contre, la LNH est encore un cercle fermé auquel très peu de femmes ont eu accès à ce jour. En mars 2020, un décompte effectué par Radio-Canada rapportait que moins de 1 % des employés aux opérations hockey des équipes du circuit étaient des femmes. D’autres embauches ont eu lieu depuis, mais la disproportion demeure gigantesque.

Les Maple Leafs de Toronto font figure de pionniers : sept femmes étaient déjà employées du département des opérations hockey. Elles sont maintenant huit.

Cela témoigne surtout, selon Danielle Goyette, de l’« ouverture d’esprit » du directeur général Kyle Dubas. Pour cette organisation, « homme ou femme, tant que tu peux faire le travail, ils sont à l’aise », remarque la nouvelle venue.

C’est d’ailleurs Dubas qui a donné les coudées franches à Wickenheiser pour l’embauche de son personnel. En Goyette, elle retrouve une ancienne coéquipière, mais également une ex-entraîneuse – Wickenheiser a joué pendant quatre ans à l’Université de Calgary.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER @LUKEFOXJUKEBOX

Kyle Dubas, directeur général des Maple Leafs de Toronto

En point de presse, celle qu’il est désormais convenu d’appeler la Dre Wickenheiser a décrit sa collègue comme une personne « incroyablement organisée », qui comprend le développement des joueurs autant sur les plans physique que psychologique et émotionnel. Elle ne sera pas en terrain inconnu, puisque les joueuses universitaires qu’elle a sous son aile depuis 15 ans sont dans le même groupe d’âge que les jeunes espoirs des Leafs.

« Orientée sur les résultats », elle apporte une expertise pointue sur le plan du perfectionnement des habiletés et peut en outre « sauter sur la glace demain matin pour travailler avec des gars comme Auston Matthews ou John Tavares ». Sans complexe. « Elle carbure au hockey chaque jour de sa vie », a encore ajouté Wickenheiser.

Cette dernière se garde toutefois de s’éterniser sur le fait que les deux personnes responsables du développement des joueurs de la plus puissante organisation du hockey soient aujourd’hui des femmes.

Cela démontre néanmoins, selon Wickenheiser, à quel point les Leafs forment une organisation « progressiste », qui apporte une « perspective différente » au sein d’une ligue qui a encore un sérieux retard à combler en matière de diversité par rapport aux autres grands circuits professionnels.

Expérience

Dans son nouvel emploi, Danielle Goyette remplacera Stéphane Robidas. L’ex-défenseur a récemment renoncé à son poste à Toronto afin de devenir entraîneur-chef des Cantonniers de Magog, dans la Ligue de hockey midget AAA du Québec.

Les deux compatriotes n’ont pas eu l’occasion de discuter formellement de la transition à venir, si ce n’est que par le truchement de quelques messages textes.

Robidas, toutefois, souligne à quel point Wickenheiser et Goyette, toutes deux membres du Temple de la renommée du hockey, apportent un point de vue riche pour les joueurs qui tentent de faire leur chemin vers le circuit Bettman. Nul besoin, selon lui, d’avoir soi-même joué dans la LNH pour suivre des jeunes qui essaient d’y arriver.

« C’est cliché, mais l’expérience, ça ne s’achète pas, insiste Robidas en entrevue avec La Presse. Tout le monde, dans le personnel des Maple Leafs, a un bagage différent. Chaque personne peut apporter son grain de sel. »

Le Québécois rappelle par ailleurs qu’il y a presque autant de chemins vers la LNH qu’il y a de joueurs de hockey. Il est donc dans l’ordre des choses de retrouver une multitude de profils dans le personnel qui les encadre.

Goyette, par ailleurs, avoue que la possibilité d’ouvrir « une autre porte » pour les femmes dans la LNH a fait partie de sa réflexion, bien que le défi que représente l’emploi lui-même ait occupé l’essentiel de ses pensées. Jamais encore une offre du genre ne lui avait été faite.

La surprise était d’autant plus grande que l’appel est venu… de Toronto ! « Je suis une grosse fan du Canadien, c’est l’équipe que j’ai toujours regardée en grandissant ! », s’esclaffe-t-elle.

À quelques jours d’une première série Canadien-Leafs en plus de 40 ans, de quel côté son cœur penchera-t-il ?

« Ça va être une très belle série pour moi, se contente-t-elle de répondre. Mais après, il va falloir que ma passion aille seulement du côté des Maple Leafs. »

Qui sait, tout de même, si la vie ne la rapatriera pas, un jour ou l’autre, dans le giron du club de son enfance…