Personne, nulle part, ne peut prédire avec exactitude le type de carrière professionnelle que connaîtra un hockeyeur d’âge junior.

À 16 ans, Marc-André Fleury ne faisait pas exception. Ses qualités devant le filet ne faisaient aucun doute. Il avait tout d’un futur premier choix au repêchage. Mais qui aurait osé avancer qu’il s’installerait un jour parmi les plus grands gardiens de l’histoire de la LNH ?

La Presse s’est entretenue avec deux hommes qui l’ont côtoyé de près pendant ces années névralgiques de son développement. Et même s’ils acquiescent à la prémisse de l’imprévisibilité, ils avancent néanmoins que certains signes ne mentent pas.

Pascal Vincent était l’entraîneur des Screaming Eagles du Cap-Breton pendant les trois saisons complètes qu’y a passées Fleury. Il était évident que, dès ses premiers pas dans la LHJMQ, à 15 ans à peine, le jeune homme « se donnait toutes les chances possibles d’avoir du succès ».

PHOTO JONATHAN KOZUB, FOURNIE PAR LE MANITOBA MOOSE

Pascal Vincent

C’était quelqu’un de très, très humble à l’époque, et il l’est encore aujourd’hui alors qu’il passe à l’histoire.

Pascal Vincent, entraîneur-chef du Moose du Manitoba (LAH) et ancien entraîneur des Screaming Eagles du Cap-Breton (LHJMQ)

L’actuel entraîneur du Moose du Manitoba, dans la Ligue américaine, rappelle que, de toujours, Fleury a été un « bon coéquipier, qui donne confiance à son groupe de joueurs ». « Les gars veulent jouer devant lui », ajoute-t-il.

Rappelons que Marc-André Fleury, depuis mercredi soir, occupe seul le quatrième rang de la LNH pour le nombre de victoires en saison régulière, avec 485. Seuls Roberto Luongo (489), Patrick Roy (551) et Martin Brodeur (661) le devancent au sein d’un palmarès tout québécois.

Après le match, le principal concerné a sobrement parlé d’un « honneur d’avoir [son] nom avec ces gars-là ».

PHOTO DAVID BECKER, ASSOCIATED PRESS

Marc-Andre Fleury est félicité par son coéquipier Brayden McNabb (3) au terme de la victoire, dimanche soir, des Golden Knights de Vegas contre les Coyotes de l’Arizona.

Alors que Fleury s’est souvent décrit comme « chanceux » d’avoir atteint ce niveau et évolué au sein d’équipes gagnantes chez les Penguins de Pittsburgh et les Golden Knights de Vegas, Pascal Vincent estime plutôt que le gardien a surtout été servi par sa propre « façon de penser face à l’adversité », c’est-à-dire sa manière de « montrer aux gens et de se prouver à lui-même que, chaque jour, tu peux t’améliorer ».

« Positif »

Au téléphone, Gilles Meloche s’excuse de ne pas avoir beaucoup de temps à nous accorder. Lorsqu’il apprend la nature de l’appel, il s’emballe et ajoute que, de toute manière, il n’aurait « jamais assez de temps pour parler de Marc-André Fleury ».

Voilà plus de 30 ans que Meloche est recruteur pour les Penguins. Au cours des hivers 2002 et 2003, il a appris par cœur le chemin vers le Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

« Même avant son année de repêchage, c’est déjà lui qui traînait ses équipes sur son dos », se souvient celui qui a lui-même été gardien dans la LNH dans les années 1970 et 1980.

Il était tellement positif… On n’avait qu’à regarder ses périodes d’échauffement. Il restait sur la patinoire jusqu’à ce qu’il se fasse déjouer. Des fois, ça pouvait prendre 5, 10, 15 minutes à le sortir de là !

Gilles Meloche

C’est d’ailleurs un trait qui caractérise toujours Fleury, presque deux décennies plus tard. « Il travaille tout le temps fort, rappelle Pascal Vincent. Tu regardes ses warm-up et tu te demandes comment il va jouer le match au complet, parce qu’il semble avoir dépensé toute son énergie ! »

Adversité

En 2003, Gilles Meloche a donc convaincu ses patrons d’effectuer une transaction avec les Panthers de la Floride afin d’obtenir le tout premier choix du repêchage et de sélectionner Fleury.

Or, pour un joueur, le corollaire d’une sélection aussi prestigieuse est, sauf exception, de se retrouver avec une équipe en difficulté. Fleury n’y échappe pas : les Penguins traversent alors des années moribondes, et les victoires se font rares à ses débuts. Il fait un détour par la Ligue américaine, avant de revenir avec le « grand club », alors renforcé par l’arrivée de Sidney Crosby et d’Evgeni Malkin, entre autres.

La réponse de Fleury face à l’adversité est catégorique. En 2006-2007, il signe une saison de 40 victoires. Deux ans plus tard, il soulève la Coupe Stanley.

Deux autres coupes l’attendent, en 2016 et en 2017, mais chaque fois, il regarde la série finale du bout du banc. Sans surprise, les Penguins ne le protègent pas au repêchage d’expansion de l’été 2017 ; dès le printemps suivant, il transporte les surprenants Golden Knights en grande finale.

Selon Pascal Vincent, c’est la grande force de caractère de Fleury qui a pavé sa route vers le succès.

« Quand ça va mal, tu as besoin de bonnes fondations ; celles de Marc-André, ç’a toujours été son éthique de travail », explique l’entraîneur.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Marc-Andre Fleury, lors de son passage au Colisée Cardin de Sorel, à l’été 2017

Il renchérit : « Face à l’adversité, ce qui est mis à l’épreuve, c’est ta passion pour ce que tu fais. C’est vrai pour n’importe quel métier. Marc-André a beaucoup de talent, c’est une personne extraordinaire. Mais une de ses qualités premières, c’est sa passion pour le jeu, pour arrêter les rondelles. »

Gilles Meloche, qui a en outre été entraîneur des gardiens de but chez les Penguins de 1990 à 2013, abonde dans son sens.

« Ça fait 50 ans que je travaille dans la LNH, dont 35 à Pittsburgh ; jamais je n’ai vu un gars avec une attitude comme la sienne. »

Après seulement un an à travailler avec lui, « on savait que les résultats seraient là, au bout de la ligne ».

Ce désir de vaincre, selon Pascal Vincent, est probablement le fil qui relie Fleury à Luongo, à Roy et à Brodeur.

Ce sont tous des gars qui carburent à la compétition, qui excellent dans la compétition, qui acceptent la compétition.

Pascal Vincent

Le fait que son ancien protégé a aujourd’hui rejoint les trois autres au sommet de l’élite de la LNH ne l’étonne pas, à proprement parler.

« Mais ça me rend vraiment très fier », conclut-il.

À ce compte, il est loin d’être le seul.