Lorsqu’on regarde le calendrier de la saison 2021 des Sabres de Buffalo, on constate un trou béant au début du mois de février.

Deux semaines complètes d’inactivité, rendue inévitable après que la COVID-19 se fut répandue dans le vestiaire « comme un incendie de forêt ». Pour cette équipe, ce vide est tristement devenu le présage au gouffre sans fond dans lequel elle allait s’enfoncer au cours des semaines suivantes.

L’incendie du virus a cessé de brûler, mais la maison, elle, continue de s’effondrer.

Eric Staal ne s’en cache pas : changer d’air est pour lui un soulagement. Il souhaite au plus vite mettre les quelques mois qu’il a passés à Buffalo « derrière [lui] ». « On n’a pas eu beaucoup de plaisir », résume-t-il, sobrement.

Depuis sa chambre d’hôtel, le vétéran joueur de centre s’est adressé aux journalistes montréalais, quelque 48 heures après être devenu membre du Canadien par le truchement d’une transaction. Il a amorcé samedi une quarantaine de sept jours, obligatoire pour les athlètes arrivant des États-Unis.

À 36 ans, Staal traverse une étrange portion de sa carrière. À Montréal, il se retrouve avec sa troisième équipe en moins d’un an. Sa conjointe et leurs enfants sont demeurés au Minnesota après que le Wild, son équipe des quatre dernières années, l’eut échangé aux Sabres en septembre dernier.

Le voilà coincé à l’hôtel, seul, loin de sa famille. Ses trois fils lui manquent, il ne les a pas vus depuis Noël. Par la force des choses, sa vie se déroule présentement « au jour le jour ».

Pourtant, il parle avec enthousiasme du « nouveau départ » qui s’offre à lui. C’est dire à quel point la vie à Buffalo n’était pas festive.

« La bonne nouvelle, c’est que je n’ai plus besoin d’essayer d’expliquer » ce qui s’est passé, a-t-il soupiré.

Il s’est néanmoins avancé sur les grandes lignes. L’analogie de l’incendie de forêt est de lui. « Des joueurs ont été très durement affectés » par la COVID-19, a-t-il rappelé.

Au premier chef, le défenseur Rasmus Ristolainen. Pris d’assaut par des malaises cardiaques et des troubles respiratoires, le colosse de 26 ans a confié à un média finlandais s’être retrouvé en si mauvaise posture qu’il se demandait, en s’endormant le soir, s’il se réveillerait le matin.

Quand on est revenus, on n’a jamais retrouvé notre rythme. Et les blessures ont commencé. C’est devenu de plus en plus dur.

Eric Staal

Le mot est faible. Quand Staal a été échangé, les Sabres venaient de perdre 16 matchs de suite. Ils ont ajouté une 17e défaite samedi, s’approchant à un seul revers du record de médiocrité de la LNH, détenu par les Penguins de Pittsburgh depuis la saison 2003-2004.

Même s’il affirme garder confiance en Kevyn Adams, DG des Sabres, pour « relancer cette organisation », Staal voit comme une « chance » le fait de jouer des « matchs significatifs » au sein d’une équipe qui devrait en principe accéder aux séries éliminatoires. Et qui pourrait, pourquoi pas, « gagner la Coupe Stanley », a-t-il ajouté.

Sachant d’où il arrive, on lui pardonnera l’excès d’enthousiasme. Une chose à la fois, toutefois.

Nouveau rôle

Après l’avoir fait avec Erik Cole il y a bientôt 10 ans, le Canadien rapatrie aujourd’hui en Eric Staal un joueur qui lui a fait beaucoup de mal au fil des années.

Au cours de ses 12 saisons en Caroline, Staal a en effet récolté 38 points en 41 matchs de saison contre le Tricolore, ajoutant 8 points en 6 rencontres en séries éliminatoires. Au printemps 2006, il a marqué un but en prolongation qui donnait aux Hurricanes leur première victoire après avoir vu le CH prendre les devants 2-0 au premier tour. Quelques semaines plus tard, il soulevait la Coupe Stanley.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Eric Staal a donné la victoire en prolongation aux Hurricanes de la Caroline lors du troisième match de la série contre le Canadien, en avril 2006.

Passé aux Rangers de New York puis au Wild en 2016, il a depuis ajouté 7 autres points en 9 rencontres contre le Canadien, ce qui lui donne un joli total de 53 points en 56 parties.

Souriant après qu’on lui eut souligné à quel point il avait été un poison pour le Tricolore – et par extension, ses partisans –, Staal a qualifié de « surréelle » la situation dans laquelle il se trouve. Le Centre Bell, a-t-il dit, a toujours été son amphithéâtre favori sur la route. Avec ou sans foule, y jouer ses matchs à domicile sera « phénoménal », selon lui.

À 36 ans, il ne se berce pas d’illusions : il sait bien qu’il ne sera pas appelé à porter sa nouvelle formation sur ses épaules. Il n’a discuté que brièvement avec son nouvel entraîneur Dominique Ducharme et ne sait pas encore quel rôle précis on lui destine. Toute sa carrière, il a d’abord été employé dans un rôle offensif, notamment en avantage numérique, un département qui fonctionnait à fond de train à Montréal avant la pause forcée de la dernière semaine.

Les matchs de 20 minutes sont sans doute loin derrière lui. Or, « je suis un compétiteur », insiste-t-il. « Je veux encore jouer 25 minutes ! », s’exclame-t-il, assurant n’avoir rien perdu de cet état d’esprit.

Évidemment que nous avons tous un rôle à remplir. Mais il faut se pousser à être le meilleur. Je veux entendre mon nom le plus souvent possible, aider mon équipe à connaître du succès… Mais aussi comprendre la situation lorsqu’un match, un moment n’est pas le mien ; être solidaire, un bon coéquipier. C’est ce que j’ai fait toute ma carrière.

Eric Staal

Expérience

Dans le vestiaire du Canadien, il ne retrouve aucun de ses anciens coéquipiers des Hurricanes, des Rangers, du Wild ou des Sabres. Il reconnaît toutefois des visages connus en Shea Weber et Corey Perry, avec qui il a remporté une médaille d’or olympique aux Jeux de Vancouver en 2010. Weber et lui ont également participé ensemble au Championnat du monde en 2007.

Accessoirement, il rejoint un groupe qui, en plus de Perry, a salué l’arrivée au cours des derniers mois de Tyler Toffoli, Joel Edmundson, Jake Allen et Michael Frolik, tous des gagnants de la Coupe Stanley. Comme Staal.

La présence de ces vétérans dans le vestiaire lui facilitera la tâche, croit-il : « Je peux simplement arriver et être moi-même, apporter mon énergie et ma fébrilité. »

Chez le Tricolore, il voit plusieurs « gars de talent, mais aussi des gars qui ont gagné et qui savent ce que ça prend ». Lire ici : pour gagner de nouveau.

Au sein d’une équipe jeune, tout particulièrement à la position de centre, il se voit volontiers prendre le rôle qu’ont joué pour lui Rod Brind’Amour et Ron Francis en Caroline au début de sa carrière.

« Tu apprends à mesure que ta carrière avance, a souligné Staal. Je veux faire mon possible pour que l’équipe connaisse du succès. Alors quand on me pose des questions, je suis toujours heureux de partager, de redonner au suivant. »

Mais avant tout, a-t-il répété plusieurs fois, il a hâte de jouer.

Ce qu’il pourrait possiblement faire au terme de sa quarantaine, soit à compter du 5 avril, alors que les Oilers d’Edmonton sont censés visiter le Canadien au Centre Bell.

Le rendez-vous sera attendu de pied ferme par les partisans montréalais. Mais encore davantage par le principal concerné, après une semaine passée entre quatre murs.