Jordan Harris a surpris bien des gens, l’organisation du Canadien en premier lieu, en décidant lundi de retarder son entrée chez les professionnels pour demeurer une année supplémentaire dans les rangs collégiaux, à Northeastern.

Ce choix de troisième ronde du CH en 2018 fait un choix noble de terminer ses études, mais il sème une certaine inquiétude à Montréal puisqu’il pourra profiter d’une autonomie complète à compter du 15 août 2022 s’il ne signe pas de contrat avec Montréal après sa prochaine année universitaire au printemps prochain.

Le Canadien espère ne pas perdre ce jeune défenseur gaucher en progression constante, avec 19 points en autant de rencontres chez les Huskies de Northeastern, en plus de briller dans toutes les facettes du jeu.

Voici deux perspectives. L’une d’un angle optimiste, l’autre d’un angle pessimiste.

L’angle optimiste

Dès ses premières entrevues avec les médias montréalais, le jour du repêchage, à Dallas, en juin 2018, Jordan Harris a annoncé qu’il souhaitait demeurer à l’université le temps de compléter ses études. Sa décision, lundi, ne tombe donc pas des nues même si le jeune homme a, parait-il, longuement réfléchi à l’offre de contrat du CH. C’est un étudiant modèle, dit-on, et l’école revêt une importance capitale pour sa famille.

Selon mes discussions avec des sources liées directement au dossier, lundi, le clan Harris, représenté par l’agent Dan Plante, a été rassurant. On a approuvé un communiqué de presse écrit par le Canadien dans lequel on affirme que Jordan Harris demeure engagé avec le Canadien pour l’avenir et on a annoncé sa présence au camp de développement de l’équipe en juin (pour une deuxième année consécutive) puisque les règlements de la NCAA le permettent.

Refuser une offre de contrat pour disputer une saison supplémentaire dans les rangs collégiaux ne signifie pas pour autant le départ d’un jeune.

En 2014, Blake Coleman, un choix de troisième ronde comme Harris, a choisi de demeurer à l’Université de Miami (Ohio) pour une quatrième et dernière saison. Il a quand même signé avec l’équipe qui l’a repêché, les Devils du New Jersey.

Le capitaine des Islanders de New York, Anders Lee, a refusé une offre de contrat en 2012 pour demeurer un an de plus à Notre Dame. Il aurait pu profiter de son autonomie. Il joue toujours pour les Islanders neuf ans plus tard.

À Northeastern, le club de Jordan Harris, Dylan Sikura et Kevin Roy ont choisi, peu de temps avant l’arrivée de Harris là-bas, de renoncer à un contrat et disputer une quatrième année avec les Huskies. Ils ont quand même signé un contrat avec les clubs respectifs qui les ont repêchés.

À Montréal, Jake Evans aurait pu profiter de l’autonomie complète après quatre années à Notre Dame, une très bonne dernière saison de 46 points en 40 matchs avec les Fighting Irish, et une participation à la Coupe Spengler. Il a été fidèle au Canadien.

Jeff Petry s’est entendu avec les Oilers d’Edmonton en 2010 même si quatre ans s’étaient écoulés depuis le repêchage. Idem pour Matt Grzelcyk chez les Bruins en 2016 et de nombreux autres.

Contrairement à certains jeunes joueurs de la NCAA qui ont boudé leur organisation, le Canadien et Jordan Harris ont une très bonne relation. Rob Ramage et Francis Bouillon, affectés au développement des jeunes, communiquent régulièrement avec lui et allaient le visiter quand les règles sanitaires le permettaient.

Jordan Harris ne serait pas en territoire inconnu dans l’organisation du Canadien. Il a joué avec le gardien Cayden Primeau à sa première saison chez les Huskies, et aussi avec Cole Caufield au Championnat mondial junior il y a deux ans. Son coéquipier en défense depuis deux ans, Jayden Struble, a aussi été repêché par le CH.

Au plan contractuel, le Canadien détient un avantage stratégique sur les autres formations de la LNH. Si Harris signe un contrat avec le CH le printemps prochain et dispute un seul match, il aura écoulé l’équivalent d’une année complète de contrat.

Et comme il aura 22 ans d’ici la fin de l’année 2022, il pourra obtenir un contrat de recrue de deux ans au lieu de trois. Harris sera donc admissible à un nouveau contrat seulement un an après son entrée chez les professionnels, au terme de la saison 2022-2023. L’arbitrage arrive plus vite, l’autonomie arrive plus vite, en conséquence les sous arrivent plus vite…

Harris ne perd donc rien à attendre un an. En signant cette année, il aurait quand même dû attendre à 2023 avant de signer un deuxième contrat. Il a préféré passer une année complète à Northeastern plutôt que de risquer de passer un hiver sans garantie d’atteindre la LNH (avec autant de défenseurs sous contrat à Montréal) et aussi se soumettre à une quarantaine de 14 jours, seul dans un hôtel de Montréal ces prochaines semaines.

L’angle pessimiste

Depuis une dizaine d’années, Jimmy Vesey, John Marino, Will Butcher, Kevin Hayes, Blake Wheeler, Mike Reilly, Adam Fox, Justin Schultz, Alex Kerfoot, Chase Priskie, Cal Petersen ont choisi de signer avec une nouvelle équipe quatre ans après le repêchage.

Chacun avait ses raisons. Hayes, par exemple, en voulait aux Blackhawks d’avoir échangé son frère, Reilly voulait retrouver son père, membre de l’organisation du Wild, tandis que certains s’étaient sentis « oubliés » par leur organisation avant qu’ils n’explosent à leur dernière année dans la NCAA. Ils sont peu nombreux, mais cette menace demeure réelle.

Même si le Canadien lui a manifesté beaucoup d’amour lors de leurs meetings ce week-end, Harris pourrait être refroidi par l’abondance d’espoirs en défense à Montréal. Alexander Romanov vient de mériter un poste à 20 ans. On a repêché Kaiden Guhle en première ronde l’an dernier. Mattias Norlinder poursuit sa progression en Suède. Son coéquipier Jayden Struble est gaucher comme les quatre autres.

L’entraineur des Huskies, Jim Madigan, un Montréalais qui a joué pour les Maroons de NDG et fréquenté l’école secondaire Loyola, a d'ailleurs mentionné dans une entrevue à Grant McCagg, en octobre, que Struble et Harris pourraient ne jamais jouer ensemble à Montréal en raison de cette abondance de jeunes défenseurs.

Et puis il y a les Bruins. Jordan Harris habite à 40 minutes du TD Garden de Boston et il a grandi en admirant les prouesses des Bruins. Son père, Peter, un gardien repêché en 1986 par les Islanders de New York, est évidemment un fan des Bruins lui aussi.

Le jeune homme a souvent raconté avoir été taquiné par les membres de son entourage à l’effet d’avoir été repêché par les grands rivaux des Bruins.

Mais quand McCagg lui a souligné à la blague lors de leur entretien en octobre qu’il avait intérêt à ne pas faire faux bond au Canadien pour signer un contrat avec les Bruins, Harris a éclaté de rire. « Je suis absolument d’accord avec ça ! »

Ça vaut ce que ça vaut. On en saura plus long dans un an…

* À lire, cette interview de Jordan Harris, en septembre 2020, sur les défis rencontrés par les joueurs de descendance afro-américaine.

À lire

1- Les joueurs du Canadien se sont soumis à des tests de COVID-19 mardi matin. Un match mardi soir est peu probable, mais on devrait en savoir plus long sur la suite vers 17 h. Les détails de Guillaume Lefrançois.

2- L’État doit-il financer un nouveau stade de baseball à Montréal ? Alexandre Pratt pose la question.

3- Portrait de la nouvelle sensation du tennis québécois, Leylah Annie Fernandez, par mon éminent collègue Frédérick Duchesneau. Lui, je dois le vanter régulièrement, parce que c’est le gérant de l’équipe de balle-molle de La Presse et je veux garder mon poste d’arrêt-court l’été prochain !