La soirée avait pourtant bien commencé.

Après deux périodes, mardi soir, le Canadien menait 2-1 contre les Sénateurs d’Ottawa. Devant son filet, Carey Price affichait la forme de ses beaux jours : calme, en contrôle de ses moyens, mais néanmoins agressif quand la situation l’appelait.

Des 22 lancers dirigés vers lui, seul celui d’Artem Zub, en fin d’engagement, avait trouvé son chemin sous son bloqueur après un cafouillage en défense.

Pendant l’entracte, Stéphane Waite, comme à son habitude, a quitté la loge d’où il regarde les matchs seul pour aller partager ses observations avec les autres entraîneurs du club. Il n’a pas parlé à Price : rarement des ajustements sont-ils apportés en plein match, à moins d’un problème majeur. Mais comme tout fonctionnait, aucune intervention n’était nécessaire.

Waite est remonté à sa loge à temps pour le début de la troisième période. Après quelques secondes de jeu, Marc Bergevin est entré dans la pièce. « Il faut que je te parle. »

Moins de cinq minutes plus tard, le directeur général retournait dans ses quartiers, et Waite prenait l’ascenseur vers son bureau, situé au bas de l’édifice, afin d’y ramasser ses affaires. Après sept saisons et demie comme entraîneur des gardiens de but de l’équipe, il n’était plus un membre de l’organisation du Canadien de Montréal.

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Marc Bergevin, directeur général du Canadien

Le choc était total. Une semaine plus tôt, Bergevin rassurait Waite et Luke Richardson, responsable des défenseurs : le congédiement de Claude Julien et de Kirk Muller n’avait pas d’impact sur eux. Ils feraient partie de la relance du club.

« C’est ce qu’il croyait à ce moment-là… J’imagine que ç’a mijoté dans sa tête depuis », estime Stéphane Waite en entrevue avec La Presse.

« Je respecte son instinct, sa décision. Je ne me sens pas trahi. »

Waite et Bergevin se connaissent depuis longtemps. Les deux ont travaillé ensemble chez les Blackhawks de Chicago, ils y ont gagné la Coupe Stanley ensemble. C’est Bergevin qui a convaincu Waite de déménager ses pénates à Montréal pour devenir le mentor de Carey Price. La relation remonte donc à loin, mais jamais elle n’a été celle de deux « chums ». « Nous avons du respect au niveau professionnel, rien de plus », précise Waite, qui n’a par contre « rien à dire contre Marc », qui lui a fait confiance en l’embauchant au cours de l’été 2013.

Trois jours après son congédiement, Waite voit tranquillement la poussière retomber. Il s’est accordé un court moment de recul. Le voilà à « raconter [son] affaire à ceux qui veulent l’entendre ». Or, dès le week-end, il se voit « passer à autre chose », c’est-à-dire tourner la page sur son association avec le Tricolore et penser à son futur.

Il souhaite de tout cœur décrocher un emploi ailleurs dans la LNH, mais ne s’attend pas à recevoir un appel à court terme. « Le timing n’est pas bon, tout le monde a son entraîneur de gardiens et se concentre sur la fin de la saison et sur les séries éliminatoires », reconnaît-il.

Est-ce à dire qu’il est singulier d’apporter des changements à ce poste au beau milieu du calendrier ?

Au bout du fil, la voix est amusée. « On ne voit pas ça souvent, répond Waite. C’est quelque chose de spécial… mais on est dans un marché spécial. »

Une partie du blâme

Cela fait donc presque huit ans que Stéphane Waite était à l’emploi du Canadien, et autant de temps qu’il travaillait avec Carey Price. Sa plus longue association, « et de loin », avec un gardien à ce jour.

C’est sous la direction du Sherbrookois que Price a connu son ascension vers le sommet. Dès la première saison de leur association, il a considérablement abaissé sa moyenne de buts alloués et augmenté son taux d’arrêts. À la deuxième, en 2014-2015, il a signé les meilleures performances de sa carrière et remporté les trophées Vézina et Hart, devenant seulement le septième gardien de l’histoire de la LNH, et le premier depuis José Théodore en 2002, à être sacré le joueur le plus utile à son équipe.

Mais c’est aussi Waite qui a vu son protégé connaître ses pires moments, notamment la campagne 2017-2018, de loin sa plus pénible.

Pour parler des insuccès de Price, Waite invoque souvent la qualité du jeu défensif autour de lui. Tout récemment, avant que Dominique Ducharme remplace Claude Julien derrière le banc, la situation en territoire du CH était « brouillonne », désorganisée.

Quand une équipe joue mal, un gardien commence à tricher, et c’est le début des problèmes pour n’importe qui, y compris pour Carey. Avec une équipe organisée, il va bien paraître.

Stéphane Waite

Cela n’empêche pas, concède-t-il, qu’une « partie du blâme » revient au gardien et, indirectement, à son entraîneur spécialisé. « Ça, il faut l’accepter. »

Sur les ondes du 98,5FM, Waite a avoué qu’il était arrivé que « la chaîne débarque » pour Price. Or, « c’est pas compliqué : t’arrêtes, tu la rembarques et tu repars », a-t-il dit.

À La Presse, il insiste : déjà, contre les Sénateurs, mardi, les ajustements dans son jeu étaient reconnaissables. Encore la semaine dernière, « on a fait trois ou quatre ajustements pour ramener sa confiance ». « Après, graduellement, il allait revenir plus agressif, redevenir le vrai Carey Price, croit Waite. À un moment donné, il faut revenir à la base, simplifier les choses, pour reconstruire la confiance. »

« Des fois, c’est dans la tête d’un gardien : il cherche des problèmes où il n’y en a pas, et c’est ma job de le rassurer, de lui dire de ne pas essayer de réparer ce qui n’est pas brisé. Ç’a tout le temps bien été. »

Jusqu’à la dernière minute, Price s’est investi « à 100 % » dans le plan établi par Waite, qui martèle à quel point il est « confiant » que son gardien va connaître « une fin de saison incroyable ».

L’usure du temps est un défi à surmonter dans une aussi longue relation, conçoit-il. Trouver une routine saine sans être aliénante, garder le gardien « sur le qui-vive » avec de nouvelles idées, de nouveaux exercices, de nouvelles façons de faire, n’est pas simple. Or, Waite est catégorique : la « flamme » était toujours là, il avait encore « l’attention » de Price.

La déception n’en est que plus vive.

« Il le sait »

Il n’est sans doute pas exagéré d’avancer que personne, chez le Canadien ou dans la LNH, ne connaît mieux Carey Price que Stéphane Waite. En huit ans, il a fini par le connaître par cœur, et ce, malgré que le personnage est l’antithèse d’un livre ouvert.

Il y a deux Price, note Waite. Celui qui, à la face des médias, présente un air froid, désintéressé. Et celui qui s’est rendu chez son ex-entraîneur mercredi, au lendemain de son congédiement, pour faire le point, aller au fond de l’histoire.

Pendant une heure trente, les deux hommes se sont parlé : la seule évocation d’une conversation de 90 minutes avec Carey Price peut sembler abstraite pour bien du monde.

Non, il n’avait pas été consulté avant que le couperet tombe. Et non, il ne se réjouissait pas de la tournure des évènements, au contraire. Waite et Price se sont rappelé les bons moments qu’ils ont partagés, ont jasé de leur famille, de tout et de rien. Et se sont laissés sur la promesse de garder contact.

« Le monde ne voit pas ce Carey-là », note Waite, qui s’est toujours assuré de conserver une saine distance avec son poulain pour ne pas que leur relation professionnelle soit teintée.

La ligne peut être mince entre le confident et l’entraîneur. Le maître doit savoir ce qui cloche hors de la glace si l’élève n’est pas dans son assiette. Mais il doit garder le détachement nécessaire pour brasser la cage lorsque la situation l’appelle.

« C’est une question de respect, de confiance, résume Waite. On n’était pas de grands amis, mais là on pourrait le devenir, du fait que je ne suis plus son coach. »

Il y a toutefois une chose de l’image publique qui correspond à son image privée : celle d’un homme refermé sur lui-même, qui préfère 1000 fois la solitude de sa chaloupe sur un lac au fond des bois à l’attention jetée sur lui.

Il garde tout pour lui. Des fois, je le rencontrais dans mon bureau et je savais que quelque chose le fatiguait, mais il n’en parlait pas. Carey sait qu’il doit travailler là-dessus, il me l’a encore dit il y a deux jours.

Stéphane Waite

C’est d’ailleurs là son principal boulet. Price doit « faire attention » à « ne pas tout suranalyser » ; soigner son langage corporel, éviter de « ne parler à personne pendant une couple de jours parce qu’il n’est pas content ». « Il le sait », répète Waite.

Car il n’en démord pas : le succès qu’a connu Carey Price, et qu’il retrouvera à son avis, est attribuable au fait qu’il possède « tous les outils » dont peut rêver un gardien. Le gabarit, la vitesse, les qualités athlétiques, la technique, la lecture du jeu, le contrôle des émotions pendant un match, le calme… Sa manière de se préparer, de prendre soin de son corps, de s’entraîner, de bien manger.

« C’est le package complet qui fait que Carey Price est Carey Price. »

Confiance en l’avenir

Stéphane Waite ne s’en cache pas : pour toutes ces raisons, la séparation est douloureuse. La déception, énorme. Il y aura un deuil à vivre, et il peut être long, lui ont dit les dizaines d’ex-collègues qui l’ont appelé depuis mardi soir, à commencer par Claude Julien, Kirk Muller et Michel Therrien.

« Cette année, je sens qu’il y a quelque chose de spécial chez le Canadien, croit Waite. Je sais que Dominique Ducharme va faire toute une job. L’équipe va mieux jouer défensivement. Carey va se replacer. On a fait quelques ajustements avec Jake Allen et ça va très bien pour lui. Je vois cette équipe atteindre les séries éliminatoires et faire un bout. Ma plus grosse déception, c’est de ne plus faire partie de ça. »

Optimiste de nature, il maintient qu’il a encore sa place dans la LNH. La vague d’encouragements qu’il a reçus, justement, a conforté son impression. Il se dit « chanceux » d’avoir passé 18 ans sur le circuit avant qu’une équipe lui montre la porte. Il garde confiance en l’avenir, même si, dans l’immédiat, « c’est difficile à accepter ».

« Il faut le vivre, puis passer à autre chose. »

À ses gardiens, il a toujours appris à travailler chaque jour en utilisant toutes les connaissances disponibles, en fournissant l’effort le plus optimal, afin de ne pas avoir de regrets après coup.

Il a appliqué la même recette à sa propre carrière. « Et j’ai zéro regret. »

Cent fois, son plus célèbre protégé est retombé sur ses pieds après avoir trébuché. Il devrait faire de même.