Depuis le départ des Nordiques en 1995, le Canadien jouit d’un monopole au Québec. Cet atout l’a magnifiquement servi sur le plan des affaires, mais c’est tout le contraire sur le plan du hockey. Privé de cette concurrence féroce, l’organisation a perdu ce mordant l’ayant si longtemps caractérisée. L’expression « condamné à gagner » de la belle époque semble s’être transformée en formule creuse comme « suscitons de l’espoir ».

Le congédiement de Claude Julien en a fourni une nouvelle preuve. Il a soulevé la discussion plus que la controverse. Celui de Stéphane Waite provoquera-t-il une réaction plus vive ? Pas sûr.

Ces gestes semblent d’abord perçus comme une conséquence logique du passage à vide de l’équipe et de Carey Price. Certains salueront le leadership de Marc Bergevin dans ces dossiers, ce gestionnaire ne craignant pas les « décisions difficiles », comme il le rappelle parfois lui-même.

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L’entraineur-chef Dominique Ducharme encourage ses joueurs derrière le banc.

Le départ de Julien à peine confirmé la semaine dernière, son nom a été exclu des conversations sauf pour rappeler — avec raison — ses qualités de gentleman. La fin de son règne soulève pourtant des enjeux importants. Dont celui-ci : quelle analyse a conduit à son recrutement précipité en février 2017 ?

Son arrivée derrière le banc n’a pas déclenché l’effet espéré. Cette année-là, Julien a été incapable de conduire le CH à la victoire au premier tour éliminatoire contre les Rangers de New York.

Les deux saisons suivantes n’ont pas été plus convaincantes, le CH ayant été exclu des séries. En 2020, la pandémie a permis à l’équipe, malgré une saison catastrophique, de se glisser dans le tournoi de la Coupe Stanley. Après une victoire au tour qualificatif, elle a été éliminée en première ronde.

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« Avec le recul, le constat est brutal : son embauche a été une erreur », écrit notre chroniqueur au sujet de Claude Julien.

Julien, rappelons-le, n’a pas obtenu plus de succès à ses deux dernières saisons complètes derrière le banc des Bruins de Boston. Avec le recul, le constat est brutal : son embauche a été une erreur. Cela n’enlève rien à ses succès plus tôt en carrière, notamment la conquête de la Coupe Stanley avec les Bruins en 2011. Mais on ne peut ignorer les faits.

Dans ce contexte, le travail de Bergevin devrait être remis en question. Ça n’a pas vraiment été le cas lorsqu’il a annoncé la nomination de Dominique Ducharme. Pourquoi ? Parce que les insuccès et les mauvaises décisions du CH ne génèrent plus la surprise ni la colère. La formidable machine de relations publiques du CH a magnifiquement vendu la « réinitialisation ».

Ce concept a un avantage énorme par rapport à un plan triennal ou quinquennal : il n’a aucune date d’échéance. Les fans espèrent ainsi des jours meilleurs chaque année.

Résultat : ni le président et copropriétaire, Geoff Molson, ni le DG, Marc Bergevin, ne sont vraiment montrés du doigt malgré les déceptions qui s’accumulent. L’excuse est déjà trouvée : c’est si difficile de gagner dans le hockey aujourd’hui. Si l’équipe déçoit, la faute incombe aux joueurs, aux entraîneurs ou à diverses circonstances. Jamais à la haute direction, qui, elle, voit toujours clair.

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En fin de soirée mardi, le CH a congédié Waite, fidèle soldat de l’organisation. Même s’il n’existe pas de façon parfaite d’annoncer une mauvaise nouvelle, celle-ci se distingue par son invraisemblable inélégance. Le couperet est tombé après une performance encourageante de Price, en partie le résultat de son travail des derniers jours avec Waite.

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L’entraîneur des gardiens du Canadien Stéphane Waite a été congédié mardi soir.

Voici donc Sean Burke investi de nouvelles responsabilités. Sa loyauté est d’abord envers Bergevin, et Ducharme aura intérêt à ne pas l’oublier. D’autant que le titre de Burke — directeur des gardiens de but — laisse croire que son supérieur sera le DG lui-même. Pas une situation facile pour un entraîneur-chef par intérim qui, de surcroît, ne profite pas d’un contrat à long terme, seule police d’assurance dans ce milieu coupe-gorge.

Bergevin affirme ne pas avoir consulté Price avant de prendre cette décision. C’est franchement étonnant. Les liens entre un gardien et son entraîneur quasi personnel sont étroits. Mettre fin à cette relation sans sonder l’opinion du plus haut salarié de l’équipe est un risque bizarre.

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Le CH traverse une période de turbulences. Mais peut-être achèvera-t-il la saison avec force. Peut-être nous proposera-t-il de longues et excitantes séries éliminatoires. Je le souhaite, notamment parce que cela ferait un bien immense à tout le Québec. Le Canadien demeure un formidable outil de rassemblement dans notre société.

Mais je crois néanmoins ceci : si ce n’est pas le cas, aucun changement fondamental ne surviendra. Bergevin signera une prolongation de contrat, Molson expliquera à quel point l’avenir est plein de promesses, et le département des communications fera le reste.

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Le directeur-général du CanadienMarc Bergevin

Les choses n’ont pas toujours été ainsi. À une certaine époque, le CH était jugé beaucoup plus sévèrement. Serge Savard, qui a souvent utilisé l’expression « condamné à gagner » pour expliquer la folle pression ayant pesé sur lui durant toutes ses années avec le CH, l’a expérimenté à la dure comme DG de l’équipe.

En fouillant les archives lorsque j’ai écrit sa biographie, cela m’a particulièrement frappé. Je couvrais déjà l’équipe à cette époque, mais le recul m’a fourni une perspective nouvelle. Après l’élimination du CH au deuxième tour en 1991, plusieurs médias — dont La Presse — ont été très sévères à son endroit. Pourtant, sous sa gouverne, l’équipe n’avait encore jamais raté les séries, remportant au moins une ronde chaque année, la Coupe Stanley en 1986 et atteignant la finale en 1989.

Bien sûr, on dira que la LNH a changé. Qu’avec 31 équipes et un plafond salarial, il est plus difficile de remporter une Coupe Stanley. Que, contrairement au passé, moins d’organisations sont vraiment mal dirigées et qu’un DG ne peut plus emberlificoter un collègue comme au temps de Sam Pollock. Et que tous ces facteurs mènent à une conclusion : impossible pour le CH de s’imposer comme dans le passé.

Tout cela est bien vrai. Et les fortes attentes du début des années 1990, dernière époque où le CH a brillé, ne peuvent plus être celles d’aujourd’hui. Mais peut-on trouver un juste milieu ? Et nous montrer collectivement plus exigeants envers cette organisation ?

J’en conviens, l’expression « condamné à gagner » ne colle plus à la réalité d’aujourd’hui. Mais il me semble que le CH pourrait faire mieux que de simplement « susciter de l’espoir », objectif mou et dénué de véritable engagement.