Chaque semaine, deux journalistes de la section des sports s’affrontent dans une joute rhétorique parfois sérieuse, souvent moins. Cette semaine, Richard Labbé et Simon-Olivier Lorange jaugent leur intérêt respectif pour les matchs de la LNH présentés sur des patinoires extérieures.

Richard

Très cher Simon-Olivier. En premier, permets-moi de prendre des nouvelles de ta terrasse. Selon la rumeur, la tienne est l’une des plus spectaculaires de tout le « 514 », et avec les chutes de neige répétées de notre hiver inlassable, j’espère que tu as pensé à un entretien rigoureux : éviter les accumulations de neige aux points faibles de la structure, éviter les accumulations d’eau, retirer les feuilles mortes de l’automne, entre autres. Tu me remercieras au printemps. Bon, puisqu’il est question de plein air : selon une autre rumeur, le concept des joutes de hockey disputées en plein air te rebuterait. Dis-moi, Simon-Olivier, est-ce bien vrai ?

Simon-Olivier

Estimé collègue et, appelons les choses par leur nom, mentor. D’abord, merci de prendre des nouvelles de mon espace d’outdooring. Je dois avouer que je n’en prends pas un grand soin pendant la saison hivernale, mais comme la toiture a été changée l’an dernier, l’eau s’écoule maintenant beaucoup mieux qu’une blague du CF Montréal sur le dos d’un partisan du CF Montréal. Dans tous les cas, ce que tu avances est exact : les matchs extérieurs ne me font ni chaud ni froid – ce qu’on ne peut pas dire d’une patinoire du lac Tahoe en plein soleil. J’y vois un évènement inventé par la LNH dont le principal bénéficiaire est la LNH. C’est avec plaisir que je t’en parlerai plus longuement, mais je t’invite d’abord à m’ouvrir ton cœur sur ce même sujet.

Richard

Mon cœur ? Eh bien justement, c’était ma prochaine question : où est le tien, Simon-Olivier ? Ne vois-tu pas l’existence du bonheur sous sa plus pure expression dans le sourire enfantin des joueurs de la LNH lorsqu’ils arrivent dans un décor enchanteur pour aller jouer du gouret dehors ? Moi, si. Ceci dit, tu le sais fort bien, je ne suis pas né de la dernière pluie, ni même de l’autre d’avant, et je remarque très bien qu’il y a un côté purement mercantile à tout ça, surtout quand je vois les équipes arriver avec des chandails spéciaux qui sont offerts pour environ 200 $ sur tout site officiel.

L’argent mène le monde, respecté collègue, et il mène aussi notre sport national, même dehors. Mais ce n’est quand même pas une raison pour mettre la hache dans ce fabuleux concept, non ?

Simon-Olivier

Tu pourras trouver ce qu’il me reste de cœur parmi les dizaines de milliers d’orteils sacrifiés sur l’autel du hockey extérieur. C’est bien beau, les sourires sur le visage des joueurs, mais je trouve que tu donnes bien peu d’amour aux partisans qui, depuis les dernières rangées d’un stade de baseball, ont mis leur intégrité physique en jeu pour voir des fourmis s’activer sur une patinoire située environ 15 km plus bas (j’arrondis). Car c’est là le nœud de l’histoire : quelle qualité de spectacle donne-t-on au détenteur de billet qui a payé à fort prix son droit d’aller perdre toute sensation dans les extrémités de son corps ? C’était encore plus burlesque au lac Tahoe : on a planté une patinoire devant un paysage majestueux, certes, mais pour des raisons évidentes, personne n’était sur place pour voir le match. La télé, c’est bien, mais c’est quand même en présentiel qu’on est le plus à même d’apprécier la vraie patente.

Richard

Je te rejoins là-dessus, espiègle collègue, il n’y a rien de mieux que la vraie affaire en personne. Ce qui m’amène à mon prochain point, encore plus génial que les précédents : ces matchs devraient être présentés seulement là où c’est l’hiver pour de vrai. Là où on peut en faire un évènement. Tu te souviens sans doute de Crosby dans la neige à Buffalo, de Théo avec son pompon à Edmonton ? Ça marque, ça, et tout le monde s’en souvient, encore plus ceux qui se sont mis en « chest » entre la deux et la trois en s’envoyant une 12bière. Maintenant, imagine un tel match à Montréal, quelque part dans l’île Notre-Dame pendant les Fêtes, contre le Toronto ou le Boston, mettons. On pourrait se faire cuire des guimauves sur le feu et boire du vin chaud tout en critiquant les replis défensifs de Jesperi Kotkaniemi. N’est-ce pas un peu la définition du bonheur ?

PHOTO DAVE SANDFORD, ARCHIVES GETTY IMAGES

José Théodore lors de la première Classique héritage, en novembre 2003, à Edmonton

Simon-Olivier

Bien sûr que ça ressemble au bonheur… mais encore faut-il qu’il fasse un peu froid ! Rappelle-toi la Classique hivernale de 2011 : les Penguins de Pittsburgh et les Capitals de Washington avaient dû retarder le match en raison de la pluie, et même endurer des averses pendant la joute. J’ajoute à tout ça que Montréal, il y a deux mois à peine, a été généreusement arrosé le jour de Noël. Pas génial pour une célébration du plus meilleur sport du monde, si tu veux mon avis. Le passionné de football en toi me rétorquera, sur le ton d’un défenseur des libertés individuelles non masqué : OUI, MAIS LE FOOTBALL JOUE QUAND MÊME, PIS PERSONNE CHIALE. C’est vrai, et c’est la réalité d’un sport extérieur. Ce que le hockey de la LNH n’est pas, à mon (pas si) humble avis. Pour te consoler, je t’offre généreusement les guimauves et le vin chaud lors de notre prochaine visite au Centre Bell qui, sans spectateurs, s’est transformé en iglou géant pour les travailleurs de l’information qui couvrent les rencontres. Ce ne sera peut-être pas exactement le bonheur. Mais ça s’en rapprochera un peu.